Trois paraboles au menu dans l’Évangile selon saint Mathieu ce dimanche, ou à la carte si l’on ne choisit que la première. Gardons les trois et commençons par la phrase un peu énigmatique qui les conclut.
Tout cela, Jésus le dit à la foule en paraboles,
et il ne leur disait rien sans employer de paraboles,
accomplissant ainsi la parole du prophète :
C’est en paraboles que je parlerai,
je proclamerai des choses cachées depuis les origines.
Jésus s’adresse en paraboles aux foules alors que les scribes et les pharisiens ne prennent pas cette peine car ils les méprisent et les considèrent comme ignorantes et impures. Eux seuls, pensent-ils, sont à même de tout comprendre des mystères de la vie, des mystères de Dieu. Quand il parle aux foules en paraboles, Jésus aborde avec elles les questions fondamentales concernant « les choses cachées depuis les origines ». Le langage des paraboles est bien plus ouvert et universel que le langage dogmatique ou juridique. Les choses cachées concernent pour tous les humains la vie, l’amour, la mort, et aussi chaque rencontre entre les personnes et leur mystère, avec leur caractère unique. Tous ces « pourquoi ? » posés par les enfants dès l’origine de leur existence, auxquels les adultes n’ont souvent pas de réponses autres que celles qui commencent comme des « c’est comme, cela ressemble à ». Jésus ne dit pas aux foules : “Je vais vous expliquer, je sais tout, vous allez tout comprendre”. Enfin ces choses ne seront plus cachées. Jésus, fils de l’homme, fils d’Adam ne tombe pas dans le piège de la prétention de tout savoir et de décider de tout en pensant ne jamais se tromper. Une tentation bien connue dans nos cultures modernes et scientistes où tout doit être connu, montré, expliqué. Jésus dit : c’est en paraboles que je parlerai. C’est-à-dire, en prenant des images, des analogies, des petites histoires du quotidien ou des récits plus tragiques qui donnent à penser et respectent l’inexplicable. A chacun de s’interroger lui-même.
La parabole est un langage imagé que l’on confie à des amis mais qui rejoint ceux qui cherchent, ceux qui sont en attente et dont le cœur est ouvert. Un secret, ça ne se livre pas forcément au journal de 20 h. Après avoir entendu, chacun comprend à partir de ce qu’il vit. Il peut n’avoir rien compris. Il peut aussi comme Marie tout garder en son cœur. Un secret reste caché, mais il est aussi une lumière pour la route, inexplicable peut-être, et cependant inépuisable. Il peut changer le regard ou le cœur. Sans climat de confiance, on le tait. La parabole à la fois révèle et respecte les choses cachées, c’est-à-dire ce dont l’homme fait l’expérience mais qui dépasse son intelligence et que celle-ci jamais n’épuisera.
Jésus proposa à la foule une autre parabole :
« Le royaume des Cieux est comparable à un homme
qui a semé du bon grain dans son champ.
Or, pendant que les gens dormaient, son ennemi survint ;
il sema de l’ivraie au milieu du blé et s’en alla.
Quand la tige poussa et produisit l’épi, alors l’ivraie apparut aussi.
Les serviteurs du maître vinrent lui dire :
“Seigneur, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ?
D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ?”
Il leur dit : “C’est un ennemi qui a fait cela.”
Les serviteurs lui disent : “Veux-tu donc que nous allions l’enlever ?”
Il répond : “Non, en enlevant l’ivraie,
vous risquez d’arracher le blé en même temps.
Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ;
et, au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs :
Enlevez d’abord l’ivraie, liez-la en bottes pour la brûler ;
quant au blé, ramassez-le pour le rentrer dans mon grenier.” »
Il leur proposa une autre parabole :
« Le royaume des Cieux est comparable à une graine de moutarde
qu’un homme a prise et qu’il a semée dans son champ.
C’est la plus petite de toutes les semences, mais, quand elle a poussé,
elle dépasse les autres plantes potagères et devient un arbre,
si bien que les oiseaux du ciel viennent et font leurs nids dans ses branches. »
Il leur dit une autre parabole :
« Le royaume des Cieux est comparable au levain qu’une femme a pris
et qu’elle a enfoui dans trois mesures de farine,
jusqu’à ce que toute la pâte ait levé. »
Tout cela, Jésus le dit aux foules en paraboles, et il ne leur disait rien sans parabole,
accomplissant ainsi la parole du prophète : J’ouvrirai la bouche pour des paraboles, je publierai ce qui fut caché depuis la fondation du monde.
Alors, laissant les foules, il vint à la maison. Ses disciples s’approchèrent et lui dirent : « Explique-nous clairement la parabole de l’ivraie dans le champ. »
Il leur répondit : « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme ;
le champ, c’est le monde ; le bon grain, ce sont les fils du Royaume ;
l’ivraie, ce sont les fils du Mauvais.
L’ennemi qui l’a semée, c’est le diable ;
la moisson, c’est la fin du monde ; les moissonneurs, ce sont les anges.
De même que l’on enlève l’ivraie pour la jeter au feu,
ainsi en sera-t-il à la fin du monde.
Le Fils de l’homme enverra ses anges,
et ils enlèveront de son Royaume
toutes les causes de chute et ceux qui font le mal ;
ils les jetteront dans la fournaise :
là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.
Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père.
Celui qui a des oreilles, qu’il entende !
Mt 13, 24-43
Ces trois paraboles ont des points communs. Elles parlent de l’aspect caché, nocturne, de la venue du règne de Dieu. Elles évoquent aussi la démesure entre la petitesse des signes qui l’annoncent et l’immensité de sa réalisation à venir. Elles parlent de graines dans la terre, de levain dans la pâte. Quoi de plus petit qu’une graine, qu’un peu de levain ? Il revient à l’homme de semer la graine, de l’enfouir dans la terre. Il revient à la femme de pétrir la pâte d’y enfouir le levain pour qu’elle lève. Mais ce que vont produire la terre ou la pâte ne dépend pas d’eux, leur échappe, se passe à leur insu. Le blé, l’arbre, le pain sont un résultat sans commune mesure avec le travail de l’homme et de la femme pour semer et moissonner, pour planter, pour pétrir. Ce n’est pas eux qui font germer, croître et mûrir, qui font lever la pâte. Et c’est autre chose qui va surgir de ce qu’ils ont semé et pétri. « Celui qui plante n’est pas important, ni celui qui arrose ; seul importe celui qui donne la croissance : Dieu » (1 Co, 3, 7)
De la plus petite graine semée par un homme peut pousser un arbre élevé. Dans ses branches, des oiseaux du ciel pourront faire leurs nids, y pondre leurs œufs pour qu’ils éclosent et donnent naissance à d’autres oiseaux qui s’envoleront vers d’autres cieux. Ils franchiront les frontières humaines dont ils se moquent et s’en iront annoncer ailleurs à d’autres peuples, la germination en eux du règne de Dieu. Des trois mesures de farine – l’équivalent de 30 litres – dont la pâte est pétrie par les mains de la femme, va lever un magnifique pain, grâce au levain qu’elle y a enfoui. La graine semée, on peut en voir le prolongement et en suivre la transformation quand elle donne naissance à une tige, un arbre, des branches feuillues. Le levain quant à lui reste invisible et se perd dans la pâte ; on n’en perçoit que les effets.
Et puis, il y a encore cette chose cachée, mystérieuse depuis les origines de l’humanité : pourquoi l’existence du mal qui tente l’homme et le détourne du bien, qui le pousse à choisir la mort plutôt que la vie ? (Dt 30, 15-20) Pourquoi Dieu n’éradique-t-il pas enfin le mal, la souffrance, ne fait-il pas périr les méchants, ceux qui sèment la zizanie, (l’ivraie, la haine, la pagaille, la mésentente). Pourquoi laisse-t-il vivre et prospérer ses propres ennemis ? On lui en fait reproche sans arrêt. Certains estiment que Dieu n’est pas crédible tant qu’existera cet océan du mal aux vagues déferlant sans cesse sur l’humanité. D’autres, comme les serviteurs de la parabole, font du zèle. Ils se proposent d’arracher l’ivraie. Pour ce faire ils inventent toutes sortes de produits et de pratiques. Des inquisitions pour faire taire les mauvaises langues, des guerres pour éliminer les races maudites ou les religions perverses, des pesticides pour supprimer les mauvaises herbes.
Le maître de la parabole refuse. Il se réserve le jugement dernier, quand viendra le temps de la moisson. Il sait que l’être humain sera toujours être de mélange. Le bien et le mal sont en lui tellement mêlés qu’il est impossible de les trier. Ne sommes-nous pas porteurs de besace tous de la même manière, « gardant pour nos défauts la poche de derrière, et celle de devant pour les défauts d’autrui » ? (La Fontaine). N’avons-nous pas les qualités de nos défauts et les défauts de nos qualités, alors comment faire le bon tri ? La volonté en l’homme d’éradiquer le mal, l’idéal de la totale perfection morale ou légale quels que soient les moyens, ne peuvent que le conduire au malheur et à la mort de sa liberté. Qu’il laisse donc à Dieu le jugement dernier. C’est seulement au jour de la moisson que Dieu seul saura bien faire le tri. En bon moissonneur, il fera brûler l’ivraie et n’engrangera dans son grenier que le bon blé. Quelle bonne nouvelle ! Patience donc et méfiance par rapport à tout sarclage spirituel prématuré. Et surtout confiance en Dieu car sa patience est plus grande que toutes les impatiences des hommes, nous dit le livre de la Sagesse :
Il n’y a pas d’autre dieu que toi, qui prenne soin de toute chose :
tu montres ainsi que tes jugements ne sont pas injustes.
Parce que tu es juste, tu gouvernes l’univers avec justice ;
tu estimes incompatible avec ta puissance
de condamner celui qui ne mérite pas d’être puni.
Ta force est à l’origine de ta justice,
et ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose.
Tu montres ta force si l’on ne croit pas à la plénitude de ta puissance,
et ceux qui la bravent sciemment, tu les réprimes.
Mais toi qui disposes de la force, tu juges avec indulgence,
tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement,
car tu n’as qu’à vouloir pour exercer ta puissance.
Par ton exemple tu as enseigné à ton peuple que le juste doit être humain ;
à tes fils tu as donné une belle espérance :
après la faute tu accordes la conversion
Sg 12, 13.16-19
Saint Paul invite les chrétiens de Rome à l’espérance.
Nous avons été sauvés, mais c’est en espérance ;
voir ce qu’on espère, ce n’est plus espérer :
ce que l’on voit, comment peut-on l’espérer encore ?
Mais nous, qui espérons ce que nous ne voyons pas,
nous l’attendons avec persévérance.
Bien plus, l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse,
car nous ne savons pas prier comme il faut.
L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables.
Et Dieu, qui scrute les cœurs, connaît les intentions de l’Esprit
puisque c’est selon Dieu que l’Esprit intercède pour les fidèles.
Rm 8, 26-27
Le moine bénédictin Marcel Oriot nous offre une belle interprétation de ces paraboles « Nous sommes de bien des manières le levain dans la pâte. Mais on peut dire aussi, sans fausser la pensée de Jésus, que nous sommes la pâte et que Dieu est le levain. Car Dieu a décidé depuis toujours d’habiter dans l’obscurité de nos vies pour les rendre fécondes. Il a fait sa demeure dans l’obscurité de nos insuffisances, de nos doutes, de nos souffrances. Il est un Dieu caché, mais comme le printemps dans l’hiver, comme l’aurore dans la nuit, comme le pardon dans le péché ; caché comme l’amour dans le cœur, mais si bien caché qu’il faudra que le cœur soit ouvert pour que l’amour se révèle dans toute sa plénitude ; caché dans notre nourriture et dans celui qui est venu nous le révéler. Oui, Dieu a décidé d’habiter dans nos obscurités comme le levain dans la pâte, lui le Lumineux, et c’est dans l’obscurité de notre foi qu’il se trouve encore le mieux à l’aise. »
Evangile selon saint Matthieu, Mt13, 24-43