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Fête du Christ Roi de l’univers – 24 novembre 2024

Dans le premier Testament Dieu avait donné à son peuple pour le guider et l’enseigner des guides, des juges, des prophètes, des sages, mais il ne voulait pas de rois pour le gouverner. Jaloux des peuples environnants, Israël supplia Samuel de lui choisir et consacrer un roi. Malgré les réticences de Samuel, Dieu s’exécuta, en désespoir de cause, presque à contre-cœur. Les rois d’Israël ne furent guère en effet, de bons guides ni de bons exemples pour leur peuple. Mis à part quelques-uns comme le roi David, roi de justice et de droiture, capable de reconnaître ses fautes et de s’en repentir. Dans les Évangiles Jésus a été reconnu comme le Fils du roi David. Quand la foule pour laquelle il venait de multiplier les pains et les poissons voulut l’enlever pour le faire roi, Jésus s’était enfui dans la montagne.

Saint Jean, avec qui nous clôturons l’année liturgique, nous rapporte aujourd’hui son dialogue avec Pilate au cours de sa Passion.

Dans le Prétoire Pilate appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? »
Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même,
ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? »
Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ?
Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? »
Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ;
si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes
qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs.
En fait, ma royauté n’est pas d’ici. »
Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit :
« C’est toi-même qui dis que je suis roi.
Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci :

rendre témoignage à la vérité.
Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. »
[Pilate lui dit : « Qu’est-ce que la vérité ? »]

(Jn 18, 33b-37)

Étrange dialogue entre Pilate préfet de Judée, soucieux du maintien de l’ordre dans cette province de l’empire romain, et ce pauvre homme défiguré et sans défense que l’on a traîné devant lui. On présente Jésus comme dangereux autant pour l’occupant romain que pour le peuple juif. Le dialogue s’achève sur une question de Pilate, qui reste sans réponse. Peut-être Pilate ne veut-il pas entendre la réponse de Jésus et quitte-t-il le prétoire pour annoncer à la foule qu’il ne trouve en Jésus aucun motif de condamnation ? Peut-être est-ce une question que Pilate se pose à lui-même ? Quoi qu’il en soit, cette question, – omise dans le missel, on ne sait pourquoi – est au cœur même de l’échange entre Jésus et lui. Elle interroge chacun et attend sa réponse.

Dans l’Évangile de Jean la vérité est revêtue d’une grande importance. Le mot y est présent une cinquantaine de fois, comme introduction d’une parole importante de Jésus et revêtue d’une très grande valeur. Jésus dit à Pilate qu’il est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute sa voix. L’essentiel de la mission de Jésus, de sa venue au milieu des hommes concerne donc la vérité. Comment comprendre le sens de ce mot et la portée de la déclaration de Jésus dans ce débat sur la royauté, sur l’exercice du pouvoir, qu’il soit politique ou religieux ? Curieusement Jésus ne répond pas à la question de Pilate.

Dans notre culture rationnelle et scientifique est vrai ce qui est exact, parce que prouvé par des vérifications, des enquêtes, des expériences. Sur le plan moral ou éthique la vérité est opposée au mensonge, à la tromperie. Reste un autre plan plus philosophique ou spirituel. Il concerne la condition humaine, les relations humaines ou religieuses, le sens de la vie, de l’amour, des motivations profondes qui animent chaque personne et de manière spécifique les gens de pouvoir. Est vrai celui qui est authentique : « Je suis la vérité », avait proclamé Jésus. Comment Jésus a-t-il rendu témoignage à la vérité ? En étant fils de lumière. Il a parlé vrai, ses actions ont été en cohérence avec sa parole. Il a fait preuve de lucidité et n’a utilisé ni ruse, ni camouflage, ni hypocrisie dans ses propos et ses comportements. Il a démasqué et dénoncé les abus de pouvoir, les manipulations des foules, et le mépris des petits et des pauvres dont faisaient preuve les responsables religieux de son temps. Sa conception de l’autorité et de la royauté était à l’opposé de la leur. Bref, comme l’a chanté Guy Béart, le prophète qu’il était a dit la vérité et donc il devait être exécuté. Ne vaut-il pas mieux qu’un seul homme serve de « bouc émissaire », afin que le peuple se taise et se calme, comme l’avait dit Caïphe et comme l’a écrit dans ses travaux le philosophe chrétien René Girard ? S’il était reconnu comme le Messie ou choisi comme roi, ce Jésus serait trop dangereux.

Dans la suite du récit de Jean, Jésus déclare à Pilate qui affirme son pouvoir absolu de le relâcher, et pouvoir de le crucifier : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, si tu ne l’avais reçu d’en haut. » Combien les choses iraient mieux sur la terre si chaque prince ou chef d’État ou d’entreprise, chaque président et chaque ministre, chaque ministre dans l’Église, etc. considérait son pouvoir comme une responsabilité reçue, comme un devoir de servir, comme une sagesse dans la manière de se gouverner soi-même. Mais comme dans certaines sociétés il n’y a plus d’en haut depuis que Dieu est déclaré mort, la réception d’un pouvoir ne vient plus que d’en bas ! Certains candidats au pouvoir de royauté ou de gouvernement dans bien des pays actuels ne se soucient guère de se comporter comme des simples serviteurs de leurs peuples. Tous les détenteurs de pouvoir oublient les versets du psaume 81 qui ont inspiré le titre du film « Des hommes et des dieux » : « Je l’ai dit : Vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous ! Pourtant, vous mourrez comme des hommes, comme les princes, tous, vous tomberez ! »

La prière du « Notre Père » s’achève par une formule à ne pas prononcer de manière machinale, mais avec joie et gravité. « Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire » Des mots désuets pour beaucoup. Des mots précieux à graver dans le cœur des disciples de Jésus et qui doivent orienter leur vie quotidienne. Une prière porteuse de bonheur pour l’humanité si elle s’en inspirait : que « règne » la paix et la concorde entre les hommes et les peuples, que « la puissance » de l’amour et du pardon l’emporte sur la violence des assoiffés de pouvoir, que soient « glorifiés » les chercheurs de justice et de vérité.

Quand il fut crucifié, un écriteau dérisoire désignait Jésus comme le roi des Juifs. Un roi crucifié, cela pouvait faire rire les passants et susciter la moquerie des puissants qui l’avaient éliminé. Sa royauté ne vient pas de ce monde, dit-il à Pilate. Elle vient de son Père et ne ressemble en rien à une royauté mondaine, où des armées de courtisans se préoccupent de paraître et de parader, de soumettre et de commander, où des armées de guerriers font violence, versent le sang, pillent et tuent sans vergogne, où des riches propriétaires exploitent et pressurent les pauvres. Jésus, le Fils du Très-Haut, ne vit pas dans un palais, mais en compagnie des humbles et des pauvres. Il est un roi-serviteur qui ne s’entoure pas de courtisans ni de soldats mais de disciples.

Depuis le Concile Vatican 2, la fête du Christ Roi de l’univers clôture chaque année liturgique. Une fête paradoxale et pleine de sens. Nous fêtons un royaume qui n’est pas de ce monde, et cependant celui qui en est le roi a bien vécu dans le monde des humains. Ce que les Évangiles révèlent de sa manière d’exercer la royauté doit demeurer pour ceux qui croient en lui une lumière. Fête de la royauté du Christ, cette fête est aussi en effet celle de notre royauté commune. L’Église considère que par le baptême tous les chrétiens participent à la vie et à la mission du Christ prophète, prêtre et roi. Sa royauté, il ne l’a pas exercée par la force, par la recherche d’un pouvoir absolu, la richesse et les honneurs, mais en étant serviteur de tous, en prenant soin des plus pauvres et des plus faibles, en exerçant la justice avec miséricorde. Son pouvoir de serviteur, – dit le Concile – “il l’a communiqué à ses disciples pour qu’ils soient eux aussi établis dans la liberté royale…, bien mieux, pour que, servant le Christ également dans les autres, ils puissent, dans l’humilité et la patience, conduire leurs frères jusqu’au Roi dont les serviteurs sont eux-mêmes des rois.” (LG 36)

Encore une vision de Daniel ce dimanche, annonciatrice de la royauté de Jésus.

Je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ;
Il lui fut donné domination, gloire et royauté ;
tous les peuples, toutes les nations
et les gens de toutes langues le servirent.
Sa domination est une domination éternelle,
qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.
(Dn 7, 13-14)

Le texte du livre de l’Apocalypse nous offre une magnifique conclusion de l’année liturgique qui s’achève. Il ressemble à un souhait de bonne année de la part du Christ qui est, qui était et qui vient. La fête du Christ Roi couronne l’année qui s’achève et laisse la place à une nouvelle année de grâce.

A vous, la grâce et la paix,
de la part de Celui qui est, qui était et qui vient,
de la part des sept esprits qui sont devant son trône,
de la part de Jésus Christ, le témoin fidèle,
le premier-né des morts, le prince des rois de la terre.
À lui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang,
qui a fait de nous un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père,
à lui, la gloire et la souveraineté pour les siècles des siècles. Amen.
Voici qu’il vient avec les nuées, tout œil le verra,
ils le verront, ceux qui l’ont transpercé ;
et sur lui se lamenteront toutes les tribus de la terre. Oui ! Amen !
Moi, je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu,
Celui qui est, qui était et qui vient, le Souverain de l’univers.

(Ap 1, 5-8)

Evangile selon saint Marc – Mc13, 24-32