Jb 38, 1.8-11 ; Ps 106 ; 2 Co 5, 14-17 ; Mc 4, 35-41
Homélie retranscrite à partir d’un enregistrement
Frères et sœurs,
Habiter au bord de la mer, c’est une chance que beaucoup nous envient. Cependant, il arrive aussi que la mer se transforme en menace : tempêtes, montées des eaux… Cela explique que, dans la Bible, la mer est souvent assimilée aux forces du mal lorsqu’elle devient violente et engloutit les navires et leurs équipages. C’est pour cette raison que ce récit de la tempête apaisée a été dès l’origine de l’Église interprétée par les premiers chrétiens comme une allégorie de l’Église, représentée ici par la barque des apôtres, secouée en particulier lors des premières persécutions. Mais, l’Église ce n’est pas seulement les apôtres dans la barque… c’est aussi chacun de nous, frères et sœurs, c’est notre couple, notre famille, secoués par les vicissitudes de notre existence. Nous sommes aussi la barque de l’Église !
Dans cette homélie, j’aimerais aborder deux aspects qui ressortent de ce passage. Tout d’abord, quel est le sens de cette invitation de Jésus à passer « sur l’autre rive » ? Et ensuite, quel est le message que le Christ nous donne dans cette traversée mouvementée d’abord puis apaisée par Lui ensuite ?
D’abord, « passons sur l’autre rive », dit Jésus à ses apôtres. Que représente donc cette « autre rive » ? Nous utilisons parfois cette expression pour faire part du décès d’un proche, évoquant ainsi le passage par la mort pour entrer dans la vie éternelle avec le Christ. C’est une expression empreinte de beaucoup d’espérance. En effet, un non-croyant dirait plutôt « nous avons perdu » untel… ! Mais pour nous, chrétiens, l’autre rive, elle commence déjà par le baptême et la confirmation, car nous mettons déjà un pied sur l’autre rive, celle de la vie éternelle, lorsque nous entrons dans une vie nouvelle avec le Christ. Dans la deuxième lecture, saint Paul nous le dit « Si donc quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. »
Ce monde nouveau est bien cette autre rive vers laquelle Jésus nous emmène. Ce premier point est très important, car cet objectif de passer sur l’autre rive oriente toute notre existence, notre manière de nous comporter en ce monde, nos choix de vie, nos relations aux autres. Tout est transformé. Comme l’exprime saint Paul clairement : « Le Christ est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux. » C’est une invitation à non seulement renoncer à tout égoïsme ou repli sur soi, ses affaires, ses problèmes… mais un décentrement sur le Christ qui a donné sa vie pour nous sauver. « L’amour du Christ nous saisit » et transforme tous nos rapports humains, pour reprendre la très belle expression de saint Paul. Il poursuit en disant que « Désormais, nous ne regardons plus personne d’une manière simplement humaine ».
Qu’est-ce donc que ce regard simplement humain ? C’est un jugement sur l’apparence (le vêtement, le physique, le handicap, les faiblesses, les fragilités, les différences de classes sociales, les défauts, mais également les péchés…). Or, regarder d’une manière qui n’est plus simplement humaine, c’est porter sur autrui un regard d’amour et de bienveillance qui sont déjà les fruits de l’Esprit Saint dans notre vie lorsque nous faisons en sorte qu’il se manifeste pleinement dans notre existence.
Cet appel de Jésus à passer sur l’autre rive, nous pouvons déjà l’accueillir comme un appel à avoir toujours en tête le but de notre existence humaine comme disciples du Christ, qui n’est pas de se faire un trésor sur la terre dans les biens de consommation et dans l’hédonisme, le bien-être pour soi, le développement personnel… mais plutôt de se constituer un trésor dans le ciel par la richesse de nos relations humaines lorsqu’elles sont suscitées et habitées par l’amour du Christ que nous mettons au centre de notre vie comme nous y invite saint Paul.
Le deuxième point, c’est donc que la traversée s’avère éprouvante pour atteindre cette « autre rive ». Comme je l’ai dit au début, notre existence humaine est secouée par des tempêtes auxquelles personne n’échappe : tempêtes personnelles au travers de problèmes de santé, d’épreuves personnelles de tous ordres (scolaires, professionnelles, affectives, conjugales, familiales…), mais aussi tempêtes de notre humanité (guerres, dérives sociétales, défis climatiques et autres…). La barque de l’Église dans laquelle nous sommes tous ensemble est secouée par tout cela… pas seulement donc par les tempêtes extérieures qui sont liées à la vie de notre monde, mais la barque de l’Église se remplit d’eau au point de la mettre en danger, comme nous l’avons entendu dans l’Évangile, par la vie mouvementée des disciples que nous sommes !
Dans ce contexte, notre foi est mise à l’épreuve comme les disciples qui crient : « Maître, nous sommes perdus, cela ne te fait rien ? ». Ce cri, nous l’exprimons parfois nous aussi vers Dieu. Nous exprimons nos doutes « si Dieu existait, il n’y aurait pas tout cela », « Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour qu’il m’arrive toutes ces épreuves ? » Alors, pourquoi le mal au fond ? Pourquoi faut-il subir cette tempête pour passer sur l’autre rive ?
Jésus ne répond pas à cette question « pourquoi le mal ? », mais il nous dit deux choses essentielles dans cette allégorie, qui sont, je trouve, très éclairantes :
Le message que nous pouvons retenir, c’est que la foi, la confiance en Jésus, le fait de mettre le Christ au centre de notre vie, la nécessité de prier sans se décourager, nous permet de tenir bon. L’Esprit Saint apporte la paix intérieure, la sérénité, la lumière de la vérité et donc le discernement pour nous aider à prendre les bonnes décisions afin de surmonter les épreuves de la vie et de passer avec Jésus dès maintenant sur l’autre rive, une vie de disciples-missionnaires que la mort ne pourra pas détruire. Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon