Homélie retranscrite à partir d’un enregistrement
Frères et Sœurs,
Les textes de la liturgie de ce jour nous appellent à l’humilité. La comparaison avec un enfant est forte, mais elle est aussi, il faut le reconnaître, un peu audacieuse puisque pas forcément l’image que l’on peut se faire d’un bon disciple puisqu’un enfant découvre la vie, il ne sait pas discerner ce qui est bien ou mal, il est dépendant, il est vulnérable et fragile. Cependant, il faut reconnaître qu’il y a d’autres aspects de la qualité d’un enfant, c’est cette soif de découvrir, cette confiance absolue dans les adultes qui l’élèvent, qui l’éduquent et le conduisent dans la vie, un amour tout simple. Un enfant ne se croit pas supérieur aux autres. Il sait qu’il a tout à apprendre. Enfin, un enfant s’émerveille. Or, Jésus est très net et dit : « Si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. » En tant que baptisés, mais aussi prêtres et diacres, ces paroles nous interpellent. Nous avons suivi une longue formation et nous sommes chargés d’enseigner. Pourtant, il est bon pour nous d’entendre la conclusion que Jésus donne dans la guérison de l’aveugle-né dans Saint-Jean au chapitre 9 : « Du moment que vous dîtes : nous voyons, votre péché demeure. » (Jn 9, 41) En effet, car la vérité ne se révèle pas aux sages et aux savants, mais aux tout-petits (Cf. Mt 11, 25).
De fait, nous avons un service à rendre en aidant les fidèles à accueillir la parole de Dieu et en vivre, mais en même temps, nous avons nous-mêmes à nous laisser interpeller et convertir par cette même parole, sinon nous sommes des aveugles. C’est ainsi que l’on peut être comme les petits-enfants en accueillant ce que le Seigneur a à nous dire, mais également en ayant, humblement, la responsabilité d’enseigner et de gouverner l’Église de Dieu en son nom.
Cette attitude nous ouvre à la charité pastorale, car nous ne pouvons pas nous sentir supérieurs aux autres. Nous sommes aussi des baptisés, pêcheurs et appelés à la conversion. Nous pouvons ainsi comprendre les personnes que nous rencontrons et qui expriment leur difficulté à grandir en sainteté, car c’est difficile aussi pour nous. Alors « qui est le plus grand dans le Royaume des cieux ? » Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus a bien incarné cette parole du Christ et nous montre le chemin. Elle était une des petites religieuses du Carmel en choisissant simplement l’amour comme vocation et pourtant elle s’est révélée une très grande dame dans le Royaume de Dieu et nous voyons bien les fruits que cela a pu produire, au moins en partie. Son témoignage éclaire notre vie de prêtres et la manière avec laquelle nous pouvons exercer notre responsabilité de pasteur. On a reproché ces temps-ci aux prêtres leur cléricalisme. En fait ce qu’on appelle dans la société le cléricalisme s’apparente plutôt à l’autoritarisme, c’est-à-dire un pouvoir qui impose son point de vue en se considérant toujours comme supérieur à l’autre. Or, nous connaissons bien cette parole du Christ : « Celui qui veut être le premier, qu’il soit votre serviteur, et même l’esclave de tous. » Nous savons bien tout cela, mais la mise en œuvre n’est pas aisée, car nous avons à gouverner l’Église de Dieu, une église composée de fidèles qui poussent à hue et à dia et nous sommes obligés de trancher et de décider vers où nous devons aller. C’est aussi un service que nous rendons à l’Église, mais c’est vrai qu’il suppose de notre part beaucoup d’écoute préalable afin de chercher, à savoir, à comprendre, un peu comme les enfants justement qui ont soif de connaître et qui savent très bien qu’ils n’ont pas la science infuse. D’où l’importance bien sûr des conseils de tous les laïcs avec lesquels nous travaillons, de notre équipe pastorale et plus largement des démarches synodales que nous pouvons faire à l’échelle d’une paroisse ou d’un diocèse.
Il y a un autre aspect qui nous éclaire dans ce passage d’Évangile : la comparaison avec un enfant, c’est justement la confiance totale de ce dernier vis-à-vis de ses parents. Sainte-Thérèse a incarné aussi cette confiance, cette foi dans sa prière d’intercession. Elle a prié pour un condamné à mort, pour des prêtres, pour les missionnaires avec la conviction qu’elle serait exaucée. Et du fond de son Carmel, sa prière est exaucée et a été très féconde, au point qu’on a choisi Sainte-Thérèse comme la patronne des missions.
Nous avons bien compris aujourd’hui que notre diocèse était devenu une terre de mission. Cela peut nous décourager, car nous sommes confrontés à l’incroyance au cœur même de nos familles, de nos paroisses. Lorsque l’on constate l’efficacité de la foi de la « petite Thérèse », comme elle est appelée, alors qu’elle restait humblement dans son Carmel, je trouve que cela nous fait bien réfléchir et nous donne du courage. Le Seigneur ne nous demande pas des choses extraordinaires, mais une foi humble et forte. C’est un appel à remettre la prière au centre de notre vie apostolique ; une prière confiante fervente et le Père saura bien conduire ses enfants pour un travail efficace qui ne nous mette pas aussi à plat sur le plan de la santé.
Enfin dernier point, ce qui frappe chez les enfants, c’est leur enthousiasme, même lorsque la vie est difficile. N’est-ce pas ce que Seigneur demande à ses disciples ? Il est certain que notre ministère est sans doute plus difficile qu’autrefois. Pour les diacres, je l’ignore, car c’est un ministère qui est plus récent. En tout cas, les prêtres l’expriment souvent : paroisses trop grandes, manque de fidèles, peu de jeunes, pas assez de prêtres, résistance au changement… avec le risque d’être découragé. Sans nier ces difficultés, comment pouvons-nous renouveler notre enthousiasme et devenir comme les petits-enfants ? Nous sommes encouragés par les demandes que nous font les fidèles jeunes ou adultes (baptême, confirmation) et nous sentons évidemment l’Esprit Saint qui travaille dans leur cœur. Nous sommes aussi encouragés par les jeunes qui s’interrogent sur leur vocation de prêtres ou de religieuses ou simplement par des personnes qui reviennent à la foi après quelquefois des dizaines d’années d’incroyance. Nous sommes témoins de choses magnifiques dans notre ministère, mais peut-être avons-nous besoin de renouveler notre regard. Avoir un regard d’enfant qui s’émerveille devant une fleur ou un papillon ! Ce qui nous mine parfois justement c’est un regard blasé, trop habitué et qui devient insensible ou bien qui ne regarde que ce qui ne va pas.
Que notre enthousiasme, Frères et Sœurs, naisse ou renaisse de l’émerveillement devant les signes nombreux que le Seigneur met sous nos yeux et qui nous donnent la joie d’être ce que nous sommes et là où le Seigneur nous a appelés et envoyés.
Amen
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon