Ex 12, 1-8. 11-14 ; Ps 115 (116a) ; 1 Co 11, 23-26 ; Jn 13, 1-15
Frères et sœurs,
Avez-vous remarqué que dans la nouvelle traduction du Missel Romain, on a insisté sur le terme de « sacrifice » pour parler du don que Jésus a fait de sa vie sur la Croix ?
Si nous prenons la 3e prière eucharistique dans l’ancien Missel, il est écrit : « … alors que nous attendons son dernier avènement, nous présentons cette offrande vivante et sainte pour te rendre grâce. » Dans la nouvelle traduction, cela devient : « … nous t’offrons, Seigneur, en action de grâce, ce sacrifice vivant et saint » et un peu plus loin : « Regarde, nous t’en prions, l’oblation de ton Église, et daigne y reconnaître ton Fils qui, selon ta volonté, s’est offert en sacrifice pour nous réconcilier avec toi. »
Pourquoi cette insistance qui gêne certaines personnes comme j’ai pu l’entendre ? Et vous, frères et sœurs, ressentez-vous ce malaise ?
Je me demande si nous n’avons pas en tête, pour les plus anciens d’entre nous, les souvenirs de nos parents ou grands-parents, ou de notre curé, qui nous demandaient de « faire des sacrifices ». Et on n’aimait pas les « sacrifices » !
Pourtant, si on n’aime pas beaucoup ce terme, il est très important de l’utiliser en parlant du don que Jésus a fait de sa vie sur la croix. Sinon il y a une perte de sens et même les paroles du Christ, qui donne son corps et son sang en nourriture, deviennent alors incompréhensibles, bizarres même ! « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » disaient les auditeurs de Jésus (Jn 6, 52)
De fait, le sacrifice du Christ ne peut se comprendre qu’en référence aux sacrifices de l’Ancienne Alliance. Il y avait des sacrifices d’animaux, offrandes faites à Dieu pour rendre grâce ou pour demander pardon pour ses péchés. Le sang des animaux, symbole de vie, était répandu sur l’assistance en signe de pardon des péchés.
Plus précisément, la première lecture du livre de l’Exode évoque le rite du sacrifice de l’agneau pascal, celui dont le sang répandu sur les montants des portes des Hébreux les protégeait de la mort et dont la nourriture apportait la force pour accomplir le passage de la servitude d’Égypte jusqu’à la Terre promise. Un sacrifice de libération du mal et de vie nouvelle.
Il se trouve qu’hier soir, les juifs célébraient Pessah, ce passage de l’Exode justement. Ils m’ont d’ailleurs envoyé un message que je vous lis : « Cette année, le calendrier nous offre de vivre les fêtes de Pessah et la Pâque chrétienne la même semaine et c’est en nous associant en pensée à votre communauté et à la Semaine Sainte que nous célébrerons la fête de Pessah mercredi soir à la synagogue de Brest. Que cette fête de la liberté et de l’espérance nous aide chacun à sortir de notre Égypte personnelle pour nous retrouver tous en fraternité. »
Alors, en quoi le sacrifice du Christ a-t-il changé radicalement le sens de cette fête ? Et donc, qui nous distingue aussi de cette fête juive ? Même si ce sont nos racines !
Sans entrer dans les détails, la lettre aux Hébreux montre que désormais, ce n’est plus le sang de l’agneau dans la nuit du passage ni des autres sacrifices, qui nous délivre du péché et de la mort, mais le sacrifice de Jésus qui a offert sa vie une fois pour toutes.
Et c’est justement le jour où les agneaux étaient sacrifiés pour la fête de Pessah à Jérusalem, la Pâque juive, que Jésus a offert sa vie sur la croix.
Cet enracinement du sacrifice de Jésus dans l’histoire du peuple de Dieu donne tout son sens à l’eucharistie que nous célébrons. Dans la lettre de saint Paul lue en 2e lecture, Jésus donne à ses disciples un rite qui nous est destiné et par lequel « nous proclamons la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. » Jésus ne meurt pas une nouvelle fois. Il est mort et ressuscité pour toujours. Mais l’eucharistie que nous célébrons actualise pour nous depuis plus de 2000 ans, ce don que Jésus a fait de sa vie et qui nous sauve du péché et de la mort.
On comprend mieux alors les paroles de Jésus : « Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi. » « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » Ce terme de mémoire n’est pas seulement un souvenir ! La puissance de vie du sacrifice de Jésus se manifeste à nous à chaque eucharistie !
Alors, vous allez me dire quel est le rapport avec le lavement des pieds que nous venons de lire dans l’Évangile ?
Jésus a accompli ce geste lors de son dernier repas, avant de mourir. Il nous adresse ainsi un appel que saint Jean exprime dans sa première lettre : « Jésus a donné sa vie pour nous, nous aussi devons donner notre vie pour nos frères. » (1 Jn 3, 16)
Or, par ce geste du lavement des pieds, Jésus s’est humilié devant ses disciples et s’est mis à leur service comme le faisaient les esclaves. Jésus nous montre le chemin qui mène à ce don de notre vie, celui de quitter tout égoïsme, tout individualisme, si présent dans notre société d’aujourd’hui, peut-être aussi dans notre vie, pour nous mettre au service des autres dans l’humilité en renonçant à soi par amour pour notre prochain.
Or, servir les autres dans l’humilité, c’est déjà donner notre vie pour nos frères à la suite de Jésus.
Frères et sœurs, en ce Jeudi Saint, entrons avec Jésus dans son passage par le don de sa vie sur la croix et qui le mènera à sa résurrection. Un sacrifice que nous célébrons dans l’eucharistie et qui nous appelle à donner notre vie pour nos frères afin d’entrer avec Jésus dans la vie éternelle. Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon