Il y avait naguère une succession de trois messes la nuit de Noël. Alphonse Daudet, dans son conte « Les trois messes basses » en avait fait une description humoristique. La liturgie nous propose encore aujourd’hui trois célébrations : celle de la nuit de Noël, celle de l’aurore et celle du jour. Rien n’empêche, si l’on ne célèbre plus la messe de l’aurore, de lire, lors de la veillée, le texte entier de la Nativité en saint Luc. Après le chant des anges dans le ciel, et leur annonce aux bergers de la naissance d’un sauveur, nous est racontée leur visite à l’enfant Jésus et la réaction de Marie. Pour le commenter ainsi que les deux autres textes de la messe de l’aurore, adoptons une attitude spirituelle matinale. Les auteurs des psaumes situent souvent leur prière dans l’aurore. Elle n’est plus la nuit qui s’achève mais n’est pas encore le jour qu’elle annonce. (48, 56, 107, 109, 118 (v 147), 129, 138).
Lorsque les anges eurent quitté les bergers pour le ciel,
ceux-ci se disaient entre eux :
« Allons jusqu’à Bethléem pour voir ce qui est arrivé,
l’événement que le Seigneur nous a fait connaître. »
Ils se hâtèrent d’y aller, et ils découvrirent Marie et Joseph,
avec le nouveau-né couché dans la mangeoire.
Après avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant.
Et tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce que leur racontaient les bergers.
Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur.
Les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu
pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été annoncé.
Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements. Luc 2, 15-20e
Vous pensez bien que les anges, par politesse et discrétion, la nuit de Noël, n’avaient pas voulu déranger tous ceux qui dormaient. Ils s’étaient d’abord adressé aux bergers, des veilleurs de nuit comme de jour : « Ne craignez pas, voici que je vous annonce une bonne nouvelle, leur avaient-ils dit. » Les anges connaissent bien des secrets. Ils savaient que le Sauveur serait le Berger d’Israël, le berger de l’humanité, le bon Pasteur. Pas étonnant, donc, qu’ils soient les premiers avertis de la naissance du sauveur et les premiers à lui rendre visite dès l’aurore. Et quelle surprise sans doute pour eux d’apprendre que l’événement avait eu lieu dans un de leurs abris, en la personne d’un nouveau-né !
Les bergers sont des veilleurs. Ils ne dorment toujours que d’un œil, car ils craignent les agressions nocturnes des bêtes sauvages. Ils savent soigner et prendre soin. Tous les prophètes en ont parlé. Ils prennent soin de chaque brebis de leur troupeau. Ils les appellent chacune par son nom. Ils fortifient celle qui est chétive, guérissent celle qui est malade, font un bandage à celle qui a une patte cassée, ramènent celle qui s’est égarée, recherchent celle qui est perdue. (Ez 34, 4-5) Ils portent les agneaux sur leur cœur. Ils se comportent comme des sauveurs. Les anges savaient donc que les bergers seraient heureux de reconnaître en l’enfant qui venait de naître, l’agneau de Dieu, le futur Pasteur et sauveur de l’humanité. Lui que Marie avait emmailloté et couché dans une mangeoire.
En ce matin de Noël, beaucoup peut-être ne dorment que d’un œil comme les bergers, parce que leur cœur est en éveil, parce qu’ils attendent paisiblement un heureux événement ou parce qu’il vient d’avoir lieu. Ou parce qu’ils sont angoissés à juste titre par les soucis de la vie : le deuil, la maladie, le manque de travail, l’inquiétude pour un proche, l’absence d’un être aimé. Ou encore parce qu’ils sont de service et veillent sur des malades. Qu’ils accueillent le message des anges de Noël. Qu’ils se réjouissent. Qu’ils contemplent Marie et Joseph face à ce petit enfant en train de naître : tous deux n’étaient guère rassurés eux non plus. Dieu partage leur inquiétude, et qui plus est, fait des lève-tôt et des travailleurs de nuit les premiers messagers de sa Bonne Nouvelle.
C’est depuis cette nuit de Noël que tous ceux et celles qui ont un cœur de berger, un souci cordial des autres, un souci des plus pauvres, des plus petits, et qui savent encore les porter comme des agneaux sur leur cœur, peuvent être considérés comme des anges de Dieu, car ils sauvent l’honneur de l’humanité. Ils sont les plus qualifiés pour recevoir mission et charge de pasteurs au milieu de leurs frères et sœurs. D’ailleurs les anges les reconnaissent comme étant des leurs, puisque c’est à eux qu’ils confient d’être les premiers messagers de Noël, les premiers évangélistes. A eux de prendre le relais et d’annoncer sur la terre dès l’aurore ce que chantent les anges au plus haut des cieux.
L’auteur du livre de l’Apocalypse, quand il s’adresse aux Églises d’Asie mineure, qualifie les évêques-pasteurs d’anges de leurs Églises. Beau programme pour tous ceux et celles qui acceptent un travail pastoral, un travail d’anges annonceurs de la Bonne Nouvelle et de bergers veilleurs et soigneurs, au service de l’Église et de sa mission dans le monde : veilleurs attentifs aux besoins des autres, présents là où surgit la nouveauté de Dieu qui se fait homme.
Bienheureux en ce matin de Noël, celles et ceux qui ont un cœur de berger et de bergère, qui ont souci de porter le souci des autres, eux dont le cœur est toujours en éveil. A eux s’adressent les anges de Noël parce qu’ils leur ressemblent un peu. Mes messagers de Dieu se doivent d’être toujours prêts à accomplir leur mission, puisqu’ils sont au service de celui qui fait toutes choses nouvelles, de nuit comme de jour, au crépuscule comme à l’aurore, celui qui n’a d’autre souci que de manifester sa bonté et son amour pour l’humanité. Il ne vient pas en justicier mais en berger et n’est poussé que par son immense miséricorde, comme l’écrit saint Paul à Tite.
Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes,
il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes,
mais par sa miséricorde. Par le bain du baptême,
il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint.
Cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous en abondance,
par Jésus Christ notre Sauveur, afin que, rendus justes par sa grâce,
nous devenions en espérance héritiers de la vie éternelle. Tite 3,4-7
« La mère de Jésus gardait dans son cœur tous ces événements », écrit saint Luc. (2, 51) Que l’attitude de Marie marque pour chacun et chacune tous ces jours du temps de Noël et de l’Épiphanie. Comme elle, conservons précieusement au plus profond de notre cœur pour le méditer, ce grand mystère qui est le fondement de notre foi. Ce qu’avait prédit et annoncé solennellement le prophète Isaïe se réalise de manière étonnante dans une ambiance de naissance.
Voici que le Seigneur se fait entendre jusqu’aux extrémités de la terre :
Dites à la fille de Sion : Voici ton Sauveur qui vient ;
avec lui, le fruit de son travail, et devant lui, son ouvrage.
Eux seront appelés « Peuple-saint », « Rachetés-par-le-Seigneur »,
et toi, on t’appellera « La-Désirée », « La-Ville-qui-n’est-plus-délaissée ».
Isaïe 62, 11-12
Evangile selon saint Matthieu -Mt 1, 1-25