Homélie transcrite à partir d’un enregistrement.
Frères et Sœurs,
Le texte d’Évangile que nous venons d’entendre peut nous paraître un peu surprenant, voire un peu choquant. Le style littéraire sémitique est volontairement provoquant. Car, il faut bien reconnaître que l’amour de nos parents, de nos enfants, est ce qu’il y a de plus important dans notre vie ! Bien entendu, Jésus dans cet Évangile ne dit pas qu’il ne faut pas aimer ses parents ou ses enfants !
Pour bien comprendre ce texte et accueillir ce que veut nous dire Jésus, je pense qu’il faut revenir à la deuxième lecture extraite de la Lettre aux Romains.
Ce passage de la Lettre aux Romains est la lecture que nous lisons lors de la Vigile pascale. Après les sept lectures de l’Ancien Testament, il n’y a qu’une seule lecture du Nouveau Testament, en dehors de l’Évangile bien sûr, et c’est ce texte de l’Épître aux Romains, chapitre 6. C’est un texte très important, car il nous fait bien comprendre ce qu’est le baptême. Il dit, en particulier : « Nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jésus, c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême… » Et St Paul ajoute que par sa Résurrection nous entrons dans une vie nouvelle avec Lui.
Cela signifie que l’eau du baptême n’est pas seulement là pour laver les péchés, comme pour le baptême de conversion de Jean-Baptiste. Ce plongeon dans l’eau du baptême nous associe à la mort et à la Résurrection du Christ. Par le baptême, nous devenons vraiment unis au Christ pour toujours, et nous mettons déjà un pied dans la vie éternelle avec Lui. Le Christ est tout pour nous : c’est Lui qui nous pardonne nos péchés et qui nous fait entrer dans la vie, qui nous aime plus que tout. Il n’y a pas d’amour supérieur à l’amour de Jésus.
Être uni à Jésus nous fait entrer dans une vie nouvelle, comme dit Saint-Paul, de la même façon que le Christ est ressuscité d’entre les morts. Je pense que cela nous aide à mieux comprendre l’Évangile. Ce lien d’amitié (c’est le Christ lui-même qui emploie ce terme, mais il faudrait un mot encore plus fort) avec Jésus est plus important, plus fort que nos liens familiaux. Jésus le dit également dans un autre passage d’Évangile « Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? Ma mère, mes frères, ce sont ceux qui font la volonté de mon Père qui est dans les Cieux. » (Mt 12, 48-50) Je trouve que cela éclaire la phrase : « Celui qui aime son Père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. »
Que signifie, concrètement aimer Jésus plus que ses parents ? Je vais vous donner un exemple, assez fréquent, celui des vocations religieuses ou sacerdotales. Il arrive qu’une jeune fille, qui a envie de consacrer totalement sa vie à Dieu, se retrouve en opposition avec ses parents qui ne voient pas ce projet d’un bon œil. La jeune fille suit pourtant sa vocation malgré le refus de ses parents ; elle suit Jésus plutôt que ses parents (l’expérience montre que souvent les parents finissent par accepter la vocation de leur enfant quand ils la voient heureuse). Cela ne signifie pas qu’elle n’aime pas ses parents, non, cela veut dire qu’elle préfère le Christ à ses parents.
Suivre Jésus, ce n’est pas une passion comme une autre, ce n’est pas quelque chose que nous avons ‘en plus’ dans la vie. Non, c’est toute notre personne qui est complètement engagée, car par le baptême, par la confirmation, par le don de l’Esprit, nous sommes unis au Christ. Et cela change totalement notre existence : c’est une vie nouvelle que nous construisons sur l’Évangile avec la force de l’Esprit Saint, en amitié avec le Christ. Une vie nouvelle qui est à vivre chacun selon notre vocation propre bien entendu. Quand le Christ dit « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi. » cela va dans le même sens. En effet, ce n’est pas d’une simple croix qu’Il nous parle, mais de la Croix du Christ, là où Il a vraiment donné sa vie par amour en un don de lui-même qui est source de vie pour les autres ! Le Christ, c’est celui qui donne sa vie par amour, qui renonce à lui-même.
J’ai été frappé, et le pape François utilise aussi cette image, par des parents qui se donnent entièrement à leurs enfants. Pendant le confinement j’ai été admiratif des parents qui en plus de leur temps de télétravail s’occupaient de leurs enfants tant pour la catéchèse, l’école, les loisirs, les repas… Ils ont donné le beau témoignage d’une vie entièrement donnée.
Dans cette pandémie, nous avons compris ce que signifiait concrètement donner sa vie par amour ! Le risque du monde d’aujourd’hui c’est l’individualisme. Il est vrai que la pandémie, qui n’est pas encore derrière nous, a changé la donne. Nous avons senti qu’il y avait une nécessité de plus de solidarité, de plus d’ouverture, plus d’attention aux autres.
Nous voyons aussi que le déconfinement peut nous replier de nouveau sur nos intérêts particuliers, et il nous faut être vigilants ! Jésus dit : « Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la trouvera. ».
La pandémie de Coronavirus nous a fait prendre conscience davantage de l’importance des liens humains, de l’attention aux autres. Elle nous a fait aussi prendre conscience de nos liens avec la nature et de l’impact très important de l’activité humaine sur l’environnement. « Tout est lié » comme dit le pape François dans l’encyclique Laudato Si. L’économie, l’écologie humaine… nous sommes tous liés les uns aux autres ! Et nous sommes profondément dépendants de la nature, de l’environnement !
Les paroles du Christ dans l’Évangile d’aujourd’hui résonnent d’une manière particulière dans le contexte actuel. C’est un appel à la conversion, à changer nos manières d’être, nos manières de faire, nos manières de vivre. D’abord en ne nous repliant pas sur nous-mêmes, mais en étant vraiment des disciples du Christ, de ceux qui sont tournés vers les autres. Un disciple qui donne sa vie par amour et qui devient alors, comme le Christ et en son nom, source de vie pour les autres. C’est ce à quoi le Seigneur nous appelle aujourd’hui. Amen
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon