Journée de la mission universelle de l’Eglise
La mission de l’Eglise est universelle – i-e catholique –, de trois manières, a écrit saint Thomas d’Aquin au 13ème s. Elle ne concerne pas seulement une nation, un territoire mais toute la terre, tous les peuples. Elle concerne aussi toute l’histoire et tout le devenir de l’humanité. Elle concerne enfin toute personne humaine en son histoire personnelle, quelle que soit sa condition. Mais le mot universel est à comprendre dans une perspective de diversité. La création est présentée dans la Bible comme tout le contraire d’un clonage ou d’une production en série de modèles uniques. Quand il crée et fait exister de multiples êtres vivants, ils sont variés et différenciés. Dieu crée de l’unique et du neuf et aussi de l’harmonie entre des différences et des contraires. Les textes de la liturgie, ce dimanche, abordent ces questions de manière originale. D’abord les réflexions de Jésus Ben Sirac, – il s’appelait bien Jésus lui aussi ! – un sage du Premier Testament.
Le Seigneur est un juge qui ne fait pas de différence entre les personnes.
Il ne défavorise pas le pauvre, il écoute la prière de l’opprimé.
Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin, ni la plainte répétée de la veuve.
[Les larmes de la veuve coulent sur sa joue et son cri accuse celui qui les provoque.]
Celui qui sert Dieu de tout son cœur est bien accueilli, et sa prière parvient jusqu’au ciel.
La prière du pauvre traverse les nuées ;
tant qu’elle n’a pas atteint son but, il demeure inconsolable.
Il ne s’arrête pas avant que le Très-Haut ait jeté les yeux sur lui,
prononcé en faveur des justes et rendu justice.
Les parents donnent naissance à des enfants dont la personnalité est différente et cependant ils leur portent le même amour. De même on peut dire que Dieu est créateur d’êtres différenciés et affirmer en même temps qu’il est « un juge qui ne fait pas de différence entre les personnes ». Son amour se manifeste différemment suivant les capacités et les besoins de chacun. La suite du texte précise le sens de la phrase : Dieu entend la prière des pauvres exprimant leurs misères autrement que celle des prétendus justes étalant leurs richesses et leurs injustices. Cela est vrai pour tous les peuples, tous les moments de l’histoire, tous les humains. Qu’elle est belle l’image du verset 18 replacée ci-dessus dans le texte biblique – que l’on n’a pas retenue, on ne sait pourquoi, dans le texte du missel – ! « Les larmes de la veuve coulent sur la joue de Dieu et son cri accuse celui qui les provoque. » Dieu pleure avec ceux qui pleurent : la prière du pauvre traverse les nuées et lui bouleverse le cœur.
Dieu ne se réjouit pas avec ceux qui se réjouissent et prient de mauvaise manière. Ce que dit Jésus de Nazareth semble contredire ce que dit Jésus Ben Sirac (Dieu ne fait pas de différence). Il déclare que Dieu peut tenir compte de la différence entre la prière de deux personnes priant dans le même temple, la même église.
Jésus dit une parabole pour certains hommes
qui étaient convaincus d’être justes
et qui méprisaient tous les autres :
« Deux hommes montèrent au Temple pour prier.
L’un était pharisien, et l’autre, publicain.
Le pharisien se tenait là et priait en lui-même : ´Mon Dieu, je te rends grâce
parce que je ne suis pas comme les autres hommes : voleurs, injustes, adultères,
ou encore comme ce publicain.
Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.´
Rien de plus normal que d’aller prier au Temple, pour un homme soucieux de religion et de perfection. Mais qu’il s’y trouve en compagnie d’un publicain, cela semble moins évident pour ce pharisien : cela le gêne. Le temple n’est pas la maison des pécheurs publics. Comment voulez-vous prier en si mauvaise compagnie ? On peut expliquer la gêne de ce pratiquant scrupuleux des préceptes de la Loi, d’avoir derrière lui (car le publicain se tenait à distance, nous dit le texte) cet homme méprisable. Cela lui gâche son plaisir et son recueillement. Du coup, il se rengorge et n’en est que plus satisfait de lui-même.
Cet homme dont parle Jésus n’a aucun complexe, ni pour se regarder, ni pour se comparer. « Il prie en lui-même » dit le texte. Devant l’image de lui-même que lui renvoie le miroir intérieur de son examen de conscience, sa prière se fait narcissique : il fait le compte de ses œuvres, de ses pratiques scrupuleuses. Devant le péché des autres il est méprisant, convaincu de sa perfection et tout envahi par son obsession de dénoncer leurs infidélités et leurs faiblesses. Du coup, il en oublie de prier à l’écoute et sous le regard de Dieu, de prier Dieu en vérité. « Il rend grâce de n’être pas comme les autres hommes : voleurs, injustes ou adultères, et en tout cas pas comme ce publicain… » Comment Dieu pourrait-il entendre l’action de grâce de quelqu’un qui est obsédé par l’idée d’exclure, de juger, de condamner les autres ? L’action de grâce de ce pharisien est fausse. C’est à lui-même qu’il rend grâce. Il se glorifie et prend plaisir à condamner l’autre qui prie en même temps que lui, ce qui n’a rien à voir ni avec Dieu, ni avec la prière, surtout la prière d’action de grâce !
En effet, rendre grâce parce qu’on se croit pur de tout péché et qu’on méprise les pécheurs ne peut plaire pas à Dieu. Il était fréquent aux temps anciens, dans le monde juif et aussi dans le monde grec – quel que soit le dieu à qui l’on s’adressait –, de se réjouir dans une prière, parce qu’on était né grec ou juif et non barbare ou païen, parce qu’on était né homme et non femme, savant et non ignorant, sage et rigoureux face à la loi et non insensé ou pécheur. Jésus va dénoncer cette ségrégation civile ou religieuse. En lui, les différences qui sont des barrières et des discriminations méprisantes sont abolies.
Par le baptême dans le Christ, dira saint Paul, il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni l’homme et la femme. En Jésus, l’ordre est inversé dans la prière. On se réjouit d’être aimé de Dieu quoique païen, pécheur, etc., et non d’être juste parce que de telle religion, ou parce que pratiquant rigoureux de telles prescriptions. La nouveauté majeure de l’Evangile consiste dans le fait que Jésus proclame qu’il est venu pour les pécheurs et non pour les justes qui tirent leur justice d’une pratique légaliste. Dans sa prière il a rendu grâce à son Père de pouvoir révéler sa miséricorde aux petits et aux pécheurs, « aux cœurs brisés et aux esprits abattus, angoissés » comme le dit le psaume 33 de ce dimanche.
Jésus s’est assis à la table des pécheurs. Il a appelé des publicains à le suivre. Il s’est laissé approcher et même toucher par des femmes pécheresses, et leur a pardonné. Il a exalté le berger qui délaisse 99 justes pour rechercher et sauver un seul pécheur dont la conversion réjouit le cœur de Dieu plus que l’autosatisfaction de ceux qui n’ont pas besoin de conversion.
La prière du publicain est à l’opposé de celle du pharisien.
Le publicain, lui, se tenait à distance
et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ;
mais il se frappait la poitrine, en disant :
´Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis !´
Quand ce dernier rentra chez lui,
c’est lui, je vous le déclare, qui était devenu juste, et non pas l’autre.
Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
Comme le fils prodigue de la parabole, le miroir du publicain ne lui rend pas une belle image de lui-même. Il voudrait lever les yeux vers le ciel, mais ne l’ose même pas et il se frappe la poitrine. Pas d’obsession chez lui de condamner quiconque, mais une volonté d’être pris en pitié par Dieu. C’est sa prière qui va traverser les nuées. Ses larmes vont couler sur la joue de Dieu, tandis que l’arrogance, l’autosuffisance et le mépris du pharisien discréditent sa prière et vont retomber sur lui, car ses condamnations le condamnent lui-même.
La notion de justice dans la Bible est à comprendre comme une justesse d’attitude et non une perfection morale. Etre juste ne consiste pas seulement à être sans reproche, sans péché, parfait en tout point, mais à se tenir juste à sa place, avec ses limites, ses défauts, ses péchés. Les justes dans la Bible ne sont pas forcément des héros, des « supermen », mais des modestes. Sont justes ceux qui savent s’ajuster de manière harmonieuse à Dieu et à leurs frères en s’en remettant à Dieu, l’unique et juste juge. Sont justes ceux qui aiment et non ceux qui condamnent. Ceux qui comme saint Paul au moment d’achever sa vie, s’en remettent au jugement et à la justice de Dieu.
Me voici déjà offert en sacrifice, le moment de mon départ est venu.
Je me suis bien battu, j’ai tenu jusqu’au bout de la course, je suis resté fidèle.
Je n’ai plus qu’à recevoir la récompense du vainqueur :
dans sa justice, le Seigneur, le juge impartial, me la remettra en ce jour-là,
comme à tous ceux qui auront désiré avec amour sa manifestation dans la gloire.
Évangile : selon saint Luc – Lc 18, 9-14