Quand le 1er janvier tombe un dimanche, l’Epiphanie est célébrée le 8 et le baptême du Seigneur le lundi 9. Le dimanche suivant s’ouvre le temps ordinaire qui va nous conduire jusqu’au Carême. Aujourd’hui, la liturgie marque une pause entre le temps de Noël, de l’Épiphanie et le temps dit ordinaire. Entre les récits sommaires de la naissance et de l’enfance de Jésus, et ceux plus développés de sa vie publique. Elle reporte en saint Matthieu à dimanche prochain, le récit des commencements de la vie publique de Jésus adulte.
Saint Jean évoque aujourd’hui le lien entre Jean Baptiste et Jésus. Continuité entre le précurseur et celui qu’il désigne comme « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » Rupture et nouveauté aussi puisque Jean Baptiste appelle Fils de Dieu celui qu’il vient de baptiser. Il déclare que Jésus baptise non plus seulement dans l’eau pour la conversion et le pardon mais dans l’Esprit Saint. Ainsi en Jésus leur frère, ceux qui sont baptisés en son nom sont revêtus de sa qualité de Fils, et ne font qu’un en lui. (Ga 3, 26-28)
Comme Jean Baptiste voyait Jésus venir vers lui, il dit :
« Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ; c’est de lui que j’ai dit :
Derrière moi vient un homme qui a sa place devant moi, car avant moi il était.
Je ne le connaissais pas ; mais, si je suis venu baptiser dans l’eau,
c’est pour qu’il soit manifesté au peuple d’Israël. »
Alors Jean rendit ce témoignage :
« J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui.
Je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit :
« L’homme sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer,
c’est celui-là qui baptise dans l’Esprit Saint. »
Oui, j’ai vu, et je rends ce témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »
Jean 1, 29-34
Ce récit qui relate le témoignage de Jean Baptiste se présente comme un temps de gestation et de maturation, comme l’a été le long temps de la vie de Jésus à Nazareth entre sa naissance et sa vie publique. Le temps d’entre deux âges dans une vie, comme celui d’une mer étale entre deux marées. L’âge auquel chacun advient à lui-même, s’interroge sur ce qui l’a précédé, ce que d’autres ont vécu et choisi avant lui, et le moment de s’interroger en conséquence sur l’orientation de sa propre vie. Marqué par son passé mais aussi faisant face à son avenir. A ce qu’il découvre de lui-même, à ce que lui inspire le présent de son histoire et de celle du monde en son déroulement.
C’est un temps que l’on peut qualifier de temps où mûrit une vocation, ce mot qui signifie un appel intérieur, une voix qui surgit et murmure au fond du cœur. Un appel qui vient aussi de l’extérieur, de l’immense rumeur des voix et des attentes qui surgissent du sein du peuple auquel chacun appartient, et de ce qu’il vit dans l’immense monde. Avant de quitter Nazareth, Jésus a dû beaucoup s’interroger sur la manière dont il allait jouer son rôle royal de Messie serviteur décrit dans les Écritures. Toute vocation requiert une maturation plus ou moins longue. Dans les textes de ce dimanche, l’appel est formulé au singulier et au pluriel. Tantôt c’est Dieu ou son prophète et « serviteur » qui parlent, tantôt ce sont le croyant ou le peuple.
Dans le Premier Testament retentissent les voix d’Isaïe et du psalmiste. Ecoutons-les.
Parole du serviteur de Dieu. Le Seigneur m’a dit :
« Tu es mon serviteur, Israël, en toi je manifesterai ma splendeur. »
Maintenant le Seigneur parle, lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère
pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob, que je lui rassemble Israël. Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force.
Et il dit : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations,
pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »
Is 49, 3.5-6
Puis dans le psaume 39
Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu as ouvert mes oreilles ; *
tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j’ai dit : « Voici, je viens.
Dans le livre, est écrit pour moi ce que tu veux que je fasse. *
Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles. »
J’annonce la justice dans la grande assemblée.
L’appel de Dieu que transmettent ces deux textes émerge de plusieurs lieux de gestation, plusieurs seins maternels. Il émerge d’abord du peuple qui vit l’épreuve d’un exil, d’une dispersion, d’une perte de sa liberté, de l’assemblée de Dieu, de tous ceux qui ont été les fondateurs et guides de ce peuple. Il émerge du Livre où se trouvent écrits les grands récits de l’Alliance, de la Loi et des Prophètes. De ce Livre où est écrit par Dieu ce qu’il veut que fasse son serviteur. Il émerge enfin de tous les peuples de la terre en attente de bonheur, de justice et de paix. Pas de frontières en quelque sorte entre l’histoire de chaque personne unique, et tous ces terreaux qui l’ont portée, façonnée. Ce n’est pas seulement un appel à la réalisation de soi, au bénéfice de soi, bouclé sur soi, mais un appel à accomplir la volonté d’un Autre, à se mettre au service des autres. Non seulement les autres de la famille et du clan, de la nation particulière à laquelle on appartient, mais aussi au service de tous les frères et toutes les sœurs en humanité.
La vocation d’Israël et celle du psalmiste se fondent sur un amour partagé entre l’appelé et celui qui l’appelle. Par leur voix c’est le peuple qui s’exprime : « J’ai du prix aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force », « Ta loi me tient aux entrailles, aux tripes ». Toute vocation au baptême, à la confirmation, à un mariage ou à un service s’inscrit dans une histoire d’alliance amoureuse. Quiconque se sait aimé et est lui-même saisi d’amour pour ses frères et sœurs en humanité ne peut ni se taire, ni rester inactif, comme le diront aussi les amis de Jésus.
Même écho dans le second Testament. Paul s’adresse à la communauté chrétienne de Corinthe.
Moi, Paul, appelé par la volonté de Dieu pour être Apôtre du Christ Jésus :
avec Sosthène notre frère, je m’adresse à vous qui êtes, à Corinthe, l’Église de Dieu,
vous qui avez été sanctifiés dans le Christ Jésus,
vous les fidèles qui êtes, par appel de Dieu, le peuple saint,
avec tous ceux qui, en tout lieu,
invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre.
Que la grâce et la paix soient avec vous, de la part de Dieu notre Père
et de Jésus Christ le Seigneur.
1 Co 1, 1-3
Le message de Paul déploie toutes les composantes d’une vocation chrétienne. Paul se dit appelé par la volonté de Dieu pour être apôtre du Christ, mais il n’est pas seul : il est accompagné d’un frère, apôtre comme lui : Sosthène. Tous deux sont apôtres qui n’ont pas vécu avec Jésus mais l’ont rencontré après sa résurrection. Dans l’Église du Christ l’appel est à la fois personnel, collégial, et propose de vivre en communion avec des frères et sœurs. Paul rappelle à l’Église de Corinthe que tous ses membres eux aussi sont des appelés, car ils sont baptisés dans le nom du Christ et sanctifiés par lui. Leur Église ne se conçoit qu’en lien avec toutes les autres Églises, tous les autres baptisés de toutes les nations qui constituent ainsi le nouveau peuple de Dieu. Message tout-à-fait actuel en la semaine de prière pour l’unité des chrétiens.
Saint Jean l’évangéliste présente Jean le baptiste comme un prophète des deux Testaments, pourrait-on dire : sa vocation comporte une double mission. Il représente Israël, parle et agit en son nom. Après avoir annoncé et préparé la venue du Christ, il désigne Jésus devant tous, non seulement comme prophète, apôtre de Dieu, mais comme étant l’Agneau de Dieu qui sauve le monde. Il est le Fils de Dieu en personne, car sur lui l’Esprit descend du ciel comme une colombe et demeure sur lui.
« Parmi les hommes, il n’a pas existé de plus grand prophète que Jean le Baptiste » déclarera Jésus à son sujet et il ajoutera : et cependant, le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. Toute vocation doit ressembler à celle de Jean. Tous les appelés à transmettre l’Évangile, ont pour mission de servir et d’annoncer un autre qu’eux-mêmes, de se faire petits et de s’effacer pour faire la volonté d’un plus grand qu’eux, comme Jésus l’a fait lui-même en disant à son Père : « Non pas ma volonté mais la tienne. »
Evangile selon saint Jean – Jn1, 27-34