Bien des choses ont changé chez les chrétiens en ce qui concerne leur manière de croire et de rendre compte de leur foi. La réforme liturgique de Vatican 2 leur a permis de mieux entendre et de comprendre les Écritures, de prier dans leur langue quotidienne. Ont suivi des formations nombreuses, un renouvellement de la catéchèse, un rétablissement du catéchuménat des adultes, une réorganisation de la vie en Église toujours à l’œuvre dans les synodes… D’où un décalage entre ceux qui ont cheminé dans ce sens et la masse de ceux qui se sont éloignés de l’Église et s’imaginent que ses membres expriment et vivent leur foi encore comme avant le Concile. Dans sa première Lettre, saint Jean s’exprime d’une manière très actuelle.
Voyez quel grand amour nous a donné le Père
pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes.
Voici pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu.
Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu,
mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté.
Nous le savons : quand cela sera manifesté,
nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est.
1 Jn 3 18-24
Si le monde ne nous connaît pas c’est qu’il n’a pas connu Dieu, écrit saint Jean. On pourrait ajouter : c’est qu’il n’a pas connu, ou ne connaît pas, ou ne veut pas connaître le Dieu qui s’est révélé et manifesté au peuple d’Israël, puis en la personne humaine de Jésus son Fils. Dans une perspective « théiste » plus qu’évangélique donnée de lui. Elle le considère comme un « Être suprême », un « grand Horloger » revêtu de toutes sortes de puissances arbitraires et non pas comme un Dieu ami des hommes présent dans leur histoire, et surtout un Père, le Père de Jésus. En Jésus, toute personne humaine participe désormais à une relation à Dieu qui est filiale. Une relation d’amour paternel à tous ses enfants de la terre. En l’homme qui croit, la résurrection de Jésus par Dieu son Père accomplit la découverte extraordinaire de cette relation filiale. C’est par le Baptême qu’elle s’accomplit, et cependant elle n’est jamais achevée. Elle est à poursuivre à longueur de vie. Quand ils découvrent qui est Dieu manifesté en la personne de Jésus, les baptisés le prient en disant « Notre Père » et ils vivent de son Esprit. En effet ils entrent dans une famille dont les membres sont une multitude d’êtres humains dont Jésus est comme un frère aîné.
Deux expressions de saint Jean sont apparemment contradictoires. « Dès maintenant nous sommes enfants de Dieu mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement ». Comment comprendre ce rapport entre le « dès maintenant » et le « pas encore » ? À chaque Eucharistie, nous proclamons la mort du Christ, nous célébrons sa résurrection, nous attendons sa venue dans la gloire ». C’est bien lui qui est réellement présent dans notre assemblée, dans la Parole proclamée, dans le Pain et la Coupe eucharistiques et dans la personne du prêtre qui la préside. C’est dans notre présent qu’il vit et chemine avec nous, en nous. Et cependant c’est dans un clair-obscur et non dans une pleine lumière.
Le temps pascal est le temps d’un passage, d’une traversée vécue par les disciples de Jésus. Comme l’a écrit un moine d’Orient, « Jésus veut montrer que sa présence physique n’est plus, comme avant la Résurrection, localisée en un point précis, liée à un aspect constant. Sa présence est devenue universelle, et quant au lieu, et quant à la forme. Son corps glorifié peut être approché. Jésus ressuscité se montre plusieurs fois sous l’aspect d’un homme inconnu, pour indiquer que désormais, vivant près de Dieu, c’est sous les traits des hommes par nous rencontrés, que sa personne prend un visage terrestre. »
Dans le premier Testament, Dieu était souvent présenté comme le « Berger d’Israël ». Dans l’Évangile de Jean, Jésus s’approprie lui-même cette image, et se présente comme le « bon pasteur ».
En ce temps-là, Jésus déclara :
Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis.
Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas à lui :
s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ;
le loup s’en empare et les disperse.
Ce berger n’est qu’un mercenaire,
et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui.
Moi, je suis le bon pasteur ;
je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent,
comme le Père me connaît, et que je connais le Père ;
et je donne ma vie pour mes brebis.
J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos :
celles-là aussi, il faut que je les conduise.
Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur.
Voici pourquoi le Père m’aime :
parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau.
Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même.
J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau :
voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »
Jn 15 1-8
Jésus ne dit pas : « Je ressemble à un bon pasteur ». Il dit : « Je suis le bon pasteur ». Dans le Nouveau Testament, on dira de Jésus qu’il est un grand prophète, qu’il est le Messie, le grand-prêtre qui met fin au culte du Temple. Mais quand il parle de lui-même, il se qualifie beaucoup de bon pasteur et de vrai berger. Sa relation à ceux dont il a la charge est une relation d’amour et de bonté, qui s’exprime à travers des mots très forts : tous, il les connaît, les guide et les conduit. Le mercenaire élève du bétail pour en tirer profit. S’il a la garde d’un troupeau et que survient le loup, « il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse ». L’attitude du bon pasteur est tout autre. Il a souci de ses brebis et donne sa vie pour elles. C’est ainsi que se comporte Jésus. Il fait don de sa vie par amour, de façon totalement gratuite. Cette expression exprime avec force le sens de sa mission reçue du Père. C’est aussi le sens de la vie de tout baptisé qui porte un regard neuf sur les personnes qui vivent selon l’esprit de l’Evangile. Dans des circonstances et des manières diverses de leur vie, tant d’hommes et de femmes vivent le même don de leur personne, qu’ils soient croyants ou non.
Depuis le concile Vatican 2, l’Église reprend conscience que sa mission est tout d’abord pastorale. A l’image du Christ, elle est appelée à servir, guérir, sauver l’humanité. Sa raison d’être est d’aller au-devant de tous ceux qui sont perdus, éloignés, exclus, pour susciter avec eux, au milieu d’eux, dans leur existence la plus concrète, une puissance de vie, des énergies d’amour et de partage, des dynamismes de paix et de dignité. On pourrait ajouter au Credo que l’Eglise est une, sainte, catholique et pastorale !
Tout ministère dans l’Église est revêtu d’une dimension pastorale, et particulièrement celui des évêques, des prêtres et des diacres dont la vocation est l’objet d’une prière particulière ce dimanche. Le travail pastoral et surtout la manière de l’accomplir est par excellence un témoignage rendu à la résurrection du Christ. Il consiste à être rempli de sollicitude par rapport aux autres, à faire don de sa propre personne, en faire œuvre de relèvement, de guérison et de libération comme lui. A ceux et celles que Jésus appelle, Jésus confie d’être, à son image, de bons et vrais bergers.
Le passage des Actes des Apôtres au chapitre 4 nous raconte comment Pierre et Jean ont compris leur mission comme le prolongement de celle du Christ Pasteur. La puissance de la résurrection du Christ et la parole de Pierre ont relevé et fait marcher à la porte du Temple un mendiant infirme. Celui-ci y est entré pour prier avec tous. Du temps de Jésus, les paralysés étaient considérés comme des pécheurs et n’avaient donc pas accès au Temple. L’homme guéri par Pierre et Jean a transgressé la règle. Il y est entré avec eux. Et tout le peuple l’a vu marcher, bondir et louer Dieu. Étonnement des uns et scandale des autres.
Pierre prend la parole et proclame devant tous : « C’est le nom de Jésus le Nazaréen qui vient d’affermir cet homme que vous regardez et connaissez ; oui, la foi qui vient par Jésus l’a rétabli dans son intégrité physique, en votre présence à tous. » (Ac 3,16) Voilà que commencent pour ces deux apôtres les mêmes ennuis que ceux de leur maître. Les prêtres, le commandant du Temple et les sadducéens sont excédés de les voir enseigner le peuple et annoncer, en la personne de Jésus, la résurrection d’entre les morts. Ils les font arrêter et placer sous bonne garde.
Alors Pierre, rempli de l’Esprit Saint, leur déclara :
« Chefs du peuple et anciens,
nous sommes interrogés aujourd’hui pour avoir fait du bien à un infirme,
et l’on nous demande comment cet homme a été sauvé.
Sachez-le donc, vous tous, ainsi que tout le peuple d’Israël :
c’est par le nom de Jésus le Nazaréen, lui que vous avez crucifié
mais que Dieu a ressuscité d’entre les morts,
c’est par lui que cet homme se trouve là, devant vous, bien portant.
Ce Jésus est la pierre méprisée de vous, les bâtisseurs,
mais devenue la pierre d’angle.
En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel,
aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. »
Ac 9 26-31
Le travail pastoral de résurrection, telle est la vocation de l’Église du Christ, tels sont le visage et le service dont elle a mission de témoigner dans le monde. Telle est la vocation de tous les baptisés et de tous ceux et celles à qui sont confiés des ministères spécifiques, afin que les membres de l’humanité et particulièrement les exclus, découvrent qu’ils sont réellement enfants de Dieu. Devant ce mendiant infirme, Pierre et Jean n’ont pas détourné leur regard. Pierre l’a fixé et regardé longuement, comme pour contempler en lui, au-delà des apparences, au-delà de l’infirme et du mendiant, l’homme, le frère en Christ. Pierre lui a dit : « Regarde-nous ! ». L’homme les observait, car il s’attendait à obtenir d’eux quelque chose. Pierre lui dit alors : de l’or ou de l’argent, je n’en ai pas, mais ce que j’ai, je te le donne, au nom de Jésus Christ, le Nazaréen, marche ! Pierre et Jean ont permis à l’Esprit de Jésus de relever, de ressusciter cet homme exclu, de l’introduire dans le Temple pour qu’il ait accès à la louange, et retrouve sa dignité humaine d’enfant de Dieu au milieu de tous.
Evangile selon saint Jean – Jn10, 11-18