Au premier dimanche de l’Avent, le prophète Jérémie annonçait que Dieu allait accomplir sa promesse de bonheur en faveur de son peuple. Aujourd’hui saint Luc raconte que cette promesse se réalise lors de deux naissances.Marie et Élisabeth sa cousine sont enceintes, et Marie la plus jeune rend visite à son aînée.
En ces jours-là, Marie se mit en route et se rendit avec empressement
vers la région montagneuse, dans une ville de Judée.
Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth.
Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle.
Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint,
et s’écria d’une voix forte :
« Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni.
D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?
Car, lorsque tes paroles de salutation sont parvenues à mes oreilles,
l’enfant a tressailli d’allégresse en moi.
Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles
qui lui furent dites de la part du Seigneur. » Lc 1 39-45
Elles sont surprises et heureuses ces deux femmes, face à ce qui leur arrive. Toutes deux vont être mères alors que cela leur semblait impossible. L’une était trop âgée, et l’autre était enceinte sans connaître d’homme. En leurs personnes et leurs enfants se réalise ce que disait Sophonie dimanche dernier de la réjouissance de Dieu pour son peuple réduit à n’être qu’un petit reste. Luc nous parle aujourd’hui du tressaillement de Jean Baptiste qui danse de joie dans le sein de sa mère. Le récit, en effet raconte deux visitations. Celle de Marie à Élisabeth et en même temps celle de Jésus à Jean Baptiste, avant même qu’ils soient nés. Une visitation qui ressemble à une passation spirituelle de témoin, et à la salutation du premier Testament au second dans une ambiance de cousinage. Le petit monde familial concerné par la naissance du Christ est le petit reste d’Israël. Discret, inaperçu, et cependant porteur d’une bouleversante nouveauté qui concerne l’histoire humaine. Porteur d’une bonne nouvelle.
D’où vient le bonheur de ces deux femmes, en quoi s’enracine-t-il ? Dans leur foi commune face à ce qui leur advient au-delà de toute espérance, face à l’accomplissement de la promesse de bonheur faite par Dieu aux Pères dans la foi, comme le chantera Marie. Et comme le chantera aussi Zacharie, le huitième jour après la naissance de Jean son fils : elle se révèle à lui comme un accomplissement, comme une visitation de Dieu. La mission de Jean sera de préparer le chemin pour celui qui va venir manifester à son peuple qu’il est sauvé, que ses péchés sont pardonnés ; il guidera ses pas sur le chemin de la paix et lui fera connaître la tendresse du cœur de son Dieu.
Dans le récit de Luc ces deux femmes se réjouissent, se bénissent mutuellement et bénissent Dieu. Ce n’est sans doute pas un hasard que Luc soit le seul évangéliste à avoir présenté la visitation de ces deux femmes au porche de son Évangile. Zacharie, le père de Jean, et Joseph le père de Jésus avaient eu quelque peine à croire et comprendre ce qui leur arrivait à leurs épouses et à eux. Celles-ci ont cru la manifestation et la venue de Dieu de manière imprévisible, inattendue et improbable comme on dit aujourd’hui. Elles ont été ainsi les premières à accueillir la Bonne Nouvelle, à bénir le Seigneur. Pour la résurrection de Jésus, il en sera de même. A la fin de l’Évangile selon saint Luc, ce seront encore les femmes de l’entourage de Jésus qui seront les premières à croire puis à annoncer la Bonne Nouvelle. « Revenues du tombeau, écrira-t-il, elles rapportèrent aux Onze et à tous les autres ce qu’elles venaient de voir et d’entendre. Mais ces propos leur semblèrent délirants, et ils ne les croyaient pas. » (Lc 24, 10) Rendons justice cependant à Zacharie qui acceptera que son fils s’appellera Jean comme l’a décidé Élizabeth son épouse et qui ensuite entonnera son « Benedictus ». A Joseph aussi, qui prendra Marie comme épouse bien qu’elle soit déjà enceinte, et enfin aux apôtres qui se décideront à croire ce que disaient les femmes. L’Évangile de Luc est d’une grande modernité, voire même postmodernité. Les femmes seraient peut-être plus ouvertes à des remises en perspective et à des nouveautés parce que c’est de leur corps que naissent des nouveau-nés, tandis que les hommes ne font que semer et n’éprouvent pas dans leurs entrailles ce que vivent leurs épouses.
Au temps de Jésus, et plus tard dans l’histoire de l’Église, les signes des temps plaidaient pour une infériorité et une soumission des femmes dans leur rapport aux hommes et une absence de responsabilités en bien des domaines. « Que les femmes se taisent dans les assemblées, écrira Paul aux Corinthiens, car il ne leur est pas permis de prendre la parole ; qu’elles se tiennent dans la soumission, selon que la Loi même le dit. » (1 Co 14, 34) Jésus avait pourtant bouleversé ces points de vue.
Sur ce sujet, qu’en est-il des signes dans les temps qui sont les nôtres ? Dans les sociétés occidentales, les choses ont beaucoup évolué et changent encore. Ce qui n’est pas le cas dans bien d’autres nations et cultures. L’Église prend-elle suffisamment en compte le fait que ses modèles de penser et d’organiser son fonctionnement sur ce point peuvent être considérées comme peu fidèles au récit évangélique ? « L’enjeu est capital pour l’évangélisation, a écrit Alphonse Borras, théologien et canoniste bien connu. La crédibilité de l’Évangile passe par le crédit que l’Église accorde(ra) aux femmes. » Ils sont nombreux ceux qui pensent comme lui.
La fête de Noël est proche, fête de la nativité. L’auteur de l’épître aux Hébreux met sur les lèvres du Christ des paroles du psalmiste dans le psaume 39, tout-à-fait appropriées à notre réflexion.
Frères, en entrant dans le monde, le Christ dit :
Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps.
Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ;
alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu,
pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre.
Mon Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles.Le Christ commence donc par dire :
Tu n’as pas voulu ni agréé les sacrifices et les offrandes,
les holocaustes et les sacrifices pour le péché,
ceux que la Loi prescrit d’offrir.
Puis il déclare : Me voici, je suis venu pour faire ta volonté.
Ainsi, il supprime le premier état de choses pour établir le second.
Et c’est grâce à cette volonté que nous sommes sanctifiés,
par l’offrande que Jésus Christ a faite de son corps,
une fois pour toutes. Hé 10 5-10
Ce texte et celui de saint Luc soulignent en commun l’importance du « corps », quasiment synonyme de « personne ». En celui d’Élisabeth et de Marie une naissance se prépare, mais aussi un monde nouveau. C’est de la personne de Jean et de Jésus que va naître ce monde nouveau et s’établir le culte nouveau. Les foules demanderont à Jean ce qu’elles doivent faire. Il ne leur dit pas d’aller au Temple offrir des sacrifices, il leur recommandera, comme les prophètes qui l’ont précédé de mener dans leur quotidien une vie de partage, de droiture et de non-violence. Le Christ ira plus loin encore. Dès son entrée dans le monde, iI fera œuvre de salut en offrant toute sa personne et dira plus tard avant sa mort : « Ceci est mon corps donné pour vous ». Pas d’autre sacrifice désormais que fondé sur le sien. Pas d’autre offrande agréable à Dieu que celle d’accomplir comme lui la volonté du Père.
Le prophète Michée, qui vivait au 8e siècle avant Jésus, est témoin de la ruine des royaumes du Nord d’Israël, et il laisse libre cours à ses complaintes. Cependant, au plus creux de l’épreuve et de la désolation, il garde vive son espérance en la venue du Messie qui transformera le petit reste boiteux et malade d’Israël en une nation prospère. Il annonce l’enfantement du Messie issu de la lignée de David. Il naîtra à Bethléem comme son illustre ancêtre.
Ainsi parle le Seigneur :
Toi, Bethléem Éphrata, le plus petit des clans de Juda,
c’est de toi que sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël.
Ses origines remontent aux temps anciens, aux jours d’autrefois.
Mais Dieu livrera son peuple jusqu’au jour où enfantera…
celle qui doit enfanter, et ceux de ses frères
qui resteront rejoindront les fils d’Israël.
Il se dressera et il sera leur berger par la puissance du Seigneur,
par la majesté du nom du Seigneur, son Dieu.
Ils habiteront en sécurité, car désormais
il sera grand jusqu’aux lointains de la terre,
et lui-même, il sera la paix ! Mi 5&nbs
La Paix de Dieu vient ainsi dans l’humanité sous le signe d’une démarche de visitation. Celle de Marie qui entre dans la maison de sa cousine, et vient demeurer chez elle durant trois mois, pour lui offrir sa présence et son aide, pour lui apporter aussi cette paix dont chacune a tant besoin dans les moments importants ou éprouvants de sa vie. La paix du Christ aussi. « Dieu a visité son peuple », s’écriera la foule devant les guérisons et les libérations opérées par lui. Les évangélistes reconnaîtront que cette prophétie de Michée s’est inaugurée par la naissance à Bethléem, de Jésus prince de la Paix pour qui les anges chanteront : paix aux hommes que Dieu aime ! Et c’est à Bethléem aussi que l’étoile guidera les mages qui viendront reconnaître le roi nouveau-né.
Poursuivons notre méditation avec saint Ambroise (4e s).
Heureuse toi qui as cru, dit Élisabeth à Marie.
Heureux, nous aussi qui comme Marie avons entendu et avons cru ;
car toute âme qui croit conçoit et engendre le Verbe
et le reconnaît à ses œuvres.
Que l’âme de Marie soit en chacun de nous, pour qu’elle exalte le Seigneur ;
que l’esprit de Marie soit en chacun de nous, pour qu’il exulte en Dieu.
S’il n’y a, selon la chair, qu’une seule mère du Christ,
il y a la multitude de ceux qui engendrent le Christ selon la foi.
Car toute âme reçoit le Verbe de Dieu,
à la ressemblance de qui elle a été créée ;
et par conséquent, en exaltant cette image,
elle s’élève par une certaine participation à son caractère sublime.
Le Seigneur est avec toi, Marie, pleine de grâce !
Ton cœur en éveil attendait le Messie.
Evangile selon saint Luc – Lc 1, 39-45