Suivi de « QUELQUES ÉTONNEMENTS DEVANT LE MYSTÈRE DE NOËL »
Au premier dimanche de l’Avent, le prophète Jérémie annonçait que Dieu allait accomplir sa promesse de bonheur en faveur de son peuple. Aujourd’hui saint Luc raconte que cette promesse se réalise lors de deux naissances. Marie et Élisabeth sa cousine sont enceintes, et Marie la plus jeune rend visite à son aînée.
En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement
vers la région montagneuse, dans une ville de Judée.
Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle.
Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint,
et s’écria d’une voix forte :
« Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.
D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?
Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles,
l’enfant a tressailli d’allégresse en moi.
Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles
qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
Lc 1 39-45
Elles sont surprises et heureuses ces deux femmes, devant ce qui leur arrive. Toutes deux vont être mères alors que cela leur semblait impossible. L’une était trop âgée, et l’autre était enceinte sans connaître d’homme. En leurs personnes et leurs enfants se réalise ce que disait Sophonie dimanche dernier, de la réjouissance de Dieu pour son peuple réduit à n’être qu’un petit reste. Luc nous parle aujourd’hui du tressaillement de Jean Baptiste qui danse de joie dans le sein de sa mère quand elle salue sa cousine enceinte. Le récit en effet, raconte deux visitations. Celle de Marie à Élisabeth et en même temps celle de Jésus à Jean Baptiste, avant même qu’ils soient nés. Une visitation qui ressemble à une passation spirituelle de témoin, et à la salutation du premier Testament au second dans une ambiance de cousinage spirituel. C’est du petit reste d’Israël que s’annonce et se réalise la naissance du Christ. Cela se passe dans un petit monde familial. Un événement discret, inaperçu, et cependant porteur d’une bouleversante nouveauté qui concerne l’histoire humaine. Porteur d’une bonne nouvelle.
D’où vient le bonheur de ces deux femmes ? En quoi s’enracine-t-il ? Dans leur foi commune face à ce qui leur advient au-delà de toute espérance, face à l’accomplissement de la promesse de bonheur faite par Dieu aux Pères dans la foi, comme le chantera Marie. Et comme le chantera aussi Zacharie, le huitième jour après la naissance de Jean son fils : elle se révèle à lui comme un accomplissement, comme une visitation de Dieu. La mission de Jean sera de préparer le chemin pour celui qui va venir manifester à son peuple qu’il est sauvé, que ses péchés sont pardonnés ; il guidera ses pas sur le chemin de la paix et lui fera connaître la tendresse du cœur de son Dieu.
Dans le récit de Luc ces deux femmes se réjouissent, se bénissent mutuellement et bénissent Dieu. Ce n’est sans doute pas un hasard que Luc soit le seul évangéliste à avoir présenté la visitation de ces deux femmes au porche de son Évangile. Zacharie, le père de Jean, et Joseph le père de Jésus avaient eu quelque peine à croire et comprendre ce qui arrivait à leurs épouses et à eux. Celles-ci ont cru la manifestation et la venue de Dieu de manière imprévisible, inattendue et improbable comme on dit aujourd’hui. Elles ont été ainsi les premières à accueillir la Bonne Nouvelle, à bénir le Seigneur. Pour la résurrection de Jésus, il en sera de même. A la fin de l’Évangile selon saint Luc, ce seront encore les femmes de l’entourage de Jésus qui seront les premières à croire puis à annoncer la Bonne Nouvelle. « Revenues du tombeau, écrira-t-il, elles rapportèrent aux Onze et à tous les autres ce qu’elles venaient de voir et d’entendre. Mais ces propos leur semblèrent délirants, et ils ne les croyaient pas. » (Lc 24, 10)
Rendons justice cependant à Zacharie qui acceptera que son fils s’appellera Jean. Comme l’a décidé Élizabeth son épouse, qui ensuite entonnera son « Benedictus ». A Joseph aussi, qui prendra Marie comme épouse bien qu’elle soit déjà enceinte. Et plus tard, aux apôtres qui se décideront à croire ce que disaient les femmes. L’Évangile de Luc est d’une grande modernité, voire même postmodernité. Les femmes seraient peut-être plus ouvertes à des remises en perspective et à des nouveautés parce que c’est de leur corps que naissent des nouveau-nés, tandis que les hommes ne font que semer et n’éprouvent pas dans leurs entrailles ce que vivent leurs épouses.
Au temps de Jésus, et plus tard dans l’histoire de l’Église, les signes des temps plaidaient pour une infériorité et une soumission des femmes dans leur rapport aux hommes et une absence de responsabilités en bien des domaines. « Que les femmes se taisent dans les assemblées, écrira Paul aux Corinthiens, car il ne leur est pas permis de prendre la parole ; qu’elles se tiennent dans la soumission, selon que la Loi même le dit. » (1 Co 14, 34) Jésus avait pourtant bouleversé ces points de vue.
Sur ce sujet, qu’en est-il des signes dans les temps qui sont les nôtres ? Dans les sociétés occidentales, les choses ont beaucoup évolué et changent encore. Ce qui n’est pas le cas dans bien d’autres nations et cultures. L’Église prend-elle suffisamment en compte le fait que ses modèles de penser et d’organiser son fonctionnement sur ce point peuvent être considérées comme peu fidèles au récit évangélique ? « L’enjeu est capital pour l’évangélisation, a écrit Alphonse Borras, théologien et canoniste bien connu. La crédibilité de l’Évangile passe par le crédit que l’Église accorde(ra) aux femmes. » Ils sont nombreux ceux qui pensent comme lui.
La fête de Noël est proche, fête de la nativité. L’auteur de l’épître aux Hébreux met sur les lèvres du Christ des paroles du psalmiste dans le psaume 39, tout à fait appropriées à notre réflexion.
Frères, en entrant dans le monde, le Christ dit :
Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps.
Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ;
alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu,
pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre.
Mon Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles.
Le Christ commence donc par dire :
Tu n’as pas voulu ni agréer les sacrifices et les offrandes,
les holocaustes et les sacrifices pour le péché,
ceux que la Loi prescrit d’offrir.
Puis il déclare : Me voici, je suis venu pour faire ta volonté.
Ainsi, il supprime le premier état de choses pour établir le second.
Et c’est grâce à cette volonté que nous sommes sanctifiés,
par l’offrande que Jésus Christ a faite de son corps,
une fois pour toutes.
Hé 10 5-10
Ce texte et celui de saint Luc soulignent en commun l’importance du « corps », quasiment synonyme de « personne ». En celui d’Élisabeth et de Marie une naissance se prépare, mais aussi un monde nouveau. C’est de la personne de Jean et de Jésus que va naître ce monde nouveau et s’établir le culte nouveau. Les foules demanderont à Jean ce qu’elles doivent faire. Il ne leur dit pas d’aller au Temple offrir des sacrifices, il leur recommandera, comme les prophètes qui l’ont précédé, de mener dans leur quotidien une vie de partage, de droiture et de non-violence. Le Christ ira plus loin encore. Dès son entrée dans le monde, il fera œuvre de salut en offrant toute sa personne et dira plus tard avant sa mort : « Ceci est mon corps donné pour vous ». Pas d’autre sacrifice désormais que fondé sur le sien. Pas d’autre offrande agréable à Dieu que celle d’accomplir comme lui la volonté du Père.
Le prophète Michée, qui vivait au 8e siècle avant Jésus, est témoin de la ruine des royaumes du Nord d’Israël, et il laisse libre cours à ses complaintes. Cependant, au plus creux de l’épreuve et de la désolation, il garde vive son espérance en la venue du Messie qui transformera le petit reste boiteux et malade d’Israël en une nation prospère. Il annonce l’enfantement du Messie issu de la lignée de David. Il naîtra à Bethléem comme son illustre ancêtre.
Ainsi parle le Seigneur :
Toi, Bethléem Éphrata, le plus petit des clans de Juda,
c’est de toi que sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël.
Ses origines remontent aux temps anciens, aux jours d’autrefois.
Mais Dieu livrera son peuple jusqu’au jour où enfantera…
celle qui doit enfanter, et ceux de ses frères
qui resteront rejoindront les fils d’Israël.
Il se dressera et il sera leur berger par la puissance du Seigneur,
par la majesté du nom du Seigneur, son Dieu.
Ils habiteront en sécurité, car désormais
il sera grand jusqu’aux lointains de la terre,
et lui-même, il sera la paix !
Mi 5, 1-4 a
La Paix de Dieu vient ainsi dans l’humanité sous le signe d’une démarche de visitation. Celle de Marie qui entre dans la maison de sa cousine, et vient demeurer chez elle durant trois mois. Pour lui offrir sa présence et son aide, pour lui apporter aussi cette paix dont chacune a tant besoin dans les moments importants ou éprouvants de sa vie. La paix du Christ aussi. « Dieu a visité son peuple », s’écriera la foule devant les guérisons et les libérations opérées par lui. Les évangélistes reconnaîtront que cette prophétie de Michée s’est inaugurée par la naissance à Bethléem, de Jésus prince de la Paix pour qui les anges chanteront : paix aux hommes que Dieu aime ! Et c’est à Bethléem aussi que l’étoile guidera les mages qui viendront reconnaître le roi nouveau-né.
Poursuivons notre méditation avec saint Ambroise (4èmes).
Heureuse toi qui as cru, dit Élisabeth à Marie.
Heureux, nous aussi qui comme Marie avons entendu et avons cru ;
car toute âme qui croit conçoit et engendre le Verbe
et le reconnaît à ses œuvres.
Que l’âme de Marie soit en chacun de nous, pour qu’elle exalte le Seigneur ;
que l’esprit de Marie soit en chacun de nous, pour qu’il exulte en Dieu.
S’il n’y a, selon la chair, qu’une seule mère du Christ,
il y a la multitude de ceux qui engendrent le Christ selon la foi.
Car toute âme reçoit le Verbe de Dieu,
à la ressemblance de qui elle a été créée ;
et par conséquent, en exaltant cette image,
elle s’élève par une certaine participation à son caractère sublime.
Le Seigneur est avec toi, Marie, pleine de grâce !
Ton cœur en éveil attendait le Messie.
Evangile selon saint Luc – Lc1, 39-45
QUELQUES ÉTONNEMENTS DEVANT LE MYSTÈRE DE NOËL
Comme les événements et les fêtes qui reviennent chaque année au même moment, Noël est considéré dans les médias comme un « marronnier ». Quoi dire de neuf à son sujet ? Chaque année, nous sommes invités à un réveil de l’étonnement devant le mystère de Noël. Ce mot « mystère » qui ne veut pas dire énigme indéchiffrable, mais révélation d’une réalité tellement belle et forte qu’on n’en finit pas de la contempler. On ne peut s’y habituer. Son sens est tellement inépuisable, qu’elle doit être la source d’un étonnement et d’une bénédiction permanente pour les croyants. D’une méditation aussi à partir de quelques extraits des lectures liturgiques des trois célébrations de la fête.
« LE VERBE S’EST FAIT CHAIR ».
AU COMMENCEMENT était le Verbe,
et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement auprès de Dieu.
C’est par lui que tout est venu à l’existence,
et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui.
En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ;
la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.
Le Verbe était la vraie Lumière,
qui éclaire tout homme en venant dans le monde.
Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous,
et nous avons vu sa gloire,
la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique,
plein de grâce et de vérité.
Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu,
lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître.
« Le Verbe s’est fait chair », Noël, fête de l’incarnation de Dieu en Jésus son Fils, venu habiter dans le monde des humains. Lui, l’éternel, vient naître et vivre dans l’histoire humaine, apprendre dans son corps ce qu’est le déroulement d’une vie humaine, avec ses joies, ses peines. Lui l’inconnaissable, se donne à entendre, à voir, à toucher. Lui, l’au-delà de tout s’immerge dans le corps de l’humanité. Il vient partager avec les hommes la précarité, la souffrance, les tentations et le combat contre le mal. Il vient aussi vivre dans une société pour y découvrir du dedans comment sont gérés la justice, la violence, les rapports entre malades et bien-portants, entre hommes et femmes, entre riches et pauvres. Le christianisme est l’unique religion fondée sur l’incarnation, et notre foi se meurt si nous ne savons plus nous en étonner. Dès ses commencements, on s’est mis à douter que Dieu se soit incarné. Saint Irénée au 2e s. va se battre pour que soit pris au sérieux le réalisme de l’incarnation.
Le Verbe sauveur s’est fait cela même qu’étaitl’homme perdu, effectuant par lui–même la communion avec lui-même et réussissant ainsi à le sauver. Or ce qui était perdu possédait chair et sang, car c’est en prenant du limon de la terre que Dieu avait modelé l’homme, et c’est pour cet homme-là que s’accomplissait le plan divin de la venue du Seigneur. Il a donc eu, lui aussi, chair et sang, pour récapituler en lui non quelque autre ouvrage, mais l’ouvrage modelé par le Père à l’origine, et pour rechercher ce qui était perdu.
Pourquoi le Verbe de Dieu serait-il descendu en Marie, s’il ne devait rien recevoir d’elle ? Au reste, s’il n’avait rien reçu de Marie, il n’eût pas pris les aliments tirés de la terre ; Jean, son disciple n’aurait pas écrit de. Lui : « Jésus, fatigué du voyage, était assis » (Jn 4,6) ;Jésus n’aurait pas pleuré sur Lazare ; il n’aurait pas sué des gouttes de sang.Ce sont là en effet autant de signes caractéristiques de la chair tirée de la terre, chair que le Seigneur a récapitulée en lui-même, sauvant ainsi son propre ouvrage modelé par lui.
UN ÊTRE HUMAIN DE CHAIR ET DE SANG EST PAROLE DE DIEU
Le prologue de l’épître aux Hébreux, proposé à notre réflexion ce matin de Noël, nous permet d’inverser l’expression de saint Jean en son prologue. Ecoutons-le :
À BIEN DES REPRISES et de bien des manières,
Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ;
mais à la fin, en ces jours où nous sommes,
il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses
et par qui il a créé les mondes.
Rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être,
le Fils, qui porte l’univers par sa parole puissante,
après avoir accompli la purification des péchés,
s’est assis à la droite de la Majesté divine dans les hauteurs des cieux ;
et il est devenu bien supérieur aux anges,
dans la mesure même où il a reçu en héritage un nom si différent du leur.
En effet, Dieu déclara-t-il jamais à un ange :
Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ?
Ou bien encore : Moi, je serai pour lui un père, et lui sera pour moi un fils ?
À l’inverse, au moment d’introduire le Premier-né dans le monde à venir, il dit :
Que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu.
Le premier Testament de la Bible présente Dieu comme un être qui parle… Mais ce n’est jamais en direct… Il parle aux hommes par des signes : la création qui raconte sa gloire, il parle aussi à son peuple par des patriarches, des prophètes, pour établir son alliance avec lui, pour lui faire don de la Loi, au fil de son histoire avec des épreuves et des moments de bonheur, des infidélités et des conversions…
La nouveauté de Noël, c’est qu’en Jésus, son Fils, c’est un être humain de chair et de sang qui se manifeste comme la parole vivante de Dieu. « … Après la Loi communiquée par Moïse, écrit saint Jean dans son évangile, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit à le connaître. » Et il précise à propos de ce Dieu invisible, inconnaissable, dans le prologue de sa première lettre : « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons… »
Ainsi Dieu s’adresse au monde désormais par l’humanité concrète d’un être humain, sur la terre. Avant lui des porte-paroles transmettaient ses messages. Désormais la personne de Jésus dans sa manière de vivre son humanité se présente comme la Parole de Dieu. Qui l’a vu a vu le Père, dira-t-il à son ami Philippe. Pas d’autre chemin pour connaître Dieu désormais que la personne humaine et divine de Jésus qui est à la fois messager et message de Dieu. Mais comment Jésus s’est-il comporté comme messager et comme message de Dieu ? On peut le résumer en citant l’une de ses paroles dernières : « ce que vous faites au plus petit, c’est à moi que vous le faites ». On a cité aussi une autre parole de lui transmise oralement : « tu as vu ton frère, tu as vu ton Dieu ». Pas d’autre manière de connaître et d’aimer Dieu que de le voir et de l’aimer en son prochain.
DIEU SE PRÉSENTE PAUVREMENT
Dans les domaines de la communication, de l’éducation, de la transmission, le message est important, mais la manière de s’y prendre l’est bien plus encore. La manière dont Dieu est venu vivre avec nous, la manière dont Jésus est né, s’est comporté pour accomplir la volonté de son Père, est d’une nouveauté inouïe. Voilà pourquoi, nous dit encore saint Jean :
Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence,
mais le monde ne l’a pas reconnu.
Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu.
Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu,
eux qui croient en son nom.
Le monde ne l’a pas reconnu. Les représentants de Dieu, dans les domaines politiques, empereurs divinisés, princes et rois de droit divin, se considéraient comme investis de pouvoir absolu, de droit de vie et de mort exercés souvent de manière arbitraire.
Ils prennent tout le monde de haut, comme on dit. Comment pouvaient-ils reconnaître Dieu en la personne d’un enfant né de gens inconnus, dans un abri d’animaux, et plus tard fils d’un charpentier, et plus tard encore bravant les lois pour s’identifier aux pauvres, aux gens en détresse, aux exclus de la société ?
Les siens ne l’ont pas reçu… De qui s’agit-il ? Sans doute de ceux qui se disaient amis de Dieu, proches de lui, le servant et enseignant en son nom dans leur temple et leurs synagogues, castes sacerdotales régissant le culte, scribes détenteurs de vérité infaillible. Cet homme se comportait en hors-la-loi, transgressant les prescriptions de pureté, ne respectant pas les règles du sabbat, fréquentant les pécheurs publics et les païens. Assurément il ne pouvait être le Messie, ne correspondant en rien à leurs attentes et à leurs cadres de pensée. Non seulement ils ne l’ont pas reconnu, mais ils ne l’ont pas reçu et ont vite fait de lui intenter un procès et de se débarrasser de lui pour sauver leur religion et l’image de leur vrai Dieu, ou plutôt d’un Dieu à leur image.
Restent alors tous ceux qui l’ont reconnu, reçu comme le Messie, le Fils de Dieu et qui ont cru en son nom. Tous ceux qui ont consenti à un changement radical de leur vision de Dieu, et aussi de leurs rapports humains. Le petit reste d’Israël d’abord, Marie et Joseph, Elizabeth, Anne et Siméon. Puis la foule innombrable des pauvres, des miséreux, des affligés, des personnes en détresse. Tous ces gens qu’il a côtoyés et à qui il a ouvert l’accès à un Dieu tout à l’opposé de celui des fausses gloires du monde et des interdits religieux. Ce Dieu de miséricorde qui avait déjà demandé à son peuple de privilégier par-dessus tout le respect du droit et de la dignité des pauvres, des petits, des étrangers. Ce Dieu qui n’a pas supporté de voir défigurée son image, et qui a choisi de venir vivre au milieu des hommes comme le plus pauvre des pauvres pour montrer son vrai visage.
Dans le récit de la naissance de Jésus en saint Luc, les premiers à reconnaître Jésus comme Sauveur et Messie ont été les bergers, les premiers messagers aussi du messager de Dieu. Ils n’ont pas été étonnés de reconnaître cet enfant comme l’un des leurs, comme le berger de toute humanité, dont la mission serait d’être le bon pasteur.
Vivant en plein air, sans portes ni fenêtres, ils furent les premiers à entendre le chant des anges, les premiers à entrer à pas feutrés dans le refuge de l’âne et du bœuf et de l’enfant-Dieu qui sommeillait comme un bienheureux et de sa mère et de son père. Nomades, gens de migrations et de voyages, exclus du monde des purs mais bergers au cœur tendre, pasteurs toujours aux aguets, accoucheurs de brebis, défenseurs des agneaux sans défense, ils furent les premiers à reconnaître en ce premier-né de la Vierge Marie le Fils du Dieu de l’Univers se présentant à eux comme un agneau fragile, comme celui qui venait pour enlever le péché du monde.
Lorsque les anges eurent quitté les bergers pour le ciel,
ceux-ci se disaient entre eux :
« Allons jusqu’à Bethléem pour voir ce qui est arrivé,
l’événement que le Seigneur nous a fait connaître. »
Ils se hâtèrent d’y aller, et ils découvrirent Marie et Joseph,
avec le nouveau-né couché dans la mangeoire.
Après avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant.
Et tous ceux qui entendirent
s’étonnaient de ce que leur racontaient les bergers.
Marie, cependant, retenait tous ces événements
et les méditait dans son cœur.
Les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu
pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu,
selon ce qui leur avait été annoncé.
LE NOËL 2024
Étonnement devant ce que devient le monde, la terre des hommes, ce que devient aussi la fête de Noël. Réjouissances festives pour les uns, solitude et détresse pour les autres. Folles dépenses et gaspillage d’énergie, de nourriture pour les pays riches, misère et faim grandissantes pour les pays pauvres. Indifférence par rapport au sens spirituel de la fête de Noël. Hormis dans les émissions religieuses, dans quatre programmes de télévision seulement, du 20 au 26 décembre en soirée, il est question de Noël sans qu’il y soit fait allusion à Jésus. Raisons de plus pour célébrer Noël non pas dans une ambiance de repli, mais dans un désir plus grand de conversion du cœur et des modes de vie. Invitation aussi à vivre la fête dans l’humilité, pour qu’elle témoigne de l’humilité de Dieu.
La naissance du Christ est un événement dont la portée est universelle, car il concerne toute l’histoire du monde, et pas seulement celle des chrétiens. Les chrétiens ont mission d’en garder vive la mémoire dans un monde en détresse pour y être messagers d’espérance. Écoutons encore saint Irénée.
Le Christ n’est pas venu pour ceux-là seuls qui, à partir de l’empereur Tibère, ont cru en lui, et le Père n’a pas exercé sa providence en faveur seulement des hommes qui vivent maintenant, mais en faveur de tous les hommes sans exception qui, depuis le commencement, selon leurs capacités et celles de leur époque ont adoré et aimé Dieu, pratiqué la justice et la bonté envers le prochain, désiré voir le Christ et entendre sa voix.[…]
C’est pourquoi Luc, dans son évangile, présente une généalogie allant de la naissance de notre Seigneur à Adam : il rattache de la sorte la fin au commencement, et donne à entendre que le Seigneur est celui qui a récapitulé en lui–même toutes les nations dispersées à partir d’Adam, toutes les langues et les générations des hommes, y compris Adam lui–même.
FAITES NOËL QUAND VOUS LE FÊTEZ
Nous ne célébrons pas Noël pour oublier les malheurs du temps présent, pour nous évader un instant de la peur, des difficultés que traverse le monde. Ce serait trahir ce que nous célébrons, puisque c’est dans le meilleur et aussi le plus tragique de la condition humaine que Dieu vient habiter.
Nous célébrons Noël pour écouter et contempler Dieu qui a pris notre chair, qui s’est engagé dans notre existence laborieuse afin de nous redonner à tous la grande espérance que quelque chose peut changer, ou plutôt que tout peut changer. Il dépend de chacun et de chacune de nous que ce soit Noël aujourd’hui, puisqu’il a choisi de se confier à nous, à la disponibilité de notre cœur. Dieu peut encore prendre naissance à travers ce que nous ferons au plus petit d’entre les siens.
“Que les gens soient pour nous des maisons aux portes ouvertes.
Promettons à Dieu de lui chercher un logement et un toit dans le plus de maisons possibles. Mettons-nous en route pour lui chercher un toit. Il y a tant de maisons inhabitées où nous pourrions l’introduire comme invité d’honneur.
Dieu mendie sa demeure dans l’esprit des hommes. Mais parce qu’il mendie comme les plus pauvres parmi les pauvres, sans faire spectacle, sans haranguer et moins encore invectiver, rares sont ceux qui le perçoivent ainsi enfoui dans un obscur recoin de leur être. C’est pourtant du fond de ce sombre réduit qu’irradie la lumière.” (Sylvie Germain. Les échos du silence DDB)
Dieu notre Père,
nous fêtons la naissance de Jésus ton Fils dans notre humanité.
Il vient tout partager avec nous :
Il nous apporte sa vie, sa lumière, son amour.
Nous avons bien peu de choses à lui offrir.
Que sa présence nous réconforte.
Que sa petitesse nous révèle ta grandeur.
Que sa pauvreté nous donne le désir d’être riche en bonté.
Que sa fragilité nous rende forts devant les puissances du mal.
Que son sourire réchauffe nos angoisses.
Avec Marie, Joseph et les bergers,
c’est toujours par lui désormais que nous te bénissons,
habités par son Esprit qui est aussi le tien à toi notre Père. Amen.