Les textes de ce dimanche sont une source précieuse pour réfléchir sur l’importance du « service » dans nos vies personnelles et communautaires. C’est en nous faisant serviteurs et en vivant un amour de compassion que nous sommes appelés à témoigner du Christ. Sur ce sujet, les attitudes des apôtres rapportées par saint Marc nous offrent encore un contre-témoignage.
Alors, Jacques et Jean, les fils de Zébédée,
s’approchent de Jésus et lui disent :
« Maître, ce que nous allons te demander,
nous voudrions que tu le fasses pour nous. »
Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? »
Ils lui répondirent : « Donne-nous de siéger,
l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. »
Mc 10 35 37
Saint Marc n’a rien caché des ambitions et des querelles au sein du groupe des Douze et des malentendus entre eux et Jésus. Ce qui d’ailleurs plaide en faveur du caractère authentique de son Évangile. Ce qui témoigne de l’humilité des apôtres, puisqu’ils n’ont pas censuré les passages où ils donnaient d’eux-mêmes une image peu glorieuse. Il leur a fallu beaucoup de temps pour découvrir qui était Jésus et pour accepter de le suivre sur les chemins de sa mission de Messie-Serviteur et non pas se servir de lui dans des desseins religieux ou politiques, et l’amener à se soumettre à leurs projets. Ils ont l’honnêteté de montrer en quoi ils ont manqué de courage, de lucidité, et comment ils se sont trompés au sujet de leur maître et même parfois l’ont abandonné ou trahi.
A l’occasion du Concile Vatican II, après des siècles de chrétienté, l’Église a reconnu que sa mission universelle reçue du Christ a pu la conduire au cours des siècles à des pratiques non-évangéliques. De violentes pressions sur les consciences, une domination culturelle, des obligations sévères de rituels, des gouvernances dictatoriales. Dans leurs manières de vivre et de célébrer ensemble, les communautés chrétiennes de tous temps n’ont pas été et ne sont pas encore exemptes de rivalités, de recherches de pouvoir et de grandeur semblables à celles que manifestent Jacques et Jean dans l’Évangile de Marc. En la Journée Mondiale des Missions de cette année, l’Église est invitée à être fidèle à l’Évangile et à sa mission de servante dans le monde de ce temps, car ses membres ne sont pas meilleurs que leurs Pères. La réponse de Jésus à la demande des deux apôtres l’interpelle encore aujourd’hui.
Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez.
Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire,
être baptisé du baptême dans lequel je vais être plongé ? »
Ils lui dirent : « Nous le pouvons. » Jésus leur dit :
« La coupe que je vais boire, vous la boirez ;
et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé.
Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ;
il y a ceux pour qui cela est préparé. »
Mc 10 38 40
Les évangiles disent que Jésus a vécu trois baptêmes décisifs. Celui de Jean dans les eaux du Jourdain dans lesquelles il a été plongé avec tous les pécheurs dont « il se charge des péchés pour les réparer ». Celui du bain de l’Esprit qui descend sur lui et de la voix céleste qui lui donne le nom de « Fils bien-aimé ». Et enfin celui de sa mort sur la croix qui sera son baptême du sang. Aux deux apôtres assoiffés de pouvoir, Jésus annonce que son triomphe messianique ne se passera pas comme ils l’imaginent. Son intronisation sera pour lui un baptême de souffrance, et la coupe qu’il va boire sera celle du sang versé, quand il ira jusqu’au bout du don de lui-même, à l’extrême de son amour. Sa mission est d’être serviteur et sauveur de l’humanité non pas assis sur un trône royal mais élevé sur une Croix. Il est venu accomplir ce qu’annonçait le prophète Isaïe.
Qui aurait cru ce que nous avons entendu ?
Le bras puissant du Seigneur, à qui s’est-il révélé ?
Devant lui, le serviteur a poussé comme une plante chétive,
une racine dans une terre aride ;
il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards,
son aspect n’avait rien pour nous plaire.
Méprisé, abandonné des hommes,
homme de douleurs, familier de la souffrance,
il était pareil à celui devant qui on se voile la face ;
et nous l’avons méprisé, compté pour rien.
En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait,
nos douleurs dont il était chargé.
Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. […]
Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur.
S’il remet sa vie en sacrifice de réparation,
il verra une descendance, il prolongera ses jours :
par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira.
Par suite de ses tourments, il verra la lumière, la connaissance le comblera.
Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes,
il se chargera de leurs fautes.
Is 53 10 11
Jacques et Jean en restent à une vision mondaine du pouvoir. Ils ne savent pas encore que c’est sur la Croix que se manifestera la gloire de Jésus, ils ne savent pas que ce baptême et cette coupe seront aussi leur lot, quand ils auront à exercer leur mission d’apôtres après sa mort et sa résurrection. Jésus leur révèle enfin que c’est dans le Royaume à venir, à la fin des temps, que les places seront accordées aux uns et aux autres par le Père. Serviteur et Fils du Père, il va jusqu’à se dessaisir du jugement dernier.
Il est bon d’aller jusqu’au bout du récit de Marc. C’est en effet à tous les Douze, et donc aussi à tous ceux qui sont et seront ses disciples qu’il s’adresse pour les inviter à être serviteurs comme lui et non à la manière du monde manifestée par Jacques et Jean.
Les dix autres, qui avaient entendu,
se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean.
Jésus les appela et leur dit : « Vous le savez :
ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ;
les grands leur font sentir leur pouvoir.
Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi.
Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur.
Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous :
car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi,
mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »
Mc 10 41-45
La soif de grandeur dont font preuve Jacques et Jean est tapie au fond de chacun, de chaque groupe, de chaque peuple. Elle peut se réveiller à tout moment de mille manières, tout autant comme désir d’une perfection absolue que comme obsession de dominer. Nous savons comment Satan avait tenté (et aussi testé) Jésus à son sujet. Change les pierres en pain, sois le maître du monde. Jette-toi dans le vide. Puisque tu es Fils de Dieu, rien ne te sera impossible. Nous savons comment Jésus avait résisté à ces tentations au désert, pour choisir un chemin d’humanité, d’humilité et de service. Dans sa recommandation à tous les disciples, Jésus emploie les mots « serviteur » (diaconos en grec) et « esclave » (doulos). Les deux, il se les est appropriés pour servir l’humanité, comme l’évoque l’auteur de l’épître aux Hébreux ce dimanche :
En Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence,
celui qui a traversé les cieux ; tenons donc ferme l’affirmation de notre foi.
En effet, nous n’avons pas un grand prêtre
incapable de compatir à nos faiblesses,
mais un grand prêtre éprouvé en toutes choses,
à notre ressemblance, excepté le péché.
Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la grâce,
pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours.
Hé 4 14 16
Le Père Congar, grand théologien du 20e siècle, faisait remarquer qu’aux premiers temps de l’Église, évêques et prêtres étaient d’abord désignés par les communautés avant d’être ordonnés, et cela souvent contre leur gré. Ce qui attestait qu’ils n’avaient pas cherché la grandeur ou la dignité, et que leur ordination n’était pas liée à une ambition personnelle. On se méfiait donc plutôt de ceux qui ressemblent à Jacques et Jean. Belle leçon à retenir pour tous.
EXTRAITS DU MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS POUR LA XCVIIIè JOURNÉE MONDIALE DES MISSIONS 2024
20 octobre 2024
Allez et invitez tout le monde à la noce (cf. Mt 22, 9)
Chers frères et sœurs !
Pour la Journée Mondiale des Missions de cette année, j’ai choisi comme thème la parabole évangélique des noces (cf. Mt 22, 1-14). Après que les invités ont refusé l’invitation, le roi, protagoniste du récit, dit à ses serviteurs : « Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce » (v. 9). En réfléchissant sur ce mot clé, dans le contexte de la parabole et de la vie de Jésus, nous pouvons mettre en évidence certains aspects importants de l’évangélisation. Ils sont particulièrement actuels pour nous, disciples-missionnaires du Christ, dans cette phase finale du parcours synodal qui, conformément à la devise “Communion, participation, mission”, devra relancer l’Église dans son engagement prioritaire : l’annonce de l’Évangile dans le monde contemporain.
Au début du commandement du roi à ses serviteurs, il y a les deux verbes qui expriment le cœur de la mission : “allez” et “appelez” dans le sens d’“invitez”.
Concernant le premier verbe, il faut rappeler que les serviteurs avaient déjà été envoyés auparavant pour transmettre le message du roi aux invités (cf. vv. 3-4). Cela nous fait comprendre que la mission est une sortie inlassable vers toute l’humanité pour l’inviter à la rencontre et à la communion avec Dieu. Inlassable ! Dieu, grand en amour et riche en miséricorde, est toujours en sortie vers tout homme pour l’appeler au bonheur de son Royaume, malgré l’indifférence ou le refus. De la même façon, Jésus-Christ, le bon pasteur et l’envoyé du Père, allait à la recherche des brebis perdues du peuple d’Israël et voulait aller plus loin pour rejoindre les brebis les plus éloignées (cf. Jn 10, 16). Il dit aux disciples “Allez !”, aussi bien avant qu’après sa résurrection, les impliquant dans sa mission (cf. Lc 10, 3 ; Mc 16, 15). C’est pourquoi l’Église continuera à se rendre au-delà de toutes frontières, à sortir sans cesse, sans se fatiguer ni se décourager face aux difficultés et aux obstacles, pour accomplir fidèlement la mission reçue du Seigneur.
Je saisis cette occasion pour remercier les missionnaires, hommes et femmes, qui, répondant à l’appel du Christ, ont tout quitté pour partir loin de leur patrie et apporter la Bonne Nouvelle là où les gens ne l’ont pas encore reçue ou ne l’ont accueillie que récemment. Chers amis, votre généreux dévouement est une expression tangible de l’engagement pour la mission ad gentes que Jésus a confiée à ses disciples : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples » (Mt 28, 19). Continuons donc à prier et à remercier Dieu pour les nouvelles et nombreuses vocations missionnaires, pour l’œuvre d’évangélisation qui se poursuit jusqu’aux extrémités de la terre.
Et n’oublions pas que chaque chrétien est appelé à prendre part à cette mission universelle par son propre témoignage évangélique dans tous les milieux, afin que l’Église tout entière ne cesse de sortir avec son Seigneur et Maître vers les “carrefours des routes” du monde d’aujourd’hui. Oui, « aujourd’hui, le drame de l’Église est que Jésus continue à frapper à la porte, mais de l’intérieur, pour que nous le laissions sortir ! Très souvent, on finit par être une Église […] qui ne laisse pas le Seigneur sortir, qui le tient comme sa “chose propre” alors qu’Il est venu pour la mission et nous veut missionnaires » (Discours aux participants au Congrès organisé par le Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie, 18 février 2023). Nous tous, baptisés, disposons-nous à partir de nouveau, chacun selon sa condition de vie, pour lancer un nouveau mouvement missionnaire, comme à l’aube du christianisme !
Revenant au commandement du roi aux serviteurs de la parabole, aller va de pair avec appeler ou, plus précisément, inviter : « Venez à la noce ». (Mt 22, 4). Cela laisse percevoir un autre aspect de la mission confiée par Dieu, non moins important. Comme on peut l’imaginer, ces serviteurs-messagers transmettaient l’invitation du souverain avec urgence mais aussi avec grand respect et gentillesse. La mission de porter l’Évangile à toute créature doit nécessairement prendre le style même de Celui qui est annoncé. Les disciples-missionnaires proclament au monde « la beauté de l’amour salvifique de Dieu manifesté en Jésus Christ mort et ressuscité » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 36), avec joie, magnanimité et bienveillance, fruits de l’Esprit Saint en eux (cf. Ga 5, 22) ; sans obligation, contrainte, prosélytisme ; toujours avec la proximité, la compassion et la tendresse qui reflètent la manière d’être et d’agir de Dieu.
Evangile selon saint Marc – Mc10, 35-45