De même que les quatre évangiles ont présenté l’événement pascal à leur manière, de même chaque année, la fête de Pâques est vécue et célébrée de façon différente en chaque communauté chrétienne naissante. Le récit de saint Marc que nous lisons dans la vigile pascale n’est pas des plus réjouissants. Quand tout va bien, quand règne la paix c’est facile de se réjouir. Mais lorsque l’on traverse les épreuves, la joie et l’espérance pascales se présentent comme des défis. Quand les chrétiens étaient persécutés, quand ils étaient menacés de disparition et n’étaient qu’un tout petit nombre parmi une multitude hostile, l’annonce de la résurrection n’arrivait pas toujours à évacuer la peur. La situation de la communauté chrétienne de Rome quand Marc écrivait sans doute son Évangile vers 70, vivait des heures difficiles. La persécution de Néron se déchaînait et les chrétiens servaient de torches vivantes pour éclairer les réjouissances qu’il organisait. Pierre et Paul venaient de mourir martyrs, et les témoins de la foi disparaissaient. A Jérusalem, au terme de quatre années d’insurrection juive, Jérusalem succombait et le Temple était détruit, ce qui provoquait une dispersion du peuple juif mais aussi des chrétiens.
Le sabbat terminé, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques,
et Salomé achetèrent des parfums pour aller embaumer le corps de Jésus.
De grand matin, le premier jour de la semaine,
elles se rendent au tombeau dès le lever du soleil.
Elles se disaient entre elles :
« Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? »
Levant les yeux, elles s’aperçoivent qu’on a roulé la pierre,
qui était pourtant très grande.
En entrant dans le tombeau, elles virent, assis à droite,
un jeune homme vêtu de blanc. Elles furent saisies de frayeur.
Mais il leur dit : « Ne soyez pas effrayées !
Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ?
Il est ressuscité : il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé.
Et maintenant, allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit.” »
Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau,
parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes.
Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.
Mc 13 1-8
Marc adopte un ton dramatique, et selon les exégètes, son évangile se termine sur la phrase « elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur ». Une fin étonnante pour un évangile qui est par définition un récit de Bonne Nouvelle. Une fin qui dérange aussi, à tel point que plus tard, l’on a ajouté un épilogue pour gommer la noirceur du propos et offrir aux lecteurs une fin plus réjouissante et plus dynamique. Dans les lectionnaires on indique discrètement que l’on peut éviter le verset 8 – celui qui évoque la peur et la fuite des trois femmes – si l’on choisit la lecture brève. (Comme si deux lignes de plus allongeaient un récit déjà bref et concis !) Peut-être craint-on que cette conclusion apparaisse choquante, fasse peur aux chrétiens d’aujourd’hui, les fasse fuir, et les pousse au silence ?
Ces femmes disciples de Jésus sont remplies de frayeurs. Tremblantes et hors d’elles-mêmes, elles se sont enfuies du tombeau et elles ne disent rien à personne alors qu’un mystérieux jeune homme vêtu de blanc leur a demandé d’annoncer la nouvelle de la résurrection aux disciples. Premier mouvement de panique, sans doute. Elles ont pu par la suite se reprendre et retrouver l’audace de la parole, puisque la nouvelle a été connue et s’est répandue. Cette manière d’annoncer la résurrection est déroutante mais on peut la considérer aussi comme réconfortante. La foi n’abolit ni le doute, ni la peur panique, tout ne s’achève pas par des « happy-end » à l’eau de rose.
On peut comprendre et partager la peur de ces femmes. Mais ce qui leur apparaît effrayant n’est-il pas justement une fin plus heureuse qu’elles croyaient, à laquelle elles ne s’attendaient pas ? La tentation est grande de prétendre expliquer la résurrection comme des retrouvailles heureuses entre le corps et l’âme, une réincarnation, une survivance de l’esprit dans les descendants, un évanouissement ou un accomplissement dans un panthéisme… L’annonce de la résurrection ne peut être reçue que dans la foi “nue”. L’expérience qu’en ont faite les premiers croyants est déroutante, autant qu’avaient été la vie et la Passion de Jésus. L’expérience d’un saisissement devant l’inouï de l’événement, autant que celle d’une grande joie. Un coup de tonnerre sur le monde et dans leur cœur, écrivait saint Jean. N’attendons pas qu’il en aille autrement pour nous.
Quelles sont pour chacun et chacune les couleurs de la fête de Pâques cette année ? Cela dépend sans doute de ce que nous sommes en train de vivre, de notre âge, de nos épreuves, des gens que nous aimons qui viennent de mourir ou qui vont mourir, de nos joies ou de nos angoisses devant l’avenir, en ces temps de crises et de guerres. Quelles sont nos peurs devant la mort, et aussi nos peurs devant la vie en ces temps difficiles ?
Que la dimension dramatique de ce que nous pouvons vivre personnellement et que vit notre époque n’entame pas en nous la joyeuse espérance. Jésus est ressuscité, mais cela ne lui pas évité de traverser la passion et la mort, d’avoir peur lui aussi, l’âme triste jusqu’à la mort et suant des gouttes de sang. Il n’a pas eu peur de vivre, de libérer, de parler librement, d’être un homme debout, en marche, et il a vaincu la peur de mourir.
Quelles sont les couleurs de la fête de Pâques pour nos communautés chrétiennes ? Elles peuvent ne pas ressembler au groupe de ces trois femmes modestes et effacées, soucieuses de la dignité d’un crucifié, remplies d’appréhension et de peur, ne se doutant pas que la Nouvelle qu’on leur demandait d’annoncer devait bouleverser l’histoire humaine et susciter une espérance immortelle. Aujourd’hui encore, quels que soient les troubles du monde ou de notre cœur, le Christ ressuscité nous demande de garder confiance, de garder nos portes ouvertes à l’espérance. Jésus nous précède toujours dans toutes les « Galilée » où vivent et souffrent les hommes et femmes de bonne volonté, où ils croient en la vie et travaillent pour la justice et la paix.
Le récit des Actes des apôtres nous présente le témoignage de la résurrection de Jésus par saint Pierre qui a quitté Jérusalem où les responsables religieux juifs ont rejeté ses déclarations. Le voilà en compagnie d’un centurion qui l’accueille et croit en Jésus ressuscité. Après le centurion de saint Marc voici celui de saint Luc ! Deux personnages qui représentent l’accueil du message évangélique dans le monde païen. Le texte des Actes des apôtres est important. Pierre proclame sous la forme de son témoignage la profession de foi des apôtres, des premiers chrétiens. Nous pouvons le considérer comme un Credo premier de la foi pour nous aujourd’hui.
Quand Pierre arriva à Césarée chez un centurion de l’armée romaine
il prit la parole et dit : « En vérité, je le comprends, Dieu est impartial :
il accueille, quelle que soit la nation,
celui qui le craint et dont les œuvres sont justes.
Telle est la parole qu’il a envoyée aux fils d’Israël,
en leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus Christ,
lui qui est le Seigneur de tous.
Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs,
depuis les commencements en Galilée,
après le baptême proclamé par Jean :
Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance.
Là où il passait, il faisait le bien
et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable,
car Dieu était avec lui.
Et nous, nous sommes témoins
de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem.
Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice,
Dieu l’a ressuscité le troisième jour.
Il lui a donné de se manifester,
non pas à tout le peuple,
mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance,
à nous qui avons mangé et bu avec lui
après sa résurrection d’entre les morts.
Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple
et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts.
C’est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage :
Quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon de ses péchés. »
Ac 10, 34a.37-43
Les deux textes de saint Paul présentés ce dimanche de Pâques sont des exhortations joyeuses et chaleureuses.
Frères, ne savez-vous pas qu’un peu de levain suffit
pour que fermente toute la pâte ?
Purifiez-vous donc des vieux ferments, et vous serez une pâte nouvelle,
vous qui êtes le pain de la Pâque, celui qui n’a pas fermenté.
Car notre agneau pascal a été immolé : c’est le Christ.
Ainsi, célébrons la Fête, non pas avec de vieux ferments,
non pas avec ceux de la perversité et du vice,
mais avec du pain non fermenté, celui de la droiture et de la vérité.
1 Co 5, 6b-8
Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ,
recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ,
assis à la droite de Dieu.
Pensez aux réalités d’en haut, non à celles de la terre.
En effet, vous êtes passés par la mort,
et votre vie reste cachée avec le Christ en Dieu.
Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi,
vous paraîtrez avec lui dans la gloire.
Col 3 1-4
Evangile selon saint Jean – Jn20, 1-9