Si 27, 33-28, 7 ; Ps 102 ; Rm 17,7-9 ; Mt 18, 21-35
Homélie retranscrite à partir d’un enregistrement
Frères et sœurs,
Nous connaissons tous des conflits qui surgissent dans nos familles, dans les couples, mais aussi les quartiers, la société, parfois aussi au sein de l’Église…
Les Lectures de ce jour abordent cette question des conflits et surtout la manière de les résoudre sous l’angle de la compassion, de la pitié et du pardon… Mais est-ce seulement une leçon de morale qui nous est donnée ici ?
Non : notre relation avec les autres est étroitement liée à notre relation avec Dieu. On peut même dire qu’il n’y a pas de résolution de conflit, il n’y a pas de réconciliation possible, si nous mettons Dieu de côté ! Puisque c’est Lui qui est la source de tout amour !
Dans cette homélie, j’aimerais montrer à partir de ces textes, en quoi tout cela est lié et quelles pistes nous pouvons retenir pour être nous-mêmes artisans de paix et de réconciliation et de pardon.
Dans cette réflexion, il y a un préalable nécessaire pour bien comprendre ce que le Seigneur veut nous dire. C’est saint Paul qui nous le donne dans la 2e lecture, la lettre aux Romains, où il prononce cette phrase étonnante : « dans notre vie, comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur. » Qu’est-ce que cela signifie ? S’agit-il d’une soumission servile ou d’esclavage ? Non, bien entendu ! En devenant disciples de Jésus, nous accueillons l’amour dont Dieu veut nous combler. Et cela, en écoutant sa Parole et en faisant en sorte qu’elle prenne corps en nous, dans nos relations, dans nos activités quelles qu’elles soient, et en renonçant à tout individualisme qui conduit à l’égoïsme, en ayant vraiment une vie qui est donnée.
Saint Paul d’ailleurs dit : « aucun d’entre nous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même. Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur… »
Mais que signifie « vivre pour le Seigneur » ?
Tout d’abord, c’est nous mettre au service du Seigneur pour que son règne de justice et d’amour puisse se répandre en nous et autour de nous et devienne source de vie pour beaucoup de gens.
Il me semble qu’il faut partir de là pour comprendre que la résolution des conflits n’est pas qu’une question morale, le simple fruit d’efforts personnels, mais une question de foi, de notre « appartenance » au Seigneur, et du don de notre vie. La manière avec laquelle nous permettons à Dieu de régner en nous.
Il est intéressant de faire le lien entre cette parole de Saint-Paul et la première lecture de Ben Sira le sage : c’est justement notre appartenance au Seigneur qui nous donne la force de renoncer à la haine, à la colère et qui nous donne la force de pardonner. C’est l’Esprit Saint qui est source de bienveillance et de paix. Si nous mettons Dieu à l’écart de notre vie, de nos relations conjugales et familiales, il sera d’autant plus difficile de régler nos conflits et de nous pardonner mutuellement, car, comme je l’ai dit précédemment c’est Dieu qui est à la source de tout amour !
De même, si notre société met Dieu à l’écart, si sa Parole n’est plus une référence pour bien vivre ensemble, alors la violence devient dure à maîtriser et la paix s’éloigne… car c’est Dieu qui est la source de la paix véritable.
Nous savons bien que notre société n’est plus une chrétienté ainsi que nous le disions autrefois, avec un peu d’illusions peut-être. Notre situation actuelle est assez identique à celle des premiers siècles où les chrétiens vivaient dans un monde païen… mais ils avaient leur place ! Nous sommes appelés à être « l’âme dans le corps », comme le dit si bien l’auteur de la lettre à Diognète au deuxième siècle ; non pas supérieurs aux autres, mais dans l’humilité, des personnes qui « appartiennent » vraiment au Seigneur, qui sont à son service pour annoncer la Bonne Nouvelle et témoigner de son amour miséricordieux. Un amour qui permet de surmonter les conflits, les violences et qui est source de paix dans notre société.
Un autre aspect du lien entre notre relation aux autres et notre relation à Dieu apparaît dans ses textes. Quel est-il ? C’est la cohérence qu’il doit y avoir entre notre relation personnelle à Dieu et notre relation aux autres, et toutes les conséquences qui en découlent : la vie pour toujours avec Dieu. « Si un homme nourrit de la colère contre un autre homme, comment peut-il demander à Dieu la guérison ? S’il n’a pas de pitié pour un homme, son semblable, comment peut-il supplier pour ses péchés à lui ? », nous dit Ben Sira le Sage dans la première lecture. Et s’il a une telle insistance dans les Écritures sur cette question, c’est que la réconciliation et le pardon sont souvent difficiles à vivre notamment lorsque les blessures sont profondes. Vous savez bien cela parce que vous l’avez déjà peut-être expérimenté vous-même ou dans votre entourage. La question de Pierre dans l’Évangile de ce jour révèle bien aussi cette difficulté : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? » Jusqu’où doit-on pardonner ? N’y a-t-il pas de limites ? La difficulté vient du fait que nous pouvons considérer le pardon comme une injustice et nous entendons fréquemment cette phrase : ‘après ce qu’il m’a fait, je ne pourrais jamais lui pardonner !’. Pourtant, la réponse de Jésus est claire : il n’y a pas de limites à mettre au pardon. Et l’argument que donne Jésus dans la Parabole, c’est que la miséricorde de Dieu à notre égard est infiniment supérieure à celle que nous pouvons avoir avec les autres. Le Seigneur nous a pardonné nos péchés et nous accorde la vie éternelle. Cela n’a rien de comparable avec nos conflits entre personnes, quels qu’ils soient. Ce n’est pas de pardonner à l’autre qui est une injustice, c’est le fait de ne pas lui pardonner qui en est une, vu ce que le Seigneur a fait pour nous…
Pour résumer, nos conflits ne peuvent se résoudre que si nous « appartenons au Seigneur », c’est-à-dire si notre vie est vraiment à son service, et habitée par son amour. Donc pas de réconciliation possible, pas de paix véritable si Dieu est mis de côté. Et cette réconciliation avec le pardon qui en découle est nécessaire pour que nous puissions espérer vivre dans l’amour de Dieu, dès maintenant et pour toujours. C’est même une condition sine qua non.
En conclusion, quelles pistent retenir ? Tout d’abord, que pour résoudre nos conflits, il faut mettre Dieu au cœur de nos efforts de réconciliation, il faut beaucoup prier. La prière est donc une priorité dans notre vie. C’est par la prière que nous pouvons régler tous nos conflits. C’est par elle que nous pouvons être amenés à arriver un jour à pardonner à ceux qui nous ont blessés. Et puis, recevoir le pardon de Dieu dans le sacrement de pénitence et de réconciliation, c’est vraiment une grâce que le Seigneur nous donne pour nous aider dans ces démarches difficiles. Ainsi nous revivons notre « appartenance » au Seigneur, et cela change vraiment nos relations avec nos proches. Ici, à Saint-Louis, vous avez la chance d’avoir des prêtres qui proposent ce sacrement régulièrement ; sacrement qui a beaucoup été délaissé dans le diocèse et il me semble qu’il est très important de pouvoir en bénéficier de façon régulière.
Après la messe, je vais bénir la Maison des Œuvres. Ce terme seul exprime déjà beaucoup de choses : un lieu justement pour se réunir autour de la Parole de Dieu, pour la méditer, pour approfondir notre foi, pour préparer les sacrements, pour se former, afin que nous appartenions toujours plus au Seigneur qui est source de pardon, de paix et de communion entre nous et avec lui. Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon