Frères et sœurs,
Comme je le disais au début de cette messe, nous vivons une fête de la Toussaint bien particulière cette année. Il y a la pandémie de la COVID-19 et toutes ses conséquences dans notre vie personnelle et sociale, mais il y a aussi ces attentats successifs qui endeuillent notre pays et nous inquiètent sur l’avenir de notre vivre ensemble.
Ces événements douloureux nous poussent à accueillir les textes de ce jour d’une façon d’autant plus attentive, tellement ils touchent à la réalité de ce que nous sommes en train de vivre. Et puisque nous fêtons tous les Saints, ces textes nous font comprendre ce que signifie vraiment être saint. Nous avons souvent une image un peu idéalisée de la sainteté, mais les béatitudes que nous venons d’entendre nous ramènent à des attitudes et des comportements bien concrets.
La sainteté, n’est-elle pas justement de continuer à croire à aimer et à espérer malgré les épreuves et la haine qui se déchaînent ? Le pape François dit à propos des béatitudes, et je le cite, qu’elles : « … sont comme la carte d’identité du chrétien. Donc, si quelqu’un d’entre nous se pose cette question, “comment fait-on pour parvenir à être un bon chrétien ?”, la réponse est simple : il faut mettre en œuvre, chacun à sa manière, ce que Jésus déclare dans le sermon des béatitudes. À travers celles-ci se dessine le visage du Maître que nous sommes appelés à révéler dans le quotidien de nos vies. » (Gaudete et Exsultate n° 63)
En cette période troublée, j’aimerais méditer avec vous sur quelques-unes de ces béatitudes.
Relevons déjà cet appel à avoir « faim et soif de justice ». Il est nécessaire de lutter résolument contre la violence injuste, afin de protéger les personnes et les biens. Les attentats sauvages manifestent de fait une profonde injustice et doivent être combattus par tous les moyens légaux dont disposent nos institutions.
La béatitude suivante apporte une réponse complémentaire qui ne contredit pas la nécessité de la justice, mais qui ouvre à une autre dimension. Jésus nous invite à la miséricorde. Un mot qui associe la misère et le cœur, autrement dit l’amour de Dieu qui prend pitié de notre misère. Cela me fait penser aussitôt à l’appel de Jésus à prier pour ceux qui nous persécutent dans le même chapitre que les béatitudes (Cf. Mt 5, 44).
En pensant à ces attentats, comment ne pas entendre cet appel à prier pour ces jeunes qui ont été manipulés par cette idéologie épouvantable au point de tuer au nom de Dieu ? Dans la deuxième lecture de ce jour et après avoir rappelé que Dieu est amour, Saint-Jean nous dit : « Voilà pourquoi le monde ne nous connaît pas : c’est qu’il n’a pas connu Dieu. » De fait, il faut prier pour que ces assassins, mais aussi beaucoup d’autres dans le monde, découvrent vraiment qui est Dieu, un Père plein d’amour et de miséricorde.
Il y a aussi cet appel à la douceur : « Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. » Comment peut-on être doux alors que nous avons tellement envie d’exprimer notre colère, voire notre vengeance ? Mais la douceur, ce n’est pas de la naïveté ! Saint-Paul nous dit que la douceur est un don de l’Esprit Saint. Autrement dit, elle n’est pas si naturelle que cela, surtout quand la haine se manifeste autour de nous et peut-être en nous ! Il faut du courage et l’aide de Dieu pour être doux, pour maîtriser ses sentiments humains. Cette béatitude peut être associée à l’appel de Jésus à être artisan de paix.
Par cette invitation, le Seigneur nous invite à enrayer le cycle de la violence. C’est ainsi que nous pourrons relever le grand défi de la fraternité que nous avons à faire grandir dans notre société. Or, pour nous chrétiens, grandir en fraternité n’est pas qu’un effort purement humain, c’est accueillir la grâce de Dieu et se laisser transformer par la lumière de sa Parole et le don de son Esprit. C’est une conversion permanente.
Nous devons donc nous laisser adoucir par l’Esprit Saint. Cette douceur divine s’obtient par la prière. Comme le dit Jésus : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » (Lc 11, 13)
Enfin, le Seigneur nous dit : « Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux. » Une persécution qui est donc la conséquence de notre engagement à faire ce que Jésus nous demande. C’est une invitation à ne pas avoir peur et à nous engager résolument à vivre les béatitudes en faisant confiance au Seigneur et à cette promesse qui n’est pas rien : être héritier du royaume des cieux, c’est-à-dire à vivre pour toujours avec le Seigneur, à voir Dieu tel qu’il est comme dit Saint-Jean.
Jésus l’avait bien dit : « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. » (Mt 10, 28) Ce dont il faut avoir peur, c’est donc du mal qui peut corrompre notre intelligence et nous entraîner à être nous-mêmes acteurs de violence. Comme dit si bien Saint-Paul : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien. » (Rm 12, 21)
Au fond, la sainteté, c’est bien cette manière de se laisser conduire par Dieu et elle est source de vie et de bonheur éternels comme nous l’avons entendu dans le passage du livre de l’Apocalypse. Au moment où nous fêtons tous ceux qui ont déjà rejoint le Seigneur et où nous voulons honorer nos défunts et prier pour eux, il est tellement important de nous laisser habiter par cette espérance.
« Ceux-là viennent de la grande épreuve, nous dit Saint-Jean ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »
La grande épreuve est celle des persécutions, mais aussi de tout ce que nous avons à vivre de difficile en ce monde, comme cette épreuve de la COVID-19 qui touche toute l’humanité. Ces personnes, ces saints, qui ont déjà rejoint le Seigneur « ont lavé leurs robes dans le sang de l’Agneau », car c’est Jésus qui, par son sacrifice, le don de sa vie par amour, les a libérés du mal et leur a pardonné leurs péchés pour les faire entrer dans la vie. C’est une grande espérance pour tous ceux qui sont décédés et auxquels nous pensons plus particulièrement ces jours-ci. C’est Jésus qui sauve l’humanité. Et c’est sur lui que nous devons compter aujourd’hui. Amen
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon