Ex 24, 3-8 ; Ps 115 ; He 9, 11-15 ; Mc 14, 12-16.22-26
Homélie retranscrite à partir d’un enregistrement
Frères et sœurs,
Quand on parle de l’Eucharistie, on ne retient souvent que le repas du Seigneur et la communion, où Jésus ressuscité se rend présent en nous. Nous l’avons d’ailleurs entendu dans la séquence qui vient d’être chantée : « Le voici le pain des anges, il est le pain de l’homme en route ». Pourtant, l’autel lui-même exprime aussi autre chose. La nappe, les fleurs, les cierges, cela fait bien entendu penser à un repas, comme un repas de famille. On oublierait presque que c’est aussi le sacrifice de Jésus que nous célébrons… Comme le dit saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens : « Nous célébrons la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » (1 Co 11, 26)
Dans cette homélie, nous pouvons essayer de mieux comprendre le lien qu’il y a entre le repas du Seigneur et ce sacrifice de Jésus sur l’autel de la croix. Une meilleure compréhension pour raviver en nous la place de l’Eucharistie et plus largement de la messe dans notre vie.
D’abord, pourquoi insister sur la notion de sacrifice ? Vous l’entendrez cette notion dans la nouvelle traduction du Missel où on parle le terme de sacrifice dans la Prière Eucharistique, et comme nous l’avons aussi entendue dans la première lecture du livre de l’Exode de ce jour.
Les sacrifices tiennent une grande place dans la liturgie de l’Ancienne Alliance, qui permettait cette relation entre Dieu et les hommes et entre les hommes entre eux. Les éleveurs, principalement, sacrifiaient des animaux offrant ainsi une partie de leur travail. Le sang des animaux sacrifiés avait une symbolique importante. En effet, le sang a toujours été un symbole de vie et il l’est toujours (transfusion sanguine, don du sang). Dans ce texte du livre de l’Exode, on parle de sacrifices de paix (une sorte de réconciliation avec Dieu et avec les autres par le sang répandu) ou encore du « sang de l’Alliance » qui nécessite un engagement de la part des fidèles : « Tout ce que le Seigneur a dit, nous le mettrons en pratique. ».
Alors, quel est le rapport entre les sacrifices de l’Ancienne Alliance et le sacrifice de Jésus ? La lettre aux Hébreux dit bien les choses ! Jésus s’est identifié à ces victimes, offertes pour le pardon des péchés et pour le renouvellement de l’Alliance avec Dieu. En mourant sur la croix, Jésus a offert « non pas le sang de boucs et de jeunes taureaux, mais son propre sang », dit l’auteur de la lettre aux Hébreux. Or, Jésus s’est offert en sacrifice, une fois pour toutes, supprimant ainsi les sacrifices d’animaux, car, « le sang du Christ fait bien davantage que celui des animaux » et il nous obtient une « libération définitive », car il est ressuscité et il ne pourra plus mourir ! Il devient ainsi pour nous et toutes les générations, « le médiateur d’une alliance nouvelle » donc d’une nouvelle relation et même une communion avec Dieu, mais aussi entre nous par notre union au Christ lorsque nous communions tous au corps du Christ.
Ce que nous pouvons déjà retenir de « ce sacrifice de Jésus sur l’autel de la croix », c’est que Jésus, par son sang, nous purifie de nos péchés et nous rétablit dans l’Alliance avec Dieu. Cela ne remplace bien entendu pas le sacrement de pénitence et de réconciliation qui est le renouvellement de la grâce de notre baptême, un sacrement qui nous prépare justement à célébrer l’eucharistie et à communier au sacrifice de Jésus. Ainsi que le dit saint Paul dans la première lettre aux Corinthiens, celui qui communie de façon indigne « devra répondre du corps et du sang du Seigneur » (1 Co 11, 27). Cette indignité pour saint Paul, c’est d’abord le manque d’amour, l’injustice que l’on peut provoquer vis-à-vis des autres. C’est pourquoi, il ne faut pas communier de façon machinale et sans que ce soit en cohérence avec notre vie, notre manière d’être avec les autres.
Alors, pourquoi parler aussi de repas en parlant de l’Eucharistie ? Nous l’avons entendu dans l’Évangile de ce jour : Jésus a institué ce sacrement de l’Eucharistie au cours de son dernier repas, la veille de la Pâque juive où l’on immolait l’agneau pascal. Un repas de fête pour célébrer la libération du peuple juif de sa servitude en Égypte. Jésus allait mourir quelques heures après. Il nous dit : « Prenez et mangez », « Prenez et buvez », cela évoque bien sûr un repas. Dans l’Évangile de saint Jean, il n’y a pas de récit de cette parole de Jésus de l’institution de l’Eucharistie. Saint Jean insiste sur le lavement des pieds au cours de ce dernier repas, mais il développe dans un autre passage ce que l’on appelle le discours sur le pain de vie où il fait référence à la manne qui a nourrit le peuple hébreu dans le désert. Jésus affirme qu’il est, lui, le pain de vie et que celui qui en mange vivra éternellement (Jn 6, 51). « En effet, ma chair est la vraie nourriture et mon sang est la vraie boisson » (Jn 6, 51). Nous voyons bien que Jésus a, à ce moment-là, récapitulé en lui ce qui n’était qu’en germe dans l’histoire du Salut : sacrifice de l’Ancienne Alliance, repas de la Pâque où on immolait et mangeait l’agneau pascal, la manne du désert venant du ciel. Autant de signes de la bonté de Dieu se manifestant aux hommes pour les libérer du mal, les purifier du péché, les nourrir, bref, les conduire sur un chemin de vie. Et, par sa mort et sa résurrection, ce chemin n’est plus seulement pour notre vie ici-bas, mais pour nous conduire vers la vie éternelle avec Dieu, au-delà de notre mort.
Que pouvons-nous tirer de tout cela en cette fête du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ ?
Tout d’abord, que si Jésus nous dit « Prenez et mangez, ceci est mon corps », c’est que ce repas-sacrifice est vital pour nous. C’est de cette manière que Dieu nous donne la vie éternelle. On ne peut pas dire comme je l’entends parfois, « je vais la messe quand j’en ai envie » ou « quand j’en ressens le besoin » ! Si nous croyons à ce que nous célébrons à la messe, alors, nous devons y aller coûte que coûte, même lorsqu’elle est célébrée loin de chez nous. Et, pour ceux qui ne peuvent vraiment pas se déplacer, le Service Évangélique aux Malades (SEM) peut leur porter la communion.
Ensuite, la communion est tellement importante qu’elle nécessite que nous soyons toujours attentifs à notre manière de communier… qui quelques fois n’est pas digne. Dans le Missel actuel, il est écrit que la communion ordinaire dans l’Église catholique se fait sur la langue (Présentation Générale du Missel Romain n° 161). Ce sont uniquement les Conférences épiscopales qui peuvent autoriser de pouvoir recevoir le Corps du Christ dans la main. Mais, que ce soit dans la bouche ou dans la main, nous devons consommer l’hostie immédiatement et le faire avec beaucoup de respect.
Je dirai aussi qu’aujourd’hui, l’Église se divise sur la manière de célébrer. Autrement dit, sur le rite lui-même. Certains préfèrent la messe célébrée avec l’ancien Missel plutôt qu’avec le Missel actuel. En fait, le Missel n’est pas descendu du ciel. C’est l’Église qui se donne la liturgie. Cette liturgie a évolué au cours des siècles et dans les différents continents. Ce qu’on peut appeler « la messe de toujours », c’est que, quelle que soit la forme des prières et des langues en Orient et en Occident, au 1er siècle ou maintenant, il y ait toujours clairement exprimé la certitude que nous célébrons le sacrifice de Jésus qui a donné sa vie pour nous et qui continue à la donner avec ses propres paroles : « Prenez et mangez, ceci est mon corps ». C’est cela qui traverse les siècles, et c’est cela qui fait que l’Eucharistie est la source et le sommet de toute la vie chrétienne (cf. Lumen Gentium 11). Il y a juste un an le 11 juin 2023, j’ai écrit une lettre pastorale, Que tous soient un (que vous pouvez retrouver sur le site du diocèse) sur la liturgie pour nous inviter à réviser notre manière de célébrer pour les prêtres et notre manière de vivre l’Eucharistie comme fidèles. Il me semble important de la lire et même de la travailler à l’aide des questions ; elle est toujours valable pour nous aider à approfondir notre pratique du sacrement de l’Eucharistie, pour nous aider à mieux célébrer, à mieux participer à la messe.
Je terminerai par cet appel du Pape « Laissons-nous toucher par le désir que le Seigneur continue de manger sa Pâque avec nous » (Desiderio desideravi n° 65). Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon