Dans le premier chapitre de son Évangile, saint Marc raconte les commencements du ministère de Jésus. Il le montre à l’œuvre pour la première fois, et nous découvrons comment il conçoit sa mission, sa propre vocation. De toute évidence, il s’inscrit dans la lignée des prophètes du premier Testament que Dieu a envoyés à son peuple, comme Moïse et tant d’autres. Dieu avait fait entendre sa voix, dans la fureur terrifiante des flamboiements du mont Horeb, venant « du milieu du feu, des nuages et de la nuit épaisse » (Dt 5, 22). A son peuple effrayé il annonce qu’il lui parlera désormais par la médiation de la voix humaine des prophètes.
Au milieu de vous, parmi vos frères,
le Seigneur votre Dieu fera se lever un prophète comme moi, et vous l’écouterez.
C’est bien ce que vous avez demandé au Seigneur votre Dieu,
au mont Horeb, le jour de l’assemblée, quand vous disiez :
« Je ne veux plus entendre la voix du Seigneur mon Dieu,
je ne veux plus voir cette grande flamme, je ne veux pas mourir ! »
Et le Seigneur me dit alors : « Ils ont bien fait de dire cela.
Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi ;
je mettrai dans sa bouche mes paroles,
et il leur dira tout ce que je lui prescrirai.
Si quelqu’un n’écoute pas les paroles que ce prophète
prononcera en mon nom, moi-même je lui en demanderai compte.
Mais un prophète qui aurait la présomption de dire en mon nom
une parole que je ne lui aurais pas prescrite,
ou qui parlerait au nom d’autres dieux, ce prophète-là mourra.
Dt 18, 15-20
Saint Marc présente Jésus comme réalisant la promesse de Dieu à Moïse et se levant au milieu de ses frères en humanité. Une belle expression ! Comme les prophètes qui l’ont précédé, il appelle à la conversion, il démasque et dénonce la présence et l’action des esprits mauvais en l’homme, il annonce le salut de Dieu. Cependant, il est plus qu’un intermédiaire entre Dieu et son peuple, comme les prophètes qui l’ont précédé ou les scribes qui enseignent la Loi. La venue du règne de Dieu est à l’œuvre en sa personne. Saint Marc se contente de mentionner la tentation de Jésus au désert en son Évangile : « durant 40 jours, au désert, il fut tenté par Satan », se contente-t-il d’écrire. C’est quelques versets plus loin qu’il raconte le premier épisode de son combat contre l’esprit mauvais. C’est son premier miracle, le premier signe qu’il pose. Après avoir affronté Satan au désert, il l’affronte dans une synagogue, au cœur d’une assemblée de prière et d’une célébration de la Parole.
Ce récit est comme un portail qui ouvre l’Évangile de Marc. Un prélude et un sommaire qui annonce ce que sera la mission de Jésus. Elle prendra la forme d’un combat pour libérer l’homme de tous les esprits mauvais qui le rongent, le détruisent, le conduisent au malheur sous toutes ses formes, dans tous les domaines : corporel, psychologique, social, politique, et même religieux. C’est dans les manières de vivre et de comprendre la Loi qu’il dénoncera le plus la présence d’esprits mauvais tout au long de son Livre. Dans l’Évangile de Jean, après le récit du miracle de Cana, Jésus va aussi inaugurer sa mission non pas dans une synagogue, mais dans le temple de Jérusalem pour chasser violemment tous ceux qui en font un lieu de commerce. (Jn 2, 14-22)
Jésus, accompagné de ses disciples, arriva à Capharnaüm.
Aussitôt, le jour du sabbat, Jésus se rendit à la synagogue, et là, il enseignait.
On était frappé par son enseignement,
car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes.
Or, il y avait dans leur synagogue un homme tourmenté par un esprit impur,
qui se mit à crier :
« Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ?
Es-tu venu pour nous perdre ?
Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu. »
Jésus l’interpella vivement : « Tais-toi ! Sors de cet homme. »
L’esprit impur le fit entrer en convulsions,
puis, poussant un grand cri, sortit de lui.
Ils furent tous frappés de stupeur et se demandaient entre eux :
« Qu’est-ce que cela veut dire ?
Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité !
Il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent. »
Sa renommée se répandit aussitôt partout,
dans toute la région de la Galilée.
Mc 1, 21-28
Jésus se présente comme un maître qui enseigne, qui prend la parole pour faire connaître Dieu, sa bonne nouvelle, sa volonté. Sans les paroles de Jésus et son enseignement, ses miracles pourraient passer pour les tours de passe-passe d’un magicien, d’un charlatan, d’un manipulateur. Sa parole met les cœurs à nu, dévoile les intentions secrètes, remet l’homme face à Dieu et non à ses peurs ou ses rêves, face à son humanité avec ses failles et ses limites. Elle est plus incisive que le glaive et tranche dans le vif des convoitises et des prétentions humaines et même de certaines prescriptions religieuses.
Jésus enseigne avec autorité et non pas comme les scribes. Son « enseignement est nouveau », une expression qui vient souvent en fin des récits de l’évangéliste, attestant que ses actions sont autant un enseignement que ses paroles. Il prophétise par toute sa vie, tous ses comportements. Les scribes visés par saint Marc étaient peut-être enclins à être des pinailleurs de textes, se plaisant dans des jeux subtils d’interprétation qui ne les engageaient que peu. Ils se pensaient revêtus de l’autorité des maîtres à penser dont ils avaient été à l’école. Ils déployaient de grandes énergies à redire et rappeler que le Rabbi Untel avait dit que Rabbi Untel avait dit que… Jésus ne les imite pas.
Fils de charpentier, Jésus ne vient pas de Jérusalem, mais de Nazareth. Il n’a pas fréquenté les écoles bibliques de l’époque et n’a pas de diplôme. C’est de sa propre autorité qu’il parle. Sa parole est le fruit de son expérience humaine : « il sait ce qu’il y a dans l’homme » (Jn 2,23). Elle est surtout le fruit du travail qu’accomplissent en lui la volonté de son Père et la méditation des Écritures. Il est l’auteur de ce qu’il dit. Il s’engage lui-même et ne se contente pas de répéter et d’expliquer le sens des Écritures, il adresse aux cabossés de la vie des paroles de libération et de résurrection. Il fait ce qu’il dit, et quand il dit, cela se fait. N’est-il pas lui-même le Verbe, la Parole par qui tout a été fait ? N’oublions pas ses paroles dans le texte précédent de l’Évangile : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. »
Jésus se présente ainsi comme un prophète, surgi du sein du peuple, au milieu de ses frères et sœurs en humanité. Mais contrairement à ceux du premier Testament, il ne se contente pas d’annoncer le dessein de Dieu et de rappeler sa promesse. Il inaugure un prophétisme réalisateur, et il va communiquer à ses disciples une part de cet esprit prophétique qui est le sien.
Jésus fait œuvre de libération. Les exorcismes qu’il accomplit dénoncent et chassent les esprits mauvais qui asservissent les humains. L’homme tourmenté par un esprit mauvais est un anthropos en grec, un « Adam » ; ce qui peut se traduire par un « être humain » en qui chaque personne peut se reconnaître, et indiquer ici que cet homme symbolise toute l’humanité, tous les humains que le Christ vient libérer. Les paroles de l’homme tourmenté par l’esprit mauvais sont étonnantes. « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? », dit-il d’abord. Satan s’exprime à travers lui au pluriel. Dans son Évangile, d’ailleurs, Marc parlera tout autant de Satan au pluriel qu’au singulier, tant il est vrai que le mal en l’homme peut prendre des formes multiples, tout autant sociales qu’individuelles. Et ici tous les esprits mauvais sont les premiers à comprendre et annoncer quelle sera l’œuvre de salut que Jésus vient accomplir : dénoncer leur présence en tout homme et en tout l’Homme, les en chasser, les perdre et les vaincre sur leur propre terrain.
Le Christ, soleil de Dieu et lumière pour le monde, se présente déjà comme vainqueur du soleil de Satan, cette « lumière aveuglante de l’erreur », comme l’écrira l’écrivain Bernanos. L’esprit mauvais, se sentant démasqué, prononce la première formule de foi de l’Évangile : « Je sais bien qui tu es, le saint, le saint de Dieu ». Paradoxalement c’est Satan qui dit cela. Ce n’est pas une profession de foi de sa part, mais un cri de reconnaissance qu’en Jésus, l’heure de sa défaite est arrivée. Sa reconnaissance en ce charpentier de village le Saint de Dieu, est dans sa bouche comme un premier aveu de défaite.
Saint-Paul continue à orienter les chrétiens vers un au-delà de la vie terrestre en proclamant la valeur du célibat qui permet de se consacrer à Dieu sans partage.
J’aimerais vous voir libres de tout souci.
Celui qui n’est pas marié a le souci des affaires du Seigneur,
il cherche comment plaire au Seigneur.
Celui qui est marié a le souci des affaires de ce monde,
il cherche comment plaire à sa femme, et il se trouve divisé.
La femme sans mari, ou celle qui reste vierge, a le souci des affaires du Seigneur, afin d’être sanctifiée dans son corps et son esprit.
Celle qui est mariée a le souci des affaires de ce monde,
elle cherche comment plaire à son mari.
C’est dans votre intérêt que je dis cela ;
ce n’est pas pour vous tendre un piège, mais pour vous proposer ce qui est bien,
afin que vous soyez attachés au Seigneur sans partage.
1 Co 7, 32-35
Evangile selon saint Marc – Mc1, 21-28