Dt 26, 4-10 ; Ps 90 (91), 1-2, 10-11, 12-13, 14-15ab ; Rm 10, 8-13 ; Lc 4, 1-13
Homélie retranscrite à partir d’un enregistrement
Chers amis,
Nous voici réunis pour célébrer cet appel décisif. Mais, quel est le sens de cet appel ? Aujourd’hui, comme vous pouvez le constater, c’est l’évêque qui appelle dans la cathédrale. Et, si j’appelle, ce n’est pas en mon nom, mais en tant que successeur des apôtres : je vous appelle au nom du Christ, car c’est le Christ qui vous appelle. D’où l’importance du nom qui est donné et qui sera notifié tout à l’heure dans les registres, car le Seigneur nous appelle par notre nom parce qu’Il nous aime. Et vous conviendrez que le premier aspect de l’amour est bien d’appeler quelqu’un par son nom, de le reconnaître. C’est Jésus donc qui nous appelle à mettre notre foi en Lui et à le suivre sur le chemin de la vie.
En lisant vos lettres, j’ai été frappé par l’attirance que vous exprimez, qu’elle soit une joie intérieure, un désir de mieux connaître la foi chrétienne ou une paix intérieure. Cette expérience spirituelle que vous avez vécue à un moment de votre vie était déjà le Seigneur qui vous appelait. Il mettait dans votre cœur ce désir de venir le rejoindre. Cette célébration confirme l’appel que le Seigneur vous avait déjà adressé au fond de votre cœur et que vous avez exprimé dans vos lettres.
Pourquoi cet appel est-il décisif ? Vos accompagnateurs attestent que vous avez bien cheminé. Ils ont discerné le travail de l’Esprit Saint en vous et sont capables de dire : « Vous pouvez comprendre pleinement ce que signifie devenir chrétien et êtes prêts à accueillir le don de Dieu dans les sacrements de l’initiation chrétienne pour devenir des disciples de Jésus. » Cet appel est décisif, car, après avoir lu vos lettres, j’ai donné mon accord pour que vous puissiez être baptisés. Vous entrez maintenant dans cette ultime préparation. Cela ne signifie pas que vous êtes déjà de parfaits chrétiens et personne ne l’est, mais que vous pouvez vous mettre en route. La course du Vendée Globe s’est terminée ces jours-ci. Je comparerais bien l’appel décisif au moment où nous vérifions avant le départ que le navire est bien prêt, avec toutes les réserves nécessaires, que le skipper est bien entraîné, que tout est en ordre pour partir et affronter les mers, les calmes plats, les tempêtes, les obstacles, les avaries… L’existence est faite de tout cela, et l’important est de savoir si nous sommes prêts à affronter ces défis. À la différence du Vendée Globe, ce n’est pas une course en solitaire. C’est même tout le contraire : nous cheminons tous ensemble, avec vos accompagnateurs, en Église. C’est toute l’Église qui nous accompagnera dans notre vie. Si nous sommes proches et amis du Seigneur dans cette vie, nous le serons aussi pour toujours, au-delà de la mort. Rien ne pourra l’empêcher.
Cet appel décisif ouvre une ultime préparation durant ce Carême, qui dure quarante jours. Pourquoi quarante jours ? Parce que Jésus, comme nous l’avons entendu dans l’Évangile, a vécu pendant quarante jours ce temps du désert. Un temps pour ajuster notre vie concrète à notre foi. Saint Paul nous dit : « Si de ta bouche tu affirmes que Jésus est Seigneur, si dans ton cœur tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé ». Saint Paul parle ici beaucoup de la bouche et du cœur. À première vue, on ne voit pas bien la différence. Que veut-il dire par là ? Il est toujours possible de dire avec la bouche que nous sommes très croyants. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi que toute notre vie soit en cohérence avec notre foi. C’est le cœur qui irrigue toute notre vie, notre corps, notre amour pour les autres. Toute notre existence est donc appelée à être transformée par l’amour du Seigneur et nourrie par son Évangile. C’est pourquoi saint Paul ajoute : « C’est avec le cœur que l’on croit pour devenir juste. » Le Carême a pour but de nous convertir, de corriger tout ce qui, dans notre manière de vivre, est en contradiction avec notre foi, avec l’Évangile. Le Carême doit nous aider à discerner (avec l’aide des autres et de l’Église, avec les textes de la Parole de Dieu qui sont proposés pendant le Carême) ce que nous devons changer. Il nous aide aussi à accueillir la force de Dieu pour vivre cette conversion. C’est le sens des scrutins que vous célébrerez en paroisse à partir du troisième dimanche de Carême. Le Seigneur scrute notre vie et nous donne la force de nous convertir en nous libérant du mal.
Pendant le Carême, quels sont les moyens concrets que l’Église nous donne pour nous aider à vivre ce chemin ? Le jeûne, la prière, le partage, qui sont des attitudes très classiques et efficaces.
Le jeûne n’est pas une cure d’amaigrissement. Dans l’Évangile, Jésus jeûne quarante jours et cela le met en situation pour affronter les manœuvres du diable qui cherchent à le rendre infidèle à son Père et à sa mission. Jeûner fait entrer Jésus dans le combat spirituel et par ce chemin au désert, il nous montre le chemin que nous devons nous-mêmes suivre. Jeûner, c’est se libérer de nos addictions : à la nourriture, aux écrans, à l’alcool, peut-être à la drogue, à certains sites Internet nuisibles, à nos mauvaises habitudes, aux relations conflictuelles. Toutes ces choses qui font que nous ne sommes pas vraiment libres ! En jeûnant, nous prenons conscience de nos addictions, de nos manques d’amour. C’est un moment important pour nous aider à nous rapprocher du Seigneur.
Le jeûne n’a de sens que s’il s’accompagne de la prière. Le jeûne, la prière et le partage vont ensemble. La prière, c’est la relation avec le Seigneur. Il faut prendre plus de temps pour la prière pendant le Carême, prière personnelle, mais aussi communautaire avec les autres. Méditer la Parole de Dieu, car « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4).
Enfin, le partage, ou les œuvres de miséricorde, désigne l’amour du prochain sous toutes ses formes : les efforts d’amour, la générosité envers ceux qui sont dans le besoin, la réconciliation avec ceux qui nous ont blessés ou que nous avons blessés, la visite des malades, des personnes seules. Toutes sortes d’actions qui nous sortent de nous-mêmes et nous tournent vers les autres et vers le Seigneur.
En nous engageant résolument dans ces moyens de Carême, il y aura beaucoup d’effets, et cela nous aidera à nous convertir, mais nous allons aussi rencontrer beaucoup de résistance. Ce sera dur, car le diable, le diviseur qui a cherché à faire dévier Jésus de son chemin, cherchera aussi à nous faire dévier pour éviter que nous allions jusqu’au bout de notre démarche, en nous mettant dans le doute, en nous maintenant dans nos addictions destructrices, dans le rejet des autres. C’est pourquoi, dans cette célébration de l’appel décisif, nous prions pour vous en demandant au Seigneur de vous combler de sa force et de son amour, qui est plus fort que le mal et même plus fort que la mort elle-même.
Ce Carême, qui est votre ultime préparation vers le baptême, est un moment de grâce, de libération et de renouveau. Il l’est aussi pour nous, les baptisés, car chaque année nous avons besoin de recentrer notre vie sur le Christ, de nous convertir en permanence. C’est une belle étape qui nous mènera tous jusqu’à la joie de Pâques et vers votre nouvelle naissance dans le Christ. Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon