Le baptême du Seigneur est une fête récente dans le calendrier liturgique romain, mais traditionnelle en Orient. A Noël, puis à l’Épiphanie, le Christ s’est manifesté à sa famille, aux bergers, puis aux mages dans l’intimité. Adulte, le voici qui se manifeste publiquement pour la première fois à son peuple, prenant place dans la foule de ceux qui viennent recevoir le baptême donné par Jean Baptiste. C’est le récit de Luc que nous lisons ce dimanche.
Le peuple venu auprès de Jean Baptiste était en attente,
et tous se demandaient en eux-mêmes si Jean n’était pas le Messie.
Jean s’adressa alors à tous:
« Moi, je vous baptise avec de l’eau ;
mais il vient, celui qui est plus puissant que moi.
Je ne suis pas digne de défaire la courroie de ses sandales.
Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu. »
Comme tout le peuple se faisait baptiser et que Jésus priait,
après avoir été baptisé lui aussi, alors le ciel s’ouvrit.
L’Esprit Saint descendit sur Jésus,
sous une apparence corporelle, comme une colombe.
Du ciel une voix se fit entendre :
« C’est toi mon Fils : moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. » Lc 3, 15-16.21-22
Le baptême de Jean était un baptême de conversion en vue du pardon des péchés. Jésus, le Saint de Dieu, n’en avait pas besoin. Pourtant, il est descendu dans l’eau du Jourdain comme les gens de son peuple et avec eux. De manière symbolique, ce geste évoque une nouvelle traversée de ce fleuve comme celle accomplie par Josué son ancêtre (et son homonyme). Il marque une entrée dans une nouvelle terre promise, dans le Royaume de Dieu que Jésus vient inaugurer. Celui-ci assume sa condition humaine d’enfant de la terre, soumis à la précarité, au péché, à la mort, au sein de laquelle il vient communiquer aux hommes sa divinité. L’incarnation du Fils de Dieu est une immersion totale dans une condition charnelle semblable à celle des pécheurs pour vaincre le péché afin de les faire renaître et ressusciter avec lui, et afin que sur eux aussi descende l’Esprit Saint. « Dieu a envoyé son propre Fils dans une condition charnelle semblable à celle des pécheurs pour vaincre le péché. » (Rm 8, 3)
Après la mort et la résurrection de Jésus, les chrétiens reprendront le rite du baptême dans l’eau. Une eau qui n’est plus celle du Jourdain traversé par ses ancêtres mais une eau dans laquelle descend sur Jésus l’Esprit de Dieu dont il est le Fils. Elle n’est plus seulement une eau qui lave du péché, mais qui régénère et fait naître à la vie de Dieu quiconque y descend. Dans le rituel c’est le sens de la bénédiction de l’eau baptismale : « Par la grâce de ton Fils, que vienne sur cette eau la puissance de l’Esprit Saint afin que tout homme qui sera baptisé, enseveli dans la mort avec le Christ, ressuscite avec le Christ pour la vie. »
En ce bref passage de l’Évangile, est annoncée une continuité entre les deux Testaments mais aussi une radicale nouveauté. Le projet de Dieu est immuable. Ce qu’il veut et souhaite voir se réaliser c’est le salut et le bonheur de l’homme. Au fil de l’histoire d’Israël, c’est dans la longue chaîne spirituelle des juges et des prophètes, dont Jean Baptiste est le dernier maillon, déclaré par Jésus comme « le plus grand », que se révèle et s’accomplit le projet de Dieu. Mais la voix du prophète s’efface dans le récit de Luc et c’est quand Jésus est en prière que survient un double événement. D’abord l’ouverture du ciel. La porte de Dieu s’ouvre toute grande à l’humanité où il vient établir sa demeure. Puis une voix retentit : celle d’un Père qui désigne Jésus comme son propre Fils, employant la même déclaration que celle du psaume 2 (v.7) adressée par Dieu à son peuple. « C’est toi mon Fils : moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. »
Ainsi se réalise la nouvelle Alliance annoncée par le prophète Isaïe au moment où le peuple d’Israël vivait la fin de son exil, prenant de nouveau un chemin de libération, une autre traversée pascale.
Consolez, consolez mon peuple, – dit votre Dieu –
parlez au cœur de Jérusalem.
Proclamez que son service est accompli, que son crime est expié,
qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double pour toutes ses fautes.
Une voix proclame : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur ;
tracez droit, dans les terres arides, une route pour notre Dieu.
Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées !
que les escarpements se changent en plaine, et les sommets, en large vallée !
Alors se révélera la gloire du Seigneur,
et tout être de chair verra que la bouche du Seigneur a parlé. »
Monte sur une haute montagne, toi qui portes la bonne nouvelle à Sion.
Élève la voix avec force, toi qui portes la bonne nouvelle à Jérusalem.
Élève la voix, ne crains pas. Dis aux villes de Juda : « Voici votre Dieu ! »
Voici le Seigneur Dieu ! Il vient avec puissance ; son bras lui soumet tout.
Voici le fruit de son travail avec lui, et devant lui, son ouvrage.
Comme un berger, il fait paître son troupeau :
son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur,
il mène les brebis qui allaitent. Is 40 9-5, 9-11
Dès l’origine de l’Église, le Baptême a été un sacrement majeur, le sacrement de la foi. Il résultait d’une conversion dans un monde païen souvent hostile. Être baptisé dans le Christ et pour lui, était un engagement à vivre toute sa vie comme lui, en fidélité à son Évangile. Ce qui supposait de renoncer à des valeurs, à des pratiques contraires à l’esprit des Béatitudes. Ce qui signifiait aussi une appartenance très forte à l’Église, une volonté de participer à sa mission et le choix d’un vivre ensemble juste et fraternel pour témoigner du Christ dans le monde.
Au fil des siècles, dans l’Église romaine, le baptême chrétien a beaucoup perdu de son sens profond et de son importance. A partir du 5e siècle il n’a guère été célébré que comme un rite familial, pour des nouveau-nés inconscients et muets, en l’absence de leur mère et de la communauté chrétienne. Sa raison d’être s’est réduite à l’effacement du péché originel et jusqu’à Vatican II encore, il était vécu comme un acte à la fois civil et religieux. En Finistère, il y avait à l’époque du Concile 106 % de baptêmes (beaucoup d’enfants naissaient ailleurs et les parents attendaient les vacances d’été pour une célébration familiale au pays) et de ce fait pour la suite de leur existence, les baptisés étaient supposés croyants. A l’époque de la chrétienté, on était à la fois chrétien et citoyen sur les registres d’état civil tenus par l’Église jusqu’au Concordat napoléonien. Résultat : des générations de chrétiens n’avaient aucune mémoire de leur baptême, célébré à la va-vite et sans préparation. On pouvait et on peut encore, lors de sondages d’opinion, déclarer une plus ou moins vague appartenance à la religion catholique sans participer à la vie et la prière de l’Eglise, et même sans être croyant. Ou bien en n’ayant retenu vaguement que quelques croyances d’avant le renouveau de la catéchèse dans l’Église d’aujourd’hui.
Il est vital de renouer avec la richesse de sens que revêt le sacrement du Baptême associé à la Confirmation. Il est le sacrement par excellence de la renaissance à une vie nouvelle et de la sortie de l’esclavage du péché. Quand Dieu crée le monde, lisons-nous dans le Livre de la Genèse, revient à chaque étape comme le refrain d’une litanie : Dieu vit que cela était bon. Et après avoir créé l’homme et la femme, voyant tout ce qu’il avait fait, il vit que c’était très bon. Le récit de la création déclarée bonne précède dans la Bible celui du péché des origines (Gn 1, 31). C’est après cela que survient la rupture de confiance de l’homme en Dieu. Mais elle ne remet en cause ni la bonté de Dieu ni celle de la création. La bonté et la miséricorde de Dieu précèdent donc le péché. C’est pour cette raison que certains Pères de l’Eglise justifiaient la nécessité de baptiser les nouveau-nés. Quand ils commettront des péchés, ceux-ci auront été précédés par le pardon de Dieu reçu lors de leur baptême. N’est-ce pas ainsi que les parents qui aiment leurs enfants, les pardonnent par avance et laissent ouvertes les portes de leur cœur et de leurs bras, comme le fit le père du fils perdu de la parabole ?
Ce ne sont plus les œuvres des baptisés qui procurent le pardon, mais ce que le Christ a fait pour eux et en eux. Ils reçoivent l’Esprit Saint qui fait brûler leur cœur et met sur leurs lèvres un langage nouveau, celui de la communion, de la justice et de la paix et aussi celui de l’audace d’appeler Dieu « Père ». Leur être profond est transformé : ils vivent une renaissance et une consécration, par les gestes du bain d’eau et de l’onction du saint-Chrême. Le baptême célèbre l’engagement de Dieu vis-à-vis de celui qui le reçoit mais suppose une réponse libre de sa part et une promesse de résister au mal sous toutes ses formes. De plus il est un envoi en mission. Le Concile a revalorisé cette dimension à maintes reprises, notamment en rétablissant le catéchuménat pour des adultes ou des jeunes. Commun à tous, quels que soient leur charisme ou leur ministère, le baptême fonde l’égalité entre tous les membres de l’Église. Tous sont appelés à la sainteté, « tous sont députés à l’apostolat par le Seigneur lui-même. » (LG 33) « Les laïcs tiennent de leur union même avec le Christ Chef le devoir et le droit d’être apôtres. Insérés qu’ils sont par le baptême dans le Corps mystique du Christ, fortifiés grâce à la confirmation par la puissance du Saint-Esprit, c’est le Seigneur lui-même qui les députe à l’apostolat. » (Apostolat des Laïcs 3).
Le passage de la lettre de Paul à Tite proposé pour ce dimanche est une véritable profession de foi baptismale. Il exprime l’essentiel de l’enseignement de Paul et clôture de belle manière le cycle liturgique du temps de Noël et de l’Épiphanie.
La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes.
C’est elle qui nous apprend à rejeter le péché et les passions d’ici-bas,
pour vivre dans le monde présent en hommes raisonnables, justes et religieux,
et pour attendre le bonheur que nous espérons avoir
quand se manifestera la gloire de Jésus Christ,
notre grand Dieu et notre Sauveur.
Car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes,
et de nous purifier pour faire de nous son peuple,
un peuple ardent à faire le bien.
Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et sa tendresse pour les hommes ;
il nous a sauvés. Il l’a fait dans sa miséricorde,
et non pas à cause d’actes méritoires
que nous aurions accomplis par nous-mêmes.
Par le bain du baptême, il nous a fait renaître
et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint.
Cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous avec abondance,
par Jésus Christ notre Sauveur ;
ainsi, par sa grâce, nous sommes devenus des justes,
et nous possédons dans l’espérance l’héritage de la vie éternelle.
Françoise Dolto, de confession Orthodoxe, a écrit un beau texte au sujet du Baptême.
« Ce qu’il y a de plus important chez un chrétien, c’est le baptême. Les gens qui ne sont pas baptisés ne s’en doutent pas, et les gens qui sont baptisés ne s’en doutent pas beaucoup plus ! J’ai toujours pensé, dès mon enfance, que c’était très important d’avoir été baptisée. Il me semblait que c’était la bénédiction des bénédictions. Beaucoup de chrétiens ne sont pas conscients que c’est quelque chose d’important, et qui est un bienfait indélébile. Être baptisé c’est une bénédiction indélébile, et sur laquelle on peut compter. Le baptême, c’est une bénédiction qui nous lie à la Trinité, qui associe l’existence de cet humain ici, maintenant et par-delà la caducité de la chair, à la fécondité de l’esprit d’amour qui circule et vivifie le moindre de nos actes, si inconscients que nous en soyons. C’est extraordinaire, non ? »
Evangile solon saint Luc – Lc 3, 15-16. 21-22