La relation d’Alliance que Dieu désire nouer avec l’humanité depuis la Création du monde ne se présente pas comme un contrat et un marché. C’est ainsi que le rappelait Jésus aux marchands du Temple. C’est une Alliance accomplie par pure grâce de sa part. Une offre et un don totalement gratuits. Dieu fait grâce à l’humanité. Il la sauve du péché et la délivre du mal. Celle-ci est donc appelée à le reconnaître comme donateur gracieux. La dette qu’elle a envers lui est celle d’une joyeuse reconnaissance et bénédiction, d’une grâce à lui rendre. Elle n’est pas à obtenir au terme de pratiques morales ou cultuelles, comme un pardon à mériter, comme une dette à payer pour être quitte et en règle vis-à-vis de Lui, comme les indulgences de son infinie bonté à « gagner ». Ce sont là des représentations peu chrétiennes.
De la part des hommes elle est un devoir de louange. Elle est une action de grâce. Dans le sens d’une pratique de la gratuité du don et du pardon, d’un vivre en grâce, en justice et justesse les uns avec les autres. La terre promise par Dieu à Israël n’était pas seulement un territoire, mais avant tout un pays ou coulent le lait et le miel des béatitudes. Un pays qui a pour vocation d’être celui d’un bonheur à construire, à cultiver selon les critères qu’a rappelés Jésus. Un pays qui a nom « Évangile ». C’est ce que Jésus révèle à Nicodème en saint Jean.
De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert,
ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé,
afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.
Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne se perde pas,
mais obtienne la vie éternelle.
Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde,
mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.
Celui qui croit en lui échappe au Jugement ;
celui qui ne croit pas est déjà jugé,
du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde,
et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière,
parce que leurs œuvres étaient mauvaises.
Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière,
de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ;
mais celui qui fait la vérité vient à la lumière,
pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies
en union avec Dieu. »
Jn 3, 14-21
Saint Jean fait le lien entre la grâce et la foi, comme le fera saint Paul. La foi consiste à croire que Dieu est amour et n’est que cela : un amour offert gratuitement à celui qui croit et qu’il est appelé à vivre lui-même. C’est donc la foi en cet amour qui sauve celui en qui l’intelligence de l’esprit et du cœur s’illumine quand il contemple la lumière du Christ. Quand il se remémore jusqu’où s’est manifesté en lui l’amour du Père pour le monde des humains. Saint Jean présente le péché comme un refus de cette lumière, comme un choix des ténèbres et des œuvres mauvaises.
Né aveugle, l’homme qui fait le mal choisit de le rester. Le péché de l’homme consiste à ne pas croire que Dieu est grâce et à ne pas faire la vérité sur ses propres œuvres à partir de cette foi en Lui. C’est en la personne et les œuvres de Jésus, son Fils que Dieu a manifesté en plénitude qu’il n’était qu’amour. C’est donc face au Christ, Lumière du monde, et à partir de la foi en lui que tout homme est invité à reconnaître ses propres œuvres comme des œuvres du mal ou des œuvres de Dieu. S’il refuse cette confrontation et ce discernement, il refuse de faire la vérité : il s’enferme dans ses ténèbres et risque aussi de s’emprisonner dans des œuvres mauvaises. Il se condamne à vivre en dehors de la logique de l’amour et de la grâce. Et surtout il se condamne à ne pas reconnaître les dons merveilleux et gracieux de Dieu qui a mis en lui la puissance et la liberté d’aimer. S’il idolâtre les œuvres de ses mains en refusant de croire en celui qui lui a donné des mains, il refuse la vérité. C’est à cette conversion du regard qu’invite saint Jean quand il écrit : « Celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres soient reconnues comme des œuvres accomplies en union avec Dieu. » C’est par pure grâce que l’homme est aimé et sauvé et non par ses propres actes.
Saint Paul enfonce le clou, pourrait-on dire. Il est en total accord avec ce qu’écrit saint Jean, mais de façon plus radicale encore dans sa Lettre aux Éphésiens.
Frères, Dieu est riche en miséricorde ;
à cause du grand amour dont il nous a aimés,
nous qui étions des morts par suite de nos fautes,
il nous a donné la vie avec le Christ :
c’est bien par grâce que vous êtes sauvés.
Avec lui, il nous a ressuscités
et il nous a fait siéger aux cieux, dans le Christ Jésus.
Il a voulu ainsi montrer, au long des âges futurs,
la richesse surabondante de sa grâce,
par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus.
C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi.
Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu.
Cela ne vient pas des actes : personne ne peut en tirer orgueil.
C’est Dieu qui nous a faits, il nous a créés dans le Christ Jésus,
en vue de la réalisation d’œuvres bonnes
qu’il a préparées d’avance pour que nous les pratiquions.
Ép 2, 4-10
La première lecture de ce dimanche explique en quoi a consisté le péché d’Israël qui a été la cause de son exil. Il a été une rupture de confiance en Dieu, un enfermement dans les ténèbres, comme l’explique saint Jean. Israël, installé en terre promise, en est venu à oublier tout ce que Dieu a accompli pour lui, par amour et par pure grâce, en le libérant de l’esclavage et en lui faisant don de la Loi. La description que fait le Livre des Chroniques des dérives de la vie religieuse, spirituelle et sociale en Israël avant l’exil est saisissante :
Sous le règne de Sédécias,
Tous les chefs des prêtres et du peuple multipliaient les infidélités,
en imitant toutes les abominations des nations païennes,
et ils profanaient la Maison que le Seigneur avait consacrée à Jérusalem.
Le Seigneur, le Dieu de leurs pères, sans attendre et sans se lasser,
leur envoyait des messagers, car il avait pitié de son peuple et de sa Demeure.
Mais eux tournaient en dérision les envoyés de Dieu,
méprisaient ses paroles, et se moquaient de ses prophètes ;
finalement, il n’y eut plus de remède
à la fureur grandissante du Seigneur contre son peuple.
Les Babyloniens brûlèrent la Maison de Dieu,
détruisirent le rempart de Jérusalem,
incendièrent tous ses palais, et réduisirent à rien tous leurs objets précieux.
Nabucodonosor déporta à Babylone ceux qui avaient échappé au massacre ;
ils devinrent les esclaves du roi et de ses fils
jusqu’au temps de la domination des Perses.
Ainsi s’accomplit la parole du Seigneur proclamée par Jérémie :
« La terre sera dévastée et elle se reposera durant soixante-dix ans,
jusqu’à ce qu’elle ait compensé par ce repos tous les sabbats profanés. »
Or, la première année du règne de Cyrus, roi de Perse,
pour que soit accomplie la parole du Seigneur proclamée par Jérémie,
le Seigneur inspira Cyrus, roi de Perse.
Et celui-ci fit publier dans tout son royaume – et même consigner par écrit – :
« Ainsi parle Cyrus, roi de Perse :
Le Seigneur, le Dieu du ciel, m’a donné tous les royaumes de la terre ;
et il m’a chargé de lui bâtir une maison à Jérusalem, en Juda.
Quiconque parmi vous fait partie de son peuple,
que le Seigneur son Dieu soit avec lui, et qu’il monte à Jérusalem ! »
2 Ch 36, 14-16.19-23
Infidélités multipliées du peuple de l’Alliance et encore une fois, déception de Dieu devant l’attitude régressive de son peuple : imitation des pratiques païennes, profanation du Temple. Mépris de la Loi, moqueries et dérisions face aux prophètes messagers de Dieu. On pourrait croire que c’en est fini de l’Alliance. La terre promise devient terre d’occupation, le peuple est exilé à Babylone. Trahissant ainsi sa vocation de peuple libéré par Dieu pour vivre libre, Israël fait son malheur et se retrouve en situation d’un nouvel esclavage à Babylone. Mais la fidélité de Dieu à son égard et sa miséricorde prendront un chemin détourné, comme une ruse d’amour pour le sortir du malheur et le gracier. Dieu donnera mission à Cyrus, roi de Perse, de libérer Israël de son exil et de lui rebâtir un temple à Jérusalem. Humour de Dieu dans l’histoire de l’Alliance. Les trahisons de son peuple le conduisent à l’esclavage et à l’exil, et c’est un roi païen qui le libère, lui redonne sa dignité, et même lui rebâtit un temple !
Les fruits spirituels de ce temps d’exil seront pour Israël, imprévus et importants, grâce aux prophètes : ouverture à la dimension universelle de sa mission, prise de conscience de son péché et de ses infidélités, remise en cause des manières païennes de concevoir et pratiquer le culte. Celui-ci, annoncent les prophètes, doit être intérieur à chacun, et se concrétiser dans des pratiques sociales plus que sacrificielles et mercantiles. Le prophète Isaïe proclamera : « Fais tomber les chaînes injustes, rends la liberté aux opprimés, brise tous les jougs. Partage ton pain avec celui qui a faim, recueille chez toi le malheureux sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable. Donne de bon cœur à celui qui a faim, comble les désirs du malheureux. C’est ainsi que ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi. » (Is 58) Autant de manières vraies de rendre grâce à Dieu en vivant en grâce avec tes frères.
Evangile selon saint Jean – Jn3, 14-21