« Les cantiques bretons, disait il y a cent trente ans le compositeur et musicologue nantais Louis Bourgault-Ducoudray (1840-1910), dans son ouvrage « Trente mélodies populaires de la Basse-Bretagne » (1885), présentent un mine inépuisable de trésors mélodiques. En Bretagne, les beaux cantiques abondent ; les mauvais sont rares. Ils sont remarquables par leur simplicité, par l’expression de ferveur qui s’en dégage ; ils ont de l’originalité, de la couleur… ».
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que certaines mélodies aient été reprises par des musiciens d’Église pour composer des cantiques français. Nombreux sont en effet les cantiques français des années 1950 dont la mélodie est celle d’un cantique breton, comme le signalent généralement les partitions en indiquant « air breton ». Dans son livre Dis-moi ce que tu chantes (Paris, Cerf, collection « Rites et symboles », 1981, p. 170), Michel Scouarnec observait ainsi à propos du « recueil de cantiques Tardy » de 1971 (Prières et chants du peuple de Dieu, éditions Tardy, 1971, section : cantiques) qu’il était « musicalement très hétérogène ». Sur 256 cantiques de ce recueil, « 14 chants viennent du répertoire breton, 11 sont inspirés du grégorien, 34 sont des mélodies d’origines anciennes diverses (chorals surtout), 8 sont des transpositions de negro spirituals. Les autres mélodies sont des créations de style divers ».
Quels sont donc ces emprunts au répertoire breton ? Le cantique bien connu « La nuit qu’il fut livré le Seigneur prit du pain » (C3) a pour mélodie celle du Lavaromp ar chapeled stouet war an douar. Il en est de même pour :
– « Le pain que tu nous donnes » (D 83) (Gwerz ar vezventi),
– « O viens, sagesse éternelle » (E 35) (O êlez ar baradoz),
– « En toi Seigneur mon espérance » (G 7) (Me ho salud, korf va Zalver),
– « Quand je viens vers toi » (G 41) (Karomp Doue da genta),
– « O Croix dressée sur le monde » (H 30) (Me a laka va fizians),
– « Jésus qui vit aux cieux » (J 10) (Kantik ar baradoz),
– « Ami que Dieu appelle » (S 48) (Patronez dous ar Folgoad),
– « Vous attendiez la promesse » (E 25) et « Bénie sois-tu, sainte Église » (K 27) (Rouanez ar arvor),
– « Seigneur, seul maître du monde » (B 24) (Kinnigom oll ar zakrifis),
– « Seigneur que ta parole » (A 51) (inspiré de Pe trouz war an douar),
– « Pleine de grâce, nous te louons » (V 68) (Ni ho salud gant karantez),
– « Vous êtes sans pareille » (V 10) (la partition indique Air breton).
Ou encore, une des deux mélodies de l’angélus breton de Noël (Añjeluz amzer Nedeleg : Eun arhel a-berz an Aotrou) – qui est également celle de la Gwerz Zant Erwan –, a été reprise par le cantique français « Seigneur, en ton Église » (D 36).
Cette inspiration continuera avec les nouveaux cantiques des années 1970, aux mélodies modales d’inspiration bretonne, comme « Dieu qui nous mets au monde » (C 128) et « Si l’espérance t’a fait marcher » (G 213) de Didier Rimaud et Michel Scouarnec. De nouveaux cantiques bretons ont également été composés dans les mêmes années 1970, notamment par Visant Seité et Roger Abjean (souvent sur des airs gallois), Job an Irien et Michel Scouarnec. Un certain nombre ont été publiés sous le titre de « Hag e paro an heol » par le Bleun-Brug puis le Minihi Levenez. On peut également citer plus récemment les créations de la chorale Allah’s Kanañ.
Cet intérêt pour les cantiques bretons se retrouve également chez des compositeurs comme Camille Saint-Saëns (Trois Rapsodies sur des cantiques bretons), Joseph-Guy Ropartz (Kanaouennou ar Bleun-Brug, Douze cantiques bretons), Paul Ladmirault (Quelques vieux cantiques bretons, 1906), ou Jean Langlais (Noël breton, Suite armoricaine…).
Père Hervé Queinnec