Nous poursuivons la lecture des enseignements de saint Jean dans sa première Lettre, et nous lisons dans son Évangile les propos de Jésus avant sa Passion.
Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni par des discours,
mais par des actes et en vérité.
Voilà comment nous reconnaîtrons que nous appartenons à la vérité,
et devant Dieu nous apaiserons notre cœur ;
car si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur,
et il connaît toutes choses.
Bien-aimés, si notre cœur ne nous accuse pas,
nous avons de l’assurance devant Dieu.
Quoi que nous demandions à Dieu, nous le recevons de lui,
parce que nous gardons ses commandements,
et que nous faisons ce qui est agréable à ses yeux.
Or, voici son commandement :
mettre notre foi dans le nom de son Fils Jésus Christ,
et nous aimer les uns les autres comme il nous l’a commandé.
Celui qui garde ses commandements demeure en Dieu, et Dieu en lui ;
et voilà comment nous reconnaissons qu’il demeure en nous,
puisqu’il nous a donné part à son Esprit.
1 Jn 3 28-24
Saint Jean a retenu de Jésus un commandement qu’il répète de façon incantatoire dans ses Lettres : celui de l’amour mutuel. C’est ce que Jésus a accompli de multiples manières, jusqu’au don de sa vie. Ce faisant, il a révélé que Dieu, son Père et notre Père, était amour. Non pas dans le sens romantique et sentimental du mot, non pas en tenant des discours platoniques, mais dans des actes concrets qui engagent toute la personne. Accomplis avec amour, ce ne sont pas des fardeaux, même s’ils sont parfois des croix lourdes à porter.
Quand nous parlons de la Résurrection de Jésus, c’est dans cette perspective que nous devons nous situer. Ceux qui ont crucifié Jésus pensaient sans doute se débarrasser de lui : ils n’avaient pas cru qu’il était l’amour personnifié, image parfaite de Dieu son Père. Ils avaient donné priorité à des commandements moraux, à des règles religieuses, à des dogmes rigides, à des rubriques rituelles. Ils avaient oublié de se référer toujours d’abord au premier commandement de leur religion : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. » (Lc 10, 27) Et à ce qui est écrit dans le « Cantique des cantiques » : « L’amour est fort comme la mort, ses traits sont des traits de feu, une flamme de Dieu. Les grandes eaux ne pourront éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger. Qui offrirait toutes les richesses de sa maison pour acheter l’amour, ne recueillerait que mépris. » (Ct 8, 6) Les chefs religieux avaient fait crucifier Jésus pour se débarrasser de lui, mais ils n’avaient pas le pouvoir d’éteindre l’amour, qui était le dynamisme de toute sa vie et le sens de sa mort. Ils n’avaient aucune prise sur le don qu’il faisait librement de sa vie et de sa mort. Certains ont pu crier au long de l’histoire humaine : Dieu est mort. Ils oubliaient que l’amour qui est en Dieu résiste à tous les haines humaines, et que rien ne peut l’éteindre. La Résurrection de Jésus est résurrection de son amour, de son Esprit en ses disciples, et en tout être humain de bonne volonté. Et cet amour se traduit dans des actes de résurrection.
Saint Jean rapporte aujourd’hui l’avant-dernière parabole de Jésus qui va affronter sa mort. La dernière évoquera celle des douleurs de l’accouchement et de la joie de donner la vie. Celle du chapitre XV aujourd’hui déploie la parabole de la vigne, des sarments et du fruit.
A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples :
Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron.
Tout sarment qui est en moi,
mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève ;
tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant,
pour qu’il en porte davantage.
Mais vous, déjà vous voici purifiés grâce à la parole que je vous ai dite.
Demeurez en moi, comme moi en vous.
De même que le sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même
s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus,
si vous ne demeurez pas en moi.
Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments.
Celui qui demeure en moi et en qui je demeure,
celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi,
vous ne pouvez rien faire.
Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est,
comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche.
Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent.
Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous,
demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous.
Ce qui fait la gloire de mon Père,
c’est que vous portiez beaucoup de fruit
et que vous soyez pour moi des disciples.
Jn 15, 1-8
Dans ce texte, deux invitations de Jésus à ses disciples : l’une à demeurer en lui, et l’autre à porter du fruit. La première expression qualifie la relation la plus forte qui soit. Le sarment n’est pas extérieur au plant de la vigne. La même sève les vivifie l’un et l’autre. Expérience que vivent ceux qui s’aiment. Dans leur cœur, l’autre est toujours à demeure. Dans le Credo nous ne disons pas « je crois Dieu ou à Dieu » mais « je crois en Dieu, en Jésus Christ, en l’Esprit Saint ». Je dépose en Dieu ma confiance, je remets mon être entre ses mains. Quand nous proclamons notre foi et ce que nous croyons, il ne s’agit donc pas d’abord de proclamer un catalogue de convictions sur la base de raisonnements ou de preuves. La foi n’est pas essentiellement un rapport intellectuel à des dogmes, à des vérités, à des affirmations abstraites. Croire en Dieu c’est vivre une relation de confiance en lui comme Père, Fils, Esprit Saint. La profession de foi est une déclaration d’amour et de confiance, dans le cadre d’une alliance et d’un don mutuels. Elle réaffirme et consolide une fidélité : nous disons et redisons « en qui nous avons mis notre foi », en qui nous avons fait notre demeure, élu spirituellement et cordialement domicile. En même temps, nous contemplons le grand mystère de notre foi : Dieu lui-même, en Jésus-Christ, a pris l’initiative d’établir en nous sa demeure, pour que nous demeurions en lui. C’est sur cet aspect relationnel que se fonderont le contenu et la réflexion théologiques chrétiennes.
Cependant, demeurer dans le Christ ne consiste pas à vivre seulement une expérience intérieure. Une expression revient cinq fois dans le texte : « Porter du fruit… en abondance ». Comment savoir si nous demeurons vraiment en Jésus Christ, si nous sommes dans la vérité ou dans le vrai ? En mesurant nos émotions, nos sentiments, en écoutant nos états d’âme, en jouissant d’extases ou de visions ? Non ! Tout simplement, en semant autour de nous, vie, joie, bienveillance, pardon. En refusant ce qui opprime, défigure ou désespère le plus petit de nos frères et de nos sœurs. En combattant le mal par le bien. Bref en vivant et en agissant à l’exemple du Christ, en portant comme lui en abondance, des fruits qui feront le régal des autres, qui donneront au pressoir du bon cidre ou du bon vin en abondance comme aux noces de Cana en Galilée, pour réjouir le cœur de l’humanité.
Nous avons prié avec la première partie du psaume 21 lors de la semaine sainte, en reprenant les longues lamentations et les cris de détresse de l’innocent injustement et horriblement torturé. Aujourd’hui, dans les derniers versets du psaume, nous chantons son action de grâce après que le Seigneur ait répondu à sa prière et l’ait exaucé. Sa Passion a porté du fruit.
Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ;
ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent :
« A vous, toujours, la vie et la joie ! »
La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur,
chaque famille de nations se prosternera devant lui :
Tous ceux qui festoyaient s’inclinent ;
promis à la mort, ils plient en sa présence.
Et moi, je vis pour lui : ma descendance le servira ;
on annoncera le Seigneur aux générations à venir.
On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son œuvre !
Dans les Actes des Apôtres, nous sont rapportées l’expérience de Paul et son entrée solennelle dans l’Église. Il n’a pas vécu avec les disciples, n’a pas connu Jésus et n’a pas entendu ni recueilli directement ses paroles. Cependant il sera, par des chemins détournés, un greffon sur le plant de la vigne qu’est le Christ et portera des fruits imprévus et abondants, en annonçant aux nations son Évangile dont il avait été un violent adversaire.
Arrivé à Jérusalem, Saul cherchait à se joindre aux disciples,
mais tous avaient peur de lui,
car ils ne croyaient pas que lui aussi était un disciple.
Alors Barnabé le prit avec lui et le présenta aux Apôtres ;
il leur raconta comment, sur le chemin,
Saul avait vu le Seigneur, qui lui avait parlé,
et comment, à Damas, il s’était exprimé avec assurance au nom de Jésus.
Dès lors, Saul allait et venait dans Jérusalem avec eux,
s’exprimant avec assurance au nom du Seigneur.
Il parlait aux Juifs de langue grecque, et discutait avec eux.
Mais ceux-ci cherchaient à le supprimer.
Mis au courant, les frères l’accompagnèrent jusqu’à Césarée
et le firent partir pour Tarse.
L’Église était en paix dans toute la Judée, la Galilée et la Samarie ;
elle se construisait et elle marchait dans la crainte du Seigneur ;
réconfortée par l’Esprit Saint, elle se multipliait.
Ac 9 26-31
L’arrivée de Paul à Jérusalem semble avoir beaucoup perturbé le groupe des disciples, et cependant, elle a donné une impulsion neuve et déterminante au christianisme, qui grâce à lui va sortir résolument des cadres du judaïsme traditionnel. Paul n’a sans doute pas eu trop de mal à fraterniser avec les apôtres de culture juive comme lui. Mais les juifs de culture grecque sont méfiants. Ils se souviennent de la fureur dont il faisait preuve quand il persécutait les premiers disciples de Jésus. N’avait-il pas approuvé le meurtre du diacre Étienne ?
Lorsque se présentent à l’Église des personnes venant d’ailleurs, d’autres cultures, il arrive aussi aux chrétiens dits « de souche » de manifester des attitudes de méfiance, d’hostilité, et même de rejet. Chaque année, à l’occasion des fêtes pascales, des adultes se convertissent, reçoivent le baptême. Ce qui provoque à la fois de la joie pour les vieux chrétiens, comme on dit, et une certaine peur. Ne viennent-ils pas un peu déranger les habitudes par leur enthousiasme, par leur désir de changements ? Quelle place leur donner dans la liturgie, la vie des paroisses et des communautés pour qu’elles portent du fruit en abondance ? Il est bon de se réjouir de leur arrivée, car ils peuvent apporter une sève nouvelle et un sang neuf.
Evangile selon saint Jean – Jn15, 1-8