Chaque année, la liturgie propose pour le dimanche de Pâques le récit de l’Evangile selon saint Jean dans le chapitre 20, mais elle indique que l’on peut choisir aussi l’Evangile de la vigile pascale. Voici le récit de saint Luc.
Le premier jour de la semaine, à la pointe de l’aurore,
les femmes se rendirent au tombeau,
portant les aromates qu’elles avaient préparés.
Elles trouvèrent la pierre roulée sur le côté du tombeau.
Elles entrèrent, mais ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.
Alors qu’elles étaient désemparées,
voici que deux hommes se tinrent devant elles en habit éblouissant.
Saisies de crainte, elles gardaient leur visage incliné vers le sol.
Ils leur dirent : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ?
Il n’est pas ici, il est ressuscité.
Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée :
“Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs,
qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite.” »
Alors elles se rappelèrent les paroles qu’il avait dites.
Revenues du tombeau, elles rapportèrent tout cela aux Onze et à tous les autres.
C’étaient Marie Madeleine, Jeanne, et Marie mère de Jacques ;
les autres femmes qui les accompagnaient disaient la même chose aux Apôtres.
Mais ces propos leur semblèrent délirants, et ils ne les croyaient pas.
Alors Pierre se leva et courut au tombeau ;
mais en se penchant, il vit les linges, et eux seuls.
Il s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé.
Luc 24, 1-12
A la lecture de ce texte, apparaît un contraste saisissant entre l’attitude des femmes et celle des hommes qui ont suivi Jésus et ont été ses disciples. Tous ont cru en lui de son vivant, mais leur foi semble s’être éteinte face à sa Passion et à sa mort. Le récit de Luc ouvre des perspectives importantes en ce qui concerne la naissance à la foi chrétienne. Comme si cette naissance était différente chez les hommes et chez les femmes. Jésus s’est montré libre et accueillant vis-à-vis des femmes. Face à sa Passion et sa mort, les femmes disciples ont réagi avec compassion et de manière plus active. Celles de Jérusalem ont pleuré en le voyant porter sa croix. Les femmes qui accompagnaient Jésus depuis la Galilée ont suivi Joseph d’Arimathie et regardé le tombeau pour voir comment le corps avait été placé. Le premier jour de la semaine, de grand matin, ces femmes se sont rendues au sépulcre, portant les aromates qu’elles avaient préparés pour honorer son corps. Elles ont été touchées et marquées peut-être par son attitude face à la misère corporelle des malades, des infirmes, des pécheurs. Elles l’ont perçu comme un homme miséricordieux plus qu’un Messie révolutionnaire.
Quand les femmes rapportent aux Onze les propos des anges, ceux-ci les prennent pour des folles. Ils avaient déjà oublié cette prédiction de Jésus ! Pour les marcheurs d’Emmaüs, pour Pierre et pour d’autres encore, il faudra que Jésus lui-même vienne faire œuvre de mémoire et de relecture dans leur cœur, leur marche et leurs repas. Cela pourrait donner à penser que les femmes sont plus aptes à garder en mémoire les événements les plus profonds, les plus essentiels. Les plus mystérieux et merveilleux de l’existence humaine, qu’elles vivent autrement que les hommes, dans leur corps et dans leur cœur. Ceux qui concernent la vie, l’amour, la mort. Leurs attentes ne sont pas les mêmes. Marie retenait tous ces événements et en cherchait le sens, avait noté saint Luc à la naissance de Jésus, et encore lors de sa fugue à Jérusalem.
Le Christ a fait œuvre de résurrection, à la fois de force et de tendresse, d’exigence par rapport à la vérité et la justice, de compassion vis-à-vis des pauvres, des malades, des pécheurs. Il a affronté et parfois contesté des gens de pouvoir et de savoir. Mais il n’a pas manifesté sa puissance en faisant pression, en faisant violence. C’est une force intérieure qui l’habitait. Il parlait avec autorité mais ne se montrait pas autoritaire. Il ne traitait pas ses disciples comme des serviteurs soumis à ses ordres, mais respectait leur liberté et se mettait à leur service. L’attirance des disciples à son égard était d’abord fondée sur sa personne, perçue comme venant combler des attentes, réaliser les projets et les désirs messianiques, renforcer la vision d’un Dieu puissant et juste.
Puis est survenu pour eux le choc provoqué par sa mort sur la croix. Ils ont vécu cet événement comme un scandale et un échec, provoquant leur désertion et l’éclatement de leur groupe tandis que les responsables religieux – tous des hommes ! –, ont triomphé, satisfaits d’avoir sauvé l’honneur de Dieu, et de leur religion en faisant supplicier et assassiner un innocent qu’ils trouvaient dangereux. Luc est l’évangéliste qui met le plus en relief cette différence de réactions face à la mort de Jésus. Lors de la Cène déjà, il a souligné les malentendus entre Jésus et ses amis. Ils se sont querellés au moment où Jésus faisait don de sa vie durant la Cène, se sont endormis au moment de son agonie. Judas l’a livré, Pierre l’a renié lors de son procès. Lors de sa visite au tombeau, il ne voit que le linceul mais pas le ressuscité. Comme lui, les autres disciples se sont enfermés dans leur vision de ce que devait accomplir le Messie, et Jésus a déçu leurs espérances à ce sujet, comme le diront, dans la suite du récit de Luc, Cléophas et son compagnon quittant Jérusalem.
« Le fait que les auteurs et les inspirateurs des Évangiles y fassent piètre figure, s’y attribuent le mauvais rôle, alors qu’ils attribuent un rôle merveilleux aux femmes est l’un des signes les plus sûrs de l’honnêteté et de la vraisemblance historique des Évangiles. Qui aurait permis que soit conservée de mémoire impérissable l’histoire honteuse de leur peur, de leur fuite, de leur reniement, aggravée encore par la confrontation avec la conduite si différente de quelques pauvres femmes ? Qui l’aurait permis, s’il n’y avait pas été conduit par la fidélité à une histoire qui semblait désormais infiniment plus grande que leur propre misère ? » (P. Cantalamessa)
Luc est l’évangéliste le plus « angélique » ! C’est un ange qui avait annoncé à Zacharie la naissance de Jean Baptiste, à Marie la naissance de Jésus. Le premier n’avait pas cru et était devenu muet, tandis que Marie avait dit son « oui ». C’est un ange qui avait annoncé aux bergers qu’il leur était né un sauveur. C’est aussi un ange qui avait réconforté Jésus en son agonie. Et ce sont des anges encore qui ont annoncé aux femmes sa résurrection. Mais voici que pour cette annonce, curieusement, les anges descendent du ciel et se présentent à elles comme des humains habillés de vêtements éblouissants.
Saint Pierre témoigne de son attachement à l’homme Jésus et au Christ ressuscité. Arrivé à Césarée chez Corneille, un centurion de l’armée romaine, il proclame devant une première communauté chrétienne naissante chez les non-juifs l’essentiel et le fondement de la foi. Ami et disciple de Jésus, il témoigne de son œuvre de salut et de sa résurrection. On peut considérer ce qu’il dit comme une magnifique présentation de la foi chrétienne.
En vérité, je le comprends, Dieu est impartial :
il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint
et dont les œuvres sont justes.
Telle est la parole qu’il a envoyée aux fils d’Israël,
en leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus Christ,
lui qui est le Seigneur de tous.
Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs,
depuis les commencements en Galilée, après le baptême proclamé par Jean :
Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance.
Là où il passait, il faisait le bien
et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable,
car Dieu était avec lui.
Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait
dans le pays des Juifs et à Jérusalem.
Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice,
Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester,
non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance,
à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts.
Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner
que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts.
C’est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage :
Quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon de ses péchés. »
Saint Paul, qui rattache la célébration de la Pâque chrétienne à celle de la Pâque juive, en présentant le Christ comme le véritable agneau pascal, nous rappelle que, ressuscités avec le Christ par le baptême, nous devons vivre de sa vie nouvelle, et il nous invite à regarder en avant dans l’attente de son retour.
Frères, ne savez-vous pas qu’un peu de levain suffit
pour que fermente toute la pâte ?
Purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle,
vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté.
Car notre agneau pascal a été immolé : c’est le Christ.
Ainsi, célébrons la Fête, non pas avec de vieux ferments,
non pas avec ceux de la perversité et du vice,
mais avec du pain non fermenté, celui de la droiture et de la vérité.
1 Co 5, 6b-8
Evangile selon saint Jean – Jn 20, 1-9