Jésus avait choisi douze apôtres : un chiffre symbolique indiquant la continuité entre eux et les douze tribus d’Israël. Après la trahison et la mort de Judas ils n’étaient plus que onze. Qui choisir pour le remplacer ? Quels critères retenir pour le choisir ? Quelle procédure adopter ? Dans les Actes des Apôtres, Pierre préside une assemblée des disciples qu’on pourrait qualifier aujourd’hui de premier concile ou synode.
En ces jours-là, Pierre se leva au milieu des frères
qui étaient réunis au nombre d’environ cent vingt personnes, et il déclara :
« Frères, il fallait que l’Écriture s’accomplisse.
En effet, par la bouche de David, l’Esprit Saint avait d’avance parlé de Judas,
qui en est venu à servir de guide aux gens qui ont arrêté Jésus :
ce Judas était l’un de nous et avait reçu sa part de notre ministère ;
puis, avec le salaire de l’injustice, il acheta un domaine ;
il tomba la tête la première, son ventre éclata,
et toutes ses entrailles se répandirent.
Tous les habitants de Jérusalem en furent informés,
si bien que ce domaine fut appelé dans leur propre dialecte Hakeldama,
c’est-à-dire Domaine-du-Sang.
Car il est écrit au livre des Psaumes :
Que son domaine devienne un désert, et que personne n’y habite,
et encore : Qu’un autre prenne sa charge.
Or, il y a des hommes qui nous ont accompagnés
durant tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous,
depuis le commencement, lors du baptême donné par Jean,
jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de nous.
Il faut donc que l’un d’entre eux devienne, avec nous,
témoin de sa résurrection. »
On en présenta deux : Joseph appelé Barsabbas,
puis surnommé Justus, et Matthias.
Ensuite, on fit cette prière : « Toi, Seigneur, qui connais tous les cœurs,
désigne lequel des deux tu as choisi
pour qu’il prenne, dans le ministère apostolique,
la place que Judas a désertée en allant à la place
qui est désormais la sienne. »
On tira au sort entre eux, et le sort tomba sur Matthias,
qui fut donc associé par suffrage aux onze Apôtres.
Ac 1, 15-17.20a.20c-26
Ce texte évoque le fonctionnement de l’Église naissante, en ce qui concerne l’exercice du ministère apostolique. Sur les cent vingt membres de l’assemblée (chiffre symbolique : 10 fois 12) on en présente deux, puis l’on tire au sort. On ignore les procédés utilisés pour le choix des deux ; tirage au sort ou élection. Curieusement ce n’est pas Joseph appelé Barsabbas et surnommé le juste qui est désigné mais Matthias dont rien n’est dit ! Deux choses sont importantes dans le texte.
D’abord, on prie le Seigneur de montrer lequel il va choisir, car l’initiative du choix et de l’investiture lui revient. Retenons le critère décisif énoncé par Pierre à qui Jésus avait confié la primauté apostolique : ne peut faire partie du groupe des Douze et ne peut témoigner de la résurrection qu’un disciple ayant accompagné Jésus durant tout le temps qui l’a précédée. Quelqu’un qui l’a vu à l’œuvre et a été témoin de tous les signes qu’il a posés, de tous ses actes de guérison, de libération, de tout son enseignement. On pourrait dire aussi : quelqu’un qui l’a vu faire œuvre de résurrection. La résurrection de Jésus a du sens par rapport à sa mort mais aussi à tout ce qui l’a précédée depuis le commencement. Ce qui prévaut quand il s’agit d’organisation synodale dans l’Église naissante et d’appels aux ministères, c’est la référence de la personne du Christ et de son œuvre rapportée par le témoignage de ses compagnons.
On considère que celui qui reçoit une charge dans l’Église se doit de se référer à toute la vie de Jésus, et pas seulement à un seul de ces moments. Ce critère de choix indiqué par saint Pierre souligne l’importance des sources apostoliques de la foi et de l’Église. Nul ne peut prétendre recevoir directement de Jésus la connaissance de sa personne et de son message et de n’en retenir que l’aspect qui lui convient. L’authenticité de la foi et de l’Église passe par la fidélité au témoignage des Douze et des témoins appelés apôtres. Faute de quoi, on peut trahir la réalité de la personne, de la vie, de la mort, de la résurrection du Christ et présenter une fausse image de lui. On peut inventer ou romancer aussi toutes sortes d’événements. Ce dont ne se priveront pas de nombreux écrits apocryphes. Des textes rapportant des événements cachés ou inventés dont on ne connaît pas les traces, ou des confidences intimes faites par Jésus à un disciple particulier.
Dans les Évangiles, saint Jean est le seul à placer une dernière prière de Jésus avant sa Passion. Celui-ci sait sa mort toute proche et exprime dans sa prière son dernier souhait, qu’on peut considérer comme le plus cher. Habituellement on prie pour celui qui va mourir. Dans le récit de Jean, c’est celui qui va mourir qui prie pour ceux qui vont rester. C’est la prière de Jésus la plus développée dans les Évangiles.
Père saint, garde-les unis dans ton nom, le nom que tu m’as donné,
pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes.
Quand j’étais avec eux, je les gardais unis dans ton nom,
le nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu,
sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Écriture soit accomplie.
Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, dans le monde,
pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés.
Moi, je leur ai donné ta parole, et le monde les a pris en haine parce qu’ils n’appartiennent pas au monde,
de même que moi je n’appartiens pas au monde.
ne prie pas pour que tu les retires du monde,
mais pour que tu les gardes du Mauvais.
Ils n’appartiennent pas au monde, de même que moi,
je n’appartiens pas au monde.
Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité.
De même que tu m’as envoyé dans le monde,
moi aussi, je les ai envoyés dans le monde.
Et pour eux je me sanctifie moi-même,
afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité
Jn 17 11b-19
Il y a plusieurs demandes dans cette prière de Jésus très riche de sens. Tout d’abord elle exprime son souci pastoral : « Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné en partage ». Ce n’est pas à lui-même ni à son épreuve qu’il pense en premier lieu, au moment de quitter ses amis, mais à eux qu’il a appelés et lui ont été confiés comme disciples. Il prie pour qu’ils gardent fidèlement le nom du Père, que lui Jésus a reçu en partage, et pour qu’ils le partagent à leur tour. Le nom du Père lui a été accordé. Qu’il repose aussi sur ses amis. Que le Père les prenne en grâce et les bénisse, qu’il veille sur eux et soit leur gardien.
Une autre demande encore : « Qu’ils soient un comme nous-mêmes nous sommes un ». Le signe essentiel que Jésus souhaite dans sa prière pour ses disciples est celui de l’unité. Ce signe est celui de la communion, dans sa double dimension. Jésus semble leur dire : Demeurez unis à moi comme je le suis au Père, et soyez unis, réconciliés entre vous. L’unité, le pardon, la conciliation et la réconciliation entre vous, quelles que soient vos différences, sont les signes qui authentifient votre union à Dieu, votre Père commun. L’unité entre vous est le signe le plus fort de la résurrection. Si vous détruisez cette unité entre vous, vous ne pouvez être ni vrais ni authentiques, quand vous parlez de Dieu, quand vous parlez à Dieu dans votre prière, quand vous témoignez de moi au milieu du monde. Cette unité dont je parle n’est pas unanimité béate mais œuvre coûteuse, au prix du sang versé. Elle ne consiste pas aimer seulement ceux qui vous aiment, ceux qui vous ressemblent, mais à aimer vos ennemis jusqu’à mourir pour eux, comme je vais le faire moi-même.
Jésus demande à son Père de consacrer ses amis « par » la vérité – non pas seulement « dans » la vérité -. Par la fidélité à la Parole du Père que lui-même leur a transmise. Ils ne doivent pas la fausser pour leur propre intérêt. La vérité dont parle Jésus n’est pas à comprendre dans un sens philosophique mais biblique. Leur manière de vivre l’unité authentifie leur témoignage rendu à Dieu. C’est elle qui fait que leur parole est vraie, fidèle à sa parole à lui, comme lui-même a été fidèle à la parole du Père.
Cette demande ressemble à la prière d’épiclèse (invocation de l’Esprit) dans la célébration des sacrements. Consacre-les par la vérité au moment où je les envoie dans le monde. La nouvelle traduction du missel a respecté le texte grec qui ne dit pas « consacre-les », mais « sanctifie-les ». Il y a une nuance importante entre « rendre sacré, et rendre saint ». On considère volontiers les objets ou les personnes consacrés comme des « tabous », retirés ou séparés du monde profane, investis d’un pouvoir magique. Quand on dit que Dieu sanctifie des personnes, cela veut dire au contraire que lui, le seul Saint, leur communique sa propre sainteté. Jésus prie pour que l’Esprit de Dieu sanctifie ses disciples, c’est à dire les remplisse de sa puissance d’aimer, de faire vivre, de pardonner.
Plutôt que de les isoler/séparer du monde, Jésus donc les y envoie comme le Père l’y a envoyé lui-même. Il leur demande de ne pas « appartenir au monde ». Ce qui ne signifie pas s’en évader mais résister au mal et aux fausses valeurs qui l’animent. Il leur demande de se rendre proches de leurs frères et sœurs en humanité, et d’être semences d’unité dans le monde déchiré pour qu’il participe, par l’œuvre de l’Esprit Saint, à la sainteté de Dieu. Pour que le monde soit travaillé par le ferment d’unité que doit être l’Église. « L’Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain. » (Vatican 2 : Lumen Gentium n° 1)
Retenons bien cette prière de Jésus : « Qu’ils aient en eux ma joie, et en soient comblés ». L’Évangile s’achève pour ainsi dire par où il a commencé. A la prière de Marie qui a exulté au jour de l’Annonciation, fait écho la prière du Christ qui parle de sa joie au moment même où il va être livré. Le premier et dernier fruit de la foi, de l’appartenance au Christ est donc la joie, cette « joie parfaite », envers et contre tout, dont exulteront plus tard des saints de l’Église, François d’Assise par exemple ou le pape François dans ses écrits. Mais la prière de Jésus ne parle pas de joie béate, de jubilation évanescente ou extatique. C’est une joie réaliste et de grand prix, puisque c’est au cœur même de la haine du Monde, du combat contre le mal, face à sa propre mort, que Jésus demande au Père que sa joie demeure en ceux qui croient lui, et quoi qu’il arrive qu’elle ne s’éteigne jamais. Peut-être joie et sérénité sont-elles ici synonymes. Peut-être la joie dont parle Jésus est-elle une joie et une paix intérieures, au plus profond de soi. Celles qu’aucune contrariété, qu’aucun échec, aucune persécution ne sauraient ravir au disciple qui a pris le chemin du Christ. La joie qui s’enracine dans celle de Dieu, dont saint Jean nous dit dans sa Lettre que l’amour est son nom.
Bien-aimés, puisque Dieu nous a tellement aimés,
nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres.
Dieu, personne ne l’a jamais vu.
Mais si nous nous aimons les uns les autres,
Dieu demeure en nous, et, en nous, son amour atteint la perfection.
Voici comment nous reconnaissons
que nous demeurons en lui et lui en nous :
il nous a donné part à son Esprit.
Quant à nous, nous avons vu et nous attestons
que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde.
Celui qui proclame que Jésus est le Fils de Dieu,
Dieu demeure en lui, et lui en Dieu.
Et nous, nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous,
et nous y avons cru. Dieu est amour :
qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui.
1 Jn 4 11-16
Evangile selon saint Jean – Jn17, 11b-19