Ax 3, 1-8a.10.13-15 ; Ps 102 ; 1Co 10, 1-6.10-12 ; Lc 13, 1-9
Homélie retranscrite à partir d’un enregistrement
Frères et sœurs,
Dans les textes que nous entendons aujourd’hui, l’amour de Dieu se manifeste et Jésus nous dit et nous montre clairement qu’il veut vraiment nous sauver de la mort éternelle, c’est pourquoi il a donné sa vie. Nous célébrons bien sûr ce salut que le Seigneur nous apporte tout au long du temps pascal.
Mais il attend aussi de nous un changement de vie. Il attend de nous une conversion. C’est vrai que le mot conversion peut nous déranger quelque peu, car nous l’entendons souvent comme une injonction à une conduite morale meilleure. Ce qui en soi est une bonne chose d’ailleurs. Le terme conversion est reçu néanmoins comme un discours moralisateur généralement mal accueilli. Dans les textes de ce jour, nous découvrons plus en profondeur ce que le Seigneur entend par conversion lorsqu’il dit « Convertissez-vous ! ». Je vous propose d’explorer différents aspects de cet appel à la conversion dans les lectures de ce jour. J’en ai relevé quatre.
Le premier aspect est que Dieu nous aime. Il le manifeste dans le livre de l’Exode que nous avons entendu : « J’ai entendu ses cris, je connais ses souffrances ». Il le dit par rapport au peuple hébreu qui est en esclavage en Égypte. Cela signifie que Dieu nous aime, qu’il nous écoute et qu’il n’est pas insensible à ce que nous vivons. Il ne reste pas inactif puisqu’il dit : « Je suis descendu pour le délivrer ». Pour ce faire, il appelle Moïse dans ce signe du buisson ardent et l’envoie délivrer le peuple de l’esclavage, symbole du mal qui peut nous atteindre.
Nous pouvons entendre pour nous-mêmes ce que le Seigneur nous dit. Il nous aime et n’est pas insensible à nos cris ni à nos souffrances. Il connaît nos souffrances actuelles et passées. L’expérience nous montre aujourd’hui que des souffrances peuvent ressurgir après des décennies, en particulier avec les abus sexuels et les violences commises sur des enfants. Dieu nous aime, il écoute nos cris et il agit. Nous devons croire que tous les efforts de l’Église actuellement pour mettre un terme à ces souffrances et accueillir les témoignages des victimes sont inspirés par Dieu. Il nous envoie pour cela, un peu comme il a envoyé Moïse, pour délivrer son peuple de l’esprit du mal.
Un deuxième aspect de la conversion est la reconnaissance de notre finitude. Dans l’Évangile d’aujourd’hui, on rapporte à Jésus deux faits divers : l’assassinat de Galiléens par Pilate et la chute de la tour de Siloé qui a fait des victimes. À l’époque, on considérait ces morts comme une punition divine. On se disait : « S’ils ont subi cela, c’est qu’ils ont fait quelque chose de mal. » Jésus dit clairement que ce n’est pas Dieu qui tue les êtres humains, ce n’est pas lui qui veut leur mort, ce n’est pas la punition de leurs méfaits. Mais il ajoute une phrase un peu étonnante : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même ». Que veut dire Jésus par-là ? Ces faits divers révèlent notre fragilité humaine et notre finitude. Cette prise de conscience doit nous amener à prendre au sérieux l’appel de Jésus et son enseignement dans l’Évangile, source de salut pour nous.
Lorsque nous célébrons le Mercredi des Cendres, nous recevons sur notre front le signe des cendres. Deux phrases sont proposées dans la liturgie : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile », déjà une invitation à la conversion, et « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière » (Gn 3, 19). La prise de conscience de notre finitude doit nous ouvrir à la conversion. Pendant le Carême, nous sommes appelés à prendre conscience de cette finitude qui nous pousse à nous tourner vers Jésus et à mettre notre foi en lui, mort sur la croix, mais qui a vaincu la mort. Nous sommes à l’opposé de la phrase : « Mangeons et festoyons, car demain nous mourrons. » Jésus nous ouvre la porte de la vie éternelle si nous mettons notre foi en lui. Il nous donne cette perspective que nous pouvons vivre avec lui par-delà la mort.
Un troisième aspect de la conversion est de faire mémoire du mal commis pour ne pas recommencer. Nous entendons cette phrase de saint Paul : « Ces événements devraient nous servir d’exemple pour nous empêcher de désirer ce qui est mal, comme l’ont fait ces gens-là ». En méditant cette phrase, je ne vous cache pas que je n’ai pu m’empêcher de penser à tout le travail de mémoire que nous faisons actuellement, grâce aux témoignages des victimes, sur les dérives des années 1960 à 1990 : les violences physiques et sexuelles faites aux enfants, pas seulement dans l’Église, mais aussi dans l’Église, ce qui est encore plus grave, car c’est à l’opposé du message qu’elle annonce et de la mission qui lui est confiée.
Nous n’aimons pas beaucoup faire mémoire de ces actes commis dans la deuxième moitié du XXᵉ siècle, car cela ne concernait pas tous les acteurs de la pastorale. Beaucoup d’entre nous ont des souvenirs de prêtres et de frères qui nous ont beaucoup apporté et aidés à vivre. Il y a de très beaux témoignages et de belles choses vécues dans ces années-là, mais pas uniquement justement. Et la mémoire permet de guérir les blessures des victimes et, comme le dit saint Paul, de nous empêcher de désirer ce qui est mal. Et cela est valable pour chacun de nous, car comme le dit encore saint Paul : « Celui qui se croit solide doit faire attention à ne pas tomber ». Faire mémoire, ce n’est pas pour raviver les blessures ni remuer la boue. « La vérité vous rendra libres », dit Jésus (Jn 8, 32). « Celui qui fait la vérité vient à la lumière » (Jn 3, 21) dit-il encore, car la vérité ouvre à la reconnaissance de ce qui est mal et nous ouvre à la conversion et à l’accueil de la miséricorde de Dieu. Cela est valable pour nous tous. Faire mémoire de nos attitudes passées, même lointaines, nous ouvre à la conversion.
Enfin, quatrième point, nous avons besoin de l’aide du Seigneur pour nous convertir. Dans l’Évangile, nous avons la parabole du figuier stérile et du vigneron qui garde l’espérance pour ce figuier en disant : « Peut-être produira-t-il du fruit à l’avenir. » Il bêche autour et y met du fumier, cherchant à lui faire produire ce fruit. La stérilité du figuier est peut-être aussi la nôtre. Nous ne pouvons pas nous convertir uniquement par nos propres forces, par nos propres efforts. Jésus dit bien : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). Se convertir, c’est donc aussi accueillir le don de Dieu qui seul est capable de nous délivrer du mal. Nous avons été confirmés dans l’Esprit Saint et avons reçu la force de lutter contre le mal et de grandir en sainteté. Nous célébrons l’Eucharistie, qui est également un sacrement de guérison. Mais, nous avons aussi le sacrement de la pénitence et de la réconciliation, vrai don de Dieu pour nous aider à discerner ce que nous devons changer dans notre vie. Le prêtre est là justement pour nous aider, au nom du Seigneur, à prendre conscience de tout cela et à progresser sur le chemin de la sainteté.
Frères et sœurs, en cette année jubilaire de 2025, année de remise de toutes les dettes passées : le mal que nous avons pu commettre dans notre vie passée et présente, même lointaine, les dettes que nous pouvons avoir vis-à-vis des autres, le mal que nous avons pu faire nous-mêmes et celui que les autres nous ont fait, sans oublier la réconciliation avec nous-mêmes, pour nous réconcilier avec notre passé et accueillir la grâce de Dieu. Ce temps de Carême est une belle occasion de vivre ce sacrement pour ne pas laisser nos fautes passées empêcher une vraie communion avec le Seigneur. Des blessures enfouies peuvent nous empêcher d’avoir cette relation.
En conclusion, comme nous le constatons, la conversion n’est pas seulement un effort sur nous-mêmes comme nous essayons de le faire pendant le Carême pour être meilleurs. C’est aussi reconnaître notre finitude pour nous tourner vers Jésus, notre Sauveur, pour le mettre au centre de notre vie. C’est faire mémoire du mal commis pour ne pas tomber et pour reconnaître ce qui a été fait, pour nous purifier aussi de notre mémoire. C’est aussi accueillir la grâce de Dieu et sa force dans le combat spirituel. Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon