1R 18, 42a-45b ; Ps 112 ; Ga 4, 4-7 ; Jn 19, 25-27
Chers amis,
Mes chères sœurs,
Comme je l’ai écrit dans l’avant-propos du livre de Sœur Maryvonne qui célèbre cet anniversaire, l’histoire des Carmélites durant ces 400 dernières années est un magnifique témoignage de foi, car les sœurs qui se sont succédées ont eu à affronter de grandes épreuves et des difficultés de tous ordres. Mais elles ont tenu bon avec l’aide du Seigneur et le soutien des évêques, du clergé local et de la population. À plusieurs reprises, elles ont failli disparaître, mais l’Esprit Saint a été à l’œuvre à travers heurs et malheurs et il a permis à notre Carmel de tenir bon depuis quatre siècles.
La vie des Carmélites dérange, ou au moins interroge. Le fait d’être célibataires consacrées, cloîtrées, de passer de nombreuses heures dans la prière. Et même si elles vivent de leur travail avec heureusement aussi une vie communautaire fraternelle., elles ont tout de même une vie qui tranche radicalement avec la vie de tout le monde, aux antipodes de nos vies marquées par la nécessaire efficacité, la vitesse, la rentabilité. Dans l’histoire du Carmel, beaucoup de leurs détracteurs au cours de l’histoire la considéraient comme une vie « inutile ». En fait, elles sont très utiles, car en plus de procurer des hosties pour les messes dans toute la région, et à accueillir des retraitants, leur vie a un aspect prophétique, c’est-à-dire inspirée par l’Esprit Saint, qui dérange, mais pour nous aider à nous recentrer sur l’essentiel : notre amitié avec le Christ qui est à la source du véritable amour dans notre relation à Dieu et dans toutes nos relations humaines.
Je voudrais reprendre trois aspects de la spiritualité de l’Ordre de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont Carmel, pour reprendre l’appellation exacte de cette congrégation. Trois aspects qui sont pertinents et inspirants pour tous.
1 La prière silencieuse d’abord
Leur règle précise que les sœurs sont appelées à « méditer jour et nuit la loi du Seigneur et veiller dans la prière. » Le Seigneur ne se manifeste pas de façon bruyante, il se révèle dans « le murmure d’une brise légère » comme pour le prophète Élie au Mont Horeb. Les sœurs passent des heures dans le silence et la prière, à l’écoute de la Parole de Dieu, comme la Vierge Marie qui méditait dans son cœur les événements étonnants de la vie de Jésus et ses paroles déroutantes. Comme Marie, elles ont une âme contemplative pour se laisser toucher par le Seigneur. Dans un monde qui est trop bruyant, une société marquée par les conflits de tous ordres et les débats idéologiques, le témoignage des sœurs nous appelle à prendre du temps pour la prière silencieuse, la prière qui écoute les paroles de son Seigneur. Ah, si nous pouvions passer au moins un peu de temps chaque jour dans le silence et la prière. Du temps pour décanter les soucis et tout ce qui prend trop de place dans nos vies ! Du temps avec le Seigneur, source de paix, de bienveillance, de joie, de vraie fraternité.
La prière a aussi une dimension missionnaire. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus a bien été déclarée patronne des missions, car elle a beaucoup prié pour les missionnaires, pour les prêtres, mais aussi pour beaucoup de monde, dont un condamné à mort dont elle a eu le signe de son retour à la foi. La prière des carmélites est ouverte sur le monde, les sœurs prient pour nous qui sommes « dans le monde ». Le témoignage d’Élie dans la première lecture nous montre à quel point la prière est efficace quand elle est soutenue par une foi profonde. Encore un appel prophétique que nous pouvons recevoir de ne pas nous décourager de prier et de ne pas nous laisser emporter par le tourbillon de nos activités.
2 L’union au Christ, notre Sauveur
Saint Paul, dans sa lettre aux Galates nous rappelle à quel point le Christ, en venant en ce monde, vient nous délivrer du mal et faire de nous des fils et des filles bien-aimés du Père. C’est lui qui est « le chemin, la vérité et la vie » et il est le seul qui, par le don de sa vie sur la croix, sa Résurrection d’entre les morts et le don de l’Esprit Saint, est en mesure de nous faire entrer dans la vie éternelle.
Dans leur vie de Carmélite, les sœurs cultivent leur amitié avec le Christ et c’est lui qui, par le don de son Esprit, leur permet de vivre ensemble dans le respect mutuel et l’amitié, malgré les différences de caractère, de culture, les blessures que chacune peut porter de son histoire personnelle. Leur vie communautaire malgré tout cela nous donne là aussi un message prophétique. Nous vivons tellement de divisions dans la société, dans nos familles, nos couples, et l’Église n’est pas épargnée. C’est bien en effet en cultivant notre union intime avec le Christ, et même notre amitié puisque Jésus nous invite à oser ce terme, que nous pouvons trouver l’unité et la communion dont nous avons tant besoin pour vivre ensemble dans le respect mutuel. Un appel à prendre tous les moyens de la prière et des sacrements pour que le Christ soit toujours au cœur de nos vies et à la source de notre unité.
3 L’attachement à la Vierge Marie qui est la patronne du Carmel
La Vierge Marie est le modèle de la Carmélite, mais elle est aussi le modèle du disciple que nous sommes appelés à devenir. Avant l’Annonciation, Marie était déjà unie à son peuple dans l’attente messianique, elle l’est toujours avec nous dans l’attente du retour du Christ dans la Gloire, lorsqu’il viendra juger les vivants et les morts. En répondant à l’appel du Seigneur pour devenir Carmélites, les religieuses portent cette espérance dans leur choix de vie, leur foi, leur prière quotidienne. Leur espérance est aussi prophétique. Nous avons tant besoin de raviver notre espérance en ce monde qui s’inquiète de plus en plus de son avenir. L’espérance nous libère de nos tentations au repli sur nous-mêmes et nous pousse à l’amour des autres et au don de soi dans le service du bien commun. Et cela, en gardant toujours une espérance en cette humanité appelée à être sauvée, car « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique ». Dans son Oui à la demande de l’Ange Gabriel de mettre au monde Jésus, le Fils de Dieu, la Vierge Marie a répondu à sa vocation de donner le Christ au monde. Ces 400 ans sont l’occasion de prier pour que des jeunes répondent à l’appel du Seigneur. Il y a bien des manières de « donner le Christ au monde », et chacun de nous, en tant que baptisé, est appelé à le faire dans son état de vie par son témoignage de foi. Mais nous prenons conscience en cet anniversaire de l’importance de la vie religieuse contemplative et, précisément en ce lieu, de la vocation carmélitaine. Nous avons compris que le témoignage des sœurs était très « utile » pour notre Église, elle l’est aussi pour notre société, pour notre monde. Soutenus par la prière de la Vierge Marie, prions pour que des jeunes femmes se laissent conduire par l’Esprit Saint et répondent à l’appel du Seigneur pour continuer l’histoire prophétique et si belle de ce Carmel de Morlaix. Amen
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon