Ex 12, 1-8. 11-14 ; Ps 115 ; 1 Co 11, 23-26 ; Jn 13, 1-15
Frères et Sœurs,
Ce geste du lavement des pieds est d’une grande puissance symbolique au point que beaucoup de chrétiens le pratiquent, dans la vie communautaire, mais pas uniquement. L’an dernier, pendant le premier confinement, des familles l’ont pratiqué et cela a été un moment très fort pour elles. Cette année, je ne pourrai pas le faire avec vous en raison des règles sanitaires, mais c’est habituellement un moment marquant de cette célébration du Jeudi Saint, y compris pour moi !
Si le geste est fort, c’est qu’il est accompli par Jésus lui-même et que ce dernier lui donne un sens plus profond que ce que nous pouvons en voir. L’échange que Jésus a avec Simon-Pierre nous le révèle : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » et encore « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. »
Ce que Simon-Pierre comprendra plus tard, c’est que Jésus va devoir passer par le don total de sa vie sur la Croix, ce qui était alors incompréhensible pour les disciples avant la Résurrection.
Et il n’aura pas de part avec Jésus s’il refuse, car il doit lui-même devenir humble en acceptant ce geste. C’est dans l’humilité et la confiance que l’on accède au Règne de Dieu. Simon-Pierre doit donc vivre une conversion radicale, et l’expérience qu’il va faire en reniant Jésus va lui en faire prendre davantage conscience.
Cette conversion, nous avons à la vivre nous-mêmes pour suivre Jésus sur ce chemin de l’humilité. Chemin qui passe par le don de notre vie pour nos frères. Ce don se manifeste pleinement dans le service des autres, avec ce désir constant de faire passer le bien commun avant nos désirs personnels, même les plus légitimes. « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît. », dit Jésus (Mt 6, 23).
Notre vocation baptismale est avant tout une vocation à nous donner, comme Jésus, par amour pour Dieu et par amour pour notre prochain. C’est ainsi que nous pouvons vraiment imiter Jésus dans le signe du lavement des pieds. Toutes les vocations dans l’Église ne peuvent se concevoir que dans cette perspective.
La vocation au mariage déjà. Comme le dit le pape François dans AMORIS LAETITIA : « Les époux sont (donc) pour l’Église le rappel permanent de ce qui est advenu sur la croix. Ils sont l’un pour l’autre et pour leurs enfants des témoins du salut dont le sacrement les rend participants ». Le mariage est une vocation, en tant qu’il constitue une réponse à l’appel spécifique à vivre l’amour conjugal comme signe imparfait de l’amour entre le Christ et l’Église. Par conséquent, la décision de se marier et de fonder une famille doit être le fruit d’un discernement vocationnel. » (AMORIS LAETITIA 72).
Ce qui met à rude épreuve les couples, c’est souvent le manque d’humilité et l’individualisme qui marquent la société aujourd’hui. Lorsque les intérêts personnels passent avant ceux du conjoint et des enfants, le don de soi n’est plus là. Or la joie spirituelle qui habite le couple chrétien, c’est justement de se donner généreusement, s’il le faut en s’oubliant soi-même pour le bien de la famille. Même si nous savons bien que d’autres épreuves et des échecs imprévisibles peuvent survenir. Il ne faut pas juger !
Cette imitation du Christ à se donner aux autres, beaucoup de fidèles, célibataires ou veufs, la vivent dans leurs divers engagements. Certains consacrent leur célibat pour le Royaume. Ces personnes, sont plus nombreuses qu’on ne le pense : vierges consacrées, veuves consacrées, instituts séculiers… autant de situations où des personnes ont reçu cet appel du Christ à se donner entièrement à Dieu pour servir les autres.
Nous pouvons en dire autant des vocations religieuses. En s’engageant dans les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, elles se mettent totalement au service de ce bien supérieur qui est l’amour de ceux vers lesquels elles sont envoyées selon le charisme de leur congrégation.
Les prêtres, pour leur part, répondent à cet appel du Christ à servir le Peuple de Dieu en étant configuré au Christ Pasteur. C’est pourquoi on ne peut pas comprendre le sacerdoce comme un privilège ou même un pouvoir donné à certains, mais comme un don que le Seigneur fait à son peuple pour lui annoncer la Bonne Nouvelle, le conduire et le sanctifier. Avec toujours au cœur cette parole du Christ adressée à Simon-Pierre après la Résurrection : « M’aimes-tu vraiment ? (…) Sois le berger de mes brebis. » (Jn 21, 16.) C’est pourquoi, on le comprend bien, le prêtre aussi doit honorer ce choix par un don réel de sa vie par amour et dans une fidélité totale.
Puisque j’évoque les diverses vocations comme une réponse à l’appel du Christ à laver les pieds, il y a aussi les diacres qui sont configurés au Christ serviteur et qui nous rappellent à tous notre vocation baptismale à servir les autres. Au fond, quelle que soit notre vocation particulière, nous nous « lavons » les pieds « les uns aux autres » comme Jésus nous l’a commandé et ainsi, dans la complémentarité de nos vocations, se construit le Corps du Christ qu’est l’Église. L’idéal du chrétien, ce n’est pas telle ou telle vocation, c’est de grandir en sainteté. Une sainteté qui passe par l’humilité et le don de soi, et cela concerne tout le monde.
Nous comprenons mieux à quel point l’Eucharistie est au cœur de notre vocation puisque si nous donnons notre vie pour les autres, le Christ, Lui, continue de donner sa vie pour nous dans ce sacrement. « Ceci est mon corps qui est pour vous, dit Jésus. Faites cela en mémoire de moi. »
L’Eucharistie que nous célébrons est inséparable de la vie que nous donnons aux autres avec générosité, compassion, amour désintéressé. Bref, la charité dans le sens le plus noble du terme, et comme dit le pape François dans son message de Carême. : « La charité est l’élan du cœur qui nous fait sortir de nous-mêmes et qui crée le lien de partage et de la communion. » Cela a donc vraiment du sens de dire que « l’Eucharistie est source et sommet de toute la vie chrétienne. » (LUMEN GENTIUM 11)
Car le Christ n’est pas seulement quelqu’un à imiter, notamment dans ce geste du lavement des pieds, il continue de nous laver les pieds en nous purifiant des impuretés qui nous empêchent de marcher à sa suite, et il nous nourrit de sa parole et de sa présence. Son amour miséricordieux ne cesse jamais d’irriguer notre vocation « jusqu’à ce qu’Il vienne », dit saint Paul, c’est-à-dire jusqu’au jugement dernier où nous serons unis à Jésus pour toujours. Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon