Frères et Sœurs,
L’oraison d’ouverture du Mercredi des Cendres présentait le Carême comme un « entraînement au combat spirituel ». Qu’est-ce que cela signifie ? De quel combat s’agit-il ? En fait, nous faisons tous l’expérience qu’il y a un combat à mener en nous-mêmes, car dès notre plus jeune âge nos parents nous y ont entraînés en nous mettant en garde contre tout ce qui pourrait nous faire du mal, nous mettre en danger. Lorsqu’ils nous disaient : « tu ne feras pas cela » ou « tu ne toucheras pas à cela », ils nous ont appris à savoir nous-mêmes discerner et dire non à ce qui peut nous nuire.
Nous savons bien à quel point c’est un enjeu essentiel de l’éducation, car les parents qui satisfont à tous les désirs de leurs enfants ne leur permettent pas d’entrer dans ce combat, et ils les mettent en danger. Ils en font des « enfants roi » pour lesquels tout est permis. En grandissant, ces enfants, n’ayant pas l’habitude de ce combat et n’ayant plus de barrières, ont une vie très instable et en viennent souvent à diverses formes de délinquance puisqu’ils ne savent plus discerner le bien du mal.
Le Récit de la Création que nous avons entendu en première lecture évoque cela. C’est le Seigneur Dieu qui met les limites à Adam et Ève comme elle l’exprime elle-même : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : “Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.” » C’est parce qu’il nous aime que Dieu nous avertit, mais si les barrières sautent, l’être humain est livré à lui-même et à ses désirs les plus destructeurs comme on le verra très vite avec le meurtre d’Abel par son frère Caïn.
Il n’y a pas besoin d’être croyant pour comprendre cela, c’est du bon sens et normalement, tous les êtres humains devraient être capables par leur intelligence de choisir le bien et de résister au mal. Mais un autre élément vient perturber ce discernement comme nous le montre le récit de la Genèse. L’esprit du mal, le démon, représenté par le serpent, cherche à nous induire en erreur. Il inverse les valeurs. Le bien nous apparaît alors comme un mal et le mal comme un bien. C’est ainsi qu’Adam et Ève, qui représentent chacun de nous, sont trompés dans leur discernement et, malgré l’avertissement du Seigneur, choisissent ce qui les fera mourir en croyant que cela leur donnera au contraire un surcroît d’autonomie et de puissance.
Même si nous ne nous en rendons pas toujours compte, et c’est cela le problème justement, cette inversion des valeurs est bien présente dans notre vie de tous les jours et dans la société en général. Je pense par exemple aux jeunes qui abusent de l’alcool ou qui se droguent, en pensant qu’ils vont passer un bon moment ensemble, et malheureusement c’est plus tard, parfois trop tard, qu’ils se rendent compte que les conséquences en sont désastreuses. Je pense aussi à l’évolution de certaines lois en France et dans le monde, qui ne vont pas dans le sens de la vie et du respect de l’être humain tout en nous faisant miroiter le contraire.
Comment sortir de ce piège ? En nous engageant résolument avec le Christ dans le combat spirituel. Un combat qui est à la fois un discernement pour savoir choisir ce qui conduit vraiment à la vie, mais aussi la volonté, le courage et la force pour nous y engager et tenir dans la durée. Or humainement, nous faisons vite l’expérience de nos limites. Saint-Paul l’exprime très bien : « Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas. » et il ajoute : « Malheureux homme que je suis. » (Rm 7, 19.24).
C’est pour nous délivrer de cette impuissance que « Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable. » Et il nous y entraîne en ce temps de Carême pour que nous soyons capables d’accueillir sa grâce. Il nous montre comment nous pouvons en sortir en nous engageant résolument avec Lui dans ce combat pour la vraie vie. Et j’aimerais simplement relever trois aspects de ce passage d’Évangile qui peuvent nous encourager à vivre pleinement ce temps de Carême.
Tout d’abord Jésus part au désert. Lieu de silence. Il jeûne, mais il prie aussi. Dans les Évangiles, nous voyons souvent Jésus partir à l’écart pour prier. Il y passe parfois la nuit. Il nous montre ainsi que ces temps de silence, de cœur à cœur avec Dieu sont nécessaires. Ils nous permettent de nous ajuster à sa volonté. Comme Jésus le demandait à ses disciples au jardin de Gethsémani : « Priez pour ne pas entrer en tentation ». Nous sommes tous tentés de faire le mal, Jésus aussi, comme nous le voyons dans l’Évangile, mais par la prière nous pouvons puiser la force de ne pas y entrer, c’est-à-dire de ne pas nous laisser prendre par les mensonges du diable ! La prière est la première arme du combat spirituel. Ne la délaissons pas !
Profitant de sa faim, le diable pousse Jésus à changer les pierres en pain, afin d’assouvir son besoin immédiat de nourriture. Or Jésus ne pense pas à Lui, il choisit plutôt de nourrir les foules en multipliant les pains. Il n’a pas transformé des pierres en pain, mais l’eau en vin, à Cana, pour la joie des convives. Et plus encore, il fait de sa chair le pain de vie qui nourrit l’humanité. Ce pain qui est aussi sa Parole. À la messe, nous venons nous nourrir de cette nourriture sainte. Mais ailleurs aussi lorsque nous prions en méditant la Parole de Dieu, seul ou avec d’autres. Jésus nous nourrit dans ce combat spirituel, car « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
J’aimerais enfin attirer votre attention sur la dernière tentation lorsque le diable propose à Jésus de lui donner tous les royaumes du monde et leur gloire. Cela résonne d’une façon particulière en ce moment où l’humanité prend conscience que son désir, jamais assouvi, de consommer toujours plus met en péril l’ensemble de la Création. En nous demandant d’adorer le Seigneur notre Dieu, et lui seul, Jésus nous invite à ne pas adorer autre chose, à savoir le bonheur précaire des biens matériels et de la satisfaction immédiate de tous nos désirs. Adorer Dieu, c’est l’aimer plus que tout. Or l’aimer, c’est faire sa volonté et cela nous pousse à la sobriété, au partage et à la charité.
Dans ce combat spirituel, dont Jésus sort victorieux au désert, nous retrouvons tout ce qui peut nous « entraîner au combat spirituel » en ce temps de Carême. Nous pouvons y ajouter le sacrement du Pardon dans lequel nous trouvons la grâce d’être libérés de nos péchés pour nous engager résolument sur ce chemin à la suite du Christ. La rencontre avec le prêtre nous aide à discerner ce chemin et à faire la vérité.
Que le Seigneur nous donne la grâce d’entrer pleinement dans ce Carême. AMEN
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon