Nous voici rendus au cinquantième jour après Pâques. Celui du rassemblement à Jérusalem d’une foule innombrable pour l’une des grandes fêtes juives, celle du don de la Loi au Sinaï. Les chrétiens ont repris cette date pour fêter l’irruption de l’Esprit Saint sur l’assemblée des disciples de Jésus qui sortent du Cénacle pour témoigner de lui en public. Saint Luc présente cet événement dans le cadre d’une grande mise en scène qui souligne son caractère important. Elle marque la naissance de l’Église à la dimension universelle de sa mission au souffle de l’Esprit. Un événement qui sera suivi, dans le livre des Actes des apôtres, de beaucoup d’autres plus discrets. Ils correspondront à des étapes diverses de l’ouverture de l’Église à l’universalité de la Bonne Nouvelle du salut en Jésus mort et ressuscité.
Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.
Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent :
la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu,
qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux.
Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues,
et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux,
venant de toutes les nations sous le ciel.
Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait,
ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion
parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient :
« Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
Comment se fait-il que chacun de nous les entende
dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie,
de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie,
de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte
et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage,
Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes,
tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
Ac 2, 1-11
Deux aspects de l’événement de Pentecôte. D’abord le bouleversement vécu par les disciples de Jésus réunis. Un violent coup de vent qui ébranle et remplit la maison et souffle sur eux. Puis les langues de feu qui tombent sur chacun et le fait parler une langue autre que la sienne.
Un bouleversement vécu aussi par la foule rassemblée qui entend « une voix » annonciatrice des merveilles de Dieu. Une voix unique qui s’exprime de façon polyphonique ! Tous les gens rassemblés peuvent se comprendre et fraterniser dans leurs différences de langages et de cultures : « dans leur propre dialecte, leur langue maternelle ». Ce qui sème à la fois la confusion et la communion. Tous s’étonnent d’un changement et d’une nouveauté qui surgissent en eux et autour d’eux. Les voilà tous bilingues ! À leur langue maternelle particulière s’ajoute une langue nouvelle. Celle qui est l’expression d’une culture spirituelle neuve, celle de la communion fraternelle et universelle inaugurée par l’Esprit de Jésus.
L’événement de Pentecôte à Jérusalem est semblable à celui du Sinaï pour le don de la Loi à Moïse et adressée au peuple d’Israël. Mais cette fois, il s’agit du don de l’Esprit Saint. Il est accordé à chacun des disciples de Jésus pour qu’il annonce l’Évangile à tous les peuples du monde et place la Loi sous le signe de l’amour et de la grâce (Mt 5, 17-19). C’est la réalisation de ce qu’avaient annoncé Jérémie et Ézéchiel : « Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai sur leur cœur » (Jr 31, 33), « Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles. Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau ». (Ez 36, 26-27)
L’événement de Pentecôte est un événement de communication neuve. Dans le texte de Luc reviennent les mots : « langue » cinq fois (au sens de langage), cinq fois les verbes « parler, s’exprimer, proclamer », et cinq fois le verbe « entendre ». Ce qui se passe à la Pentecôte n’est pas une glossolalie. Celle-ci est un phénomène qui se produit dans certains groupes religieux quand les adeptes, sous le coup d’extases et de transes, prononcent des mots incompréhensibles pour ceux qui les entendent. Ici l’étonnement des acteurs est double. Les disciples parlent d’autres langues que la leur, et les gens rassemblés à Jérusalem entendent et comprennent ce qu’ils disent, dans leur langue maternelle. La culture spirituelle nouvelle instaurée par le don de l’Esprit marque donc la fin d’un régime d’incompréhension mutuelle entre les humains. Au sein même de la différence linguistique se manifeste ainsi une communion qui se fonde sur une louange commune. L’Esprit inspire à tous un langage de feu qui brûle le cœur de chacun. Les différences ne font plus obstacle à la fraternité, mais au contraire chacun se met à comprendre la langue des autres dans la sienne.
Ce que proclament les disciples est essentiel dans le texte. Luc le rapporte ici et le redira sans arrêt dans ses écrits : tous proclament, chantent les merveilles de Dieu. Celles qu’il a accomplies en venant partager l’existence humaine commune en son Fils Jésus de Nazareth, mort et ressuscité, pour sauver l’humanité. En témoignent des gens qui viennent de Galilée – cette lointaine périphérie, ce pays de l’ombre et de la mort – et non de Jérusalem. Ces disciples de Jésus sont « des hommes sans instruction et des gens quelconques » (Ac 4,13) qui ne sont ni scribes ni chefs religieux. Leur témoignage touche au cœur ceux qui les entendent, et les rejoint dans leur culture et leur vie sociale. Les merveilles de Dieu que proclament les disciples de Jésus sont sources de joie, de tendresse et d’amitié, de pardon et de fraternité, de paix et de justice. Dans l’Évangile selon saint Jean, Jésus nomme l’Esprit le Défenseur.
Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père,
lui, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur.
Et vous aussi, vous allez rendre témoignage,
car vous êtes avec moi depuis le commencement.
J’ai encore beaucoup de choses à vous dire,
mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter.
Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité,
il vous conduira dans la vérité tout entière.
En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même :
mais ce qu’il aura entendu, il le dira ;
et ce qui va venir, il vous le fera connaître.
Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi
pour vous le faire connaître.
Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit :
L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître.
Jn 26-27 ; 16 12-15
L’Esprit qu’envoie Jésus défend et protège à la droite de Dieu les humbles, les pauvres, les justes, et même les pécheurs accusés par l’esprit du mal, – « celui qui les accuse jour et nuit devant Dieu » – (Apoc 12, 10). Il prend leur défense contre l’esprit du mal qui accuse parfois aussi leur cœur (1 Jean 3, 20) et les détourne de croire en l’amour de Dieu, d’espérer en lui, et d’espérer en eux-mêmes. Aujourd’hui, comment accueillir dans son actualité cet événement de Pentecôte ?
Comme l’écrit saint Paul aux Galates, « puisque l’Esprit les fait vivre, qu’ils se laissent conduire par l’Esprit ! ». Les fruits de l’Esprit dont il parle présentent un beau programme de vie spirituelle.
Je vous le dis : marchez sous la conduite de l’Esprit Saint,
et vous ne risquerez pas de satisfaire les convoitises de la chair.
Car les tendances de la chair s’opposent à l’Esprit,
et les tendances de l’Esprit s’opposent à la chair.
En effet, il y a là un affrontement
qui vous empêche de faire tout ce que vous voudriez.
Mais si vous vous laissez conduire par l’Esprit,
vous n’êtes pas soumis à la Loi.
On sait bien à quelles actions mène la chair :
inconduite, impureté, débauche,
idolâtrie, sorcellerie, haines, rivalité, jalousie, emportements,
intrigues, divisions, sectarisme,
envie, beuveries, orgies et autres choses du même genre.
Je vous préviens, comme je l’ai déjà fait :
ceux qui commettent de telles actions
ne recevront pas en héritage le royaume de Dieu.
Mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté,
bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi.
En ces domaines, la Loi n’intervient pas.
Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair,
avec ses passions et ses convoitises.
Puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit.
Ga 16-25
Un souhait de Pentecôte pour notre temps.
Que vienne sur les Églises et sur chaque chrétien, l’Esprit de Pentecôte.
Qu’ils sortent du mutisme et prennent la parole.
On s’habitue vite et facilement à se terrer et à se taire, pour diverses raisons.
La transmission de l’Évangile et de la Foi n’a aucun avenir,
si les chrétiens se taisent, n’apprennent pas ensemble à témoigner.
Qu’ils sortent de leurs cénacles,
des lieux où la tentation est grande de rester entre eux.
Qu’ils entrent en dialogue et en conversation avec les autres,
ceux qui ne parlent pas leur langue, ou même s’ils le font,
ne mettent pas les mêmes réalités sous les mêmes mots,
qui ne sont pas du même bord ni du même avis.
Qu’ils cherchent avec eux
dans la langue maternelle de leur humanité commune
en quoi ce qui les rejoint, les touche, les intéresse.
Qu’ils commencent toujours par bénir, par dire du bien,
par raconter les merveilles de Dieu dans leur « aujourd’hui ».
Celles dont ils sont témoins dans la vie du monde
et des gens qui les entourent,
quelles que soient leurs opinions et croyances.
Et cela non pas de manière béate mais réaliste,
sans oublier toutes les nuits du malheur, des divisions, de la souffrance.
Car l’Esprit de Pentecôte est à l’œuvre dans les nuits les plus noires,
qui animait le Christ en ses épreuves.
Evangile selon saint Jean – Jn7, 37-39