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15e dimanche du temps ordinaire – 14 juillet 2024

Après Ézéchiel, c’est le prophète Amos que la liturgie nous présente ce dimanche. Pour bien situer la première lecture, quelques rappels historiques sont utiles. Les extraits de textes bibliques, très raccourcis parfois, demandent à être placés dans un contexte qui les situe dans l’histoire du salut. Ce qui permet de faire le lien avec la nôtre en son actualité. À la mort du roi Salomon (Xe s. av. J-C), un schisme douloureux a coupé en deux royaumes la Palestine et le peuple de Dieu ; au nord dix tribus qui seront appelées « Israël », au sud deux tribus nommées « Juda ». En ces frères séparés, le Seigneur voit un peuple unique, son peuple ; il envoie Amos, – originaire du sud – prophétiser dans les tributs d’Israël à Béthel, où les cultes païens contaminent le culte du peuple de l’Alliance.

C’est là que le prêtre Amazias travaille à son compte ou, au mieux, pour le compte du roi (il ne fait aucune allusion au Seigneur) ; il exerce son rôle de prêtre de façon douteuse, comme un gagne-pain. Amos n’y va pas de main morte quand il dénonce toutes les dérives du culte à Béthel. « Couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, ils mangent les agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres de l’étable ; ils improvisent au son de la harpe, […] ils boivent le vin à même les amphores, ils se frottent avec des parfums de luxe, mais ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël ! Je déteste, je méprise vos fêtes, je n’ai aucun goût pour vos assemblées. Quand vous me présentez des holocaustes et des offrandes, je ne les accueille pas ; vos sacrifices de bêtes grasses, je ne les regarde même pas. Éloignez de moi le tapage de vos cantiques ; que je n’entende pas la musique de vos harpes. Mais que le droit jaillisse comme une source ; la justice, comme un torrent qui ne tarit jamais ! » (Amos ch. 5 et 6) Ces critiques d’Amos sont insupportables pour Amazias. Voilà pourquoi il lui demande de retourner prophétiser dans son pays du Sud.

Amazias, prêtre de Béthel, dit au prophète Amos :
« Toi, le voyant, va-t-en d’ici, fuis au pays de Juda ;
c’est là-bas que tu pourras gagner ta vie en faisant ton métier de prophète.
Mais ici, à Béthel, arrête de prophétiser ;
car c’est un sanctuaire royal, un temple du royaume. »
Amos répondit à Amazias : « Je n’étais pas prophète ni fils de prophète ;
j’étais bouvier, et je soignais les sycomores.
Mais le Seigneur m’a saisi quand j’étais derrière le troupeau,
et c’est lui qui m’a dit : “Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël.”
(Am 7, 12-15)

Souvent dans les religions, les prêtres n’apprécient guère les prophètes, car ceux-ci dénoncent volontiers les dérives liées au culte : commerce religieux, pratiques magiques, alibis qui dispensent de pratiquer la justice morale ou sociale. Le culte est souvent chasse gardée des prêtres, lesquels peuvent être en connivence avec le pouvoir politique. Comme Amos, Jésus sera souvent rejeté par les prêtres et grands-prêtres de son temps, et leur devra même sa condamnation à mort. Gardiens sédentaires des rites et des temples, ils sont plutôt enclins à conserver les traditions qu’à s’aventurer sur les routes audacieuses du prophétisme. Nous pouvons noter à ce sujet ce qu’a rappelé le Concile Vatican 2 : la fonction première assignée aux évêques et aux prêtres dans l’Église du Christ est le service de la Parole qui oriente la dimension prophétique de leur ministère.


Le passage de l’Évangile de Marc au chapitre 6 fait suite aujourd’hui à celui de dimanche dernier. Jésus a vraiment quitté Nazareth. Après un bref séjour, mal accueilli par ses compatriotes, il est reparti, constatant qu’aucun miracle n’était possible chez les gens sans foi en lui, sclérosés dans leurs coutumes. De sédentaire il se fait nomade comme Abraham et prophète comme Amos. Il parcourt les villages d’alentour en enseignant, écrit saint Marc. Et aussitôt, il invite ceux qu’il a appelés à le suivre et l’imiter, à sortir eux aussi de leur petit monde et élargir leur horizon. Jésus envoie les Douze en mission. Son projet n’est pas de s’installer ni de bâtir avec eux des temples dont ils seraient les prêtres mais de les envoyer prophétiser, et surtout de se conduire comme des pasteurs. Son projet n’est pas de fonder une cité sainte entourée de clôtures, au sein de laquelle ses disciples seraient bien au chaud entre eux, à l’abri du monde extérieur. Il les envoie sur les routes de l’humanité. Cet envoi en mission prophétique et pastorale plus que sacerdotale, a dû – à eux aussi – paraître fort imprévu, compte tenu de leur situation, de leur profession. De plus les consignes qu’il leur donne sont inattendues et surprenantes.

Jésus appela les Douze ;
alors il commença à les envoyer en mission deux par deux.
Il leur donnait autorité sur les esprits impurs,
et il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ;
pas de pain, pas de sac, pas de pièces de monnaie dans leur ceinture.
« Mettez des sandales, ne prenez pas de tunique de rechange. »
Il leur disait encore :
« Quand vous avez trouvé l’hospitalité dans une maison,
restez-y jusqu’à votre départ.
Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter,
partez et secouez la poussière de vos pieds :
ce sera pour eux un témoignage. »
Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir.
Ils expulsaient beaucoup de démons,
faisaient des onctions d’huile à de nombreux malades, et les guérissaient.
(Mc 6, 7-13)

Jésus envoie les apôtres deux par deux et non en solitaires. Eux aussi comme lui ont quitté leur barque et deviennent nomades. Appelés personnellement pour constituer un groupe de Douze, c’est par deux, « en équipe », qu’ils sont envoyés annoncer la Bonne Nouvelle, chasser les démons, oindre d’huile les malades. Ils sont appelés dans un cadre collégial. Tout disciple envoyé en mission a besoin de compagnons pour avoir plus d’assurance et aussi pour discerner, vérifier avec lui si ce qu’ils disent et accomplissent est en accord avec ce qu’a dit et fait le Christ, et ne le trahit pas. Travailler au service du Christ suppose un esprit d’Église, un esprit communautaire. Ce qui est incompatible avec des mentalités ou des pratiques de faux-prophètes qui, au nom d’inspirations individuelles, se mettraient en avant, au mépris de tout esprit de collégialité, feraient bande à part et se constitueraient des chapelles privées, s’autoproclamant fondateurs d’Églises nouvelles et s’investissant d’un pouvoir divin.

Jésus leur prescrit de ne rien emporter si ce n’est un bâton, de l’huile et des sandales. Accepter une mission au service du Christ suppose donc d’avoir les mains vides, les poches vides, de se désencombrer de ce qu’on possède, de ce qu’on sait, de se désencombrer de soi pour être disposé au dialogue et à l’écoute de ceux à qui l’on est envoyé. L’accueil de l’autre qu’il visite est l’attitude spirituelle première de l’envoyé. D’abord, il se laisse accueillir puisqu’il n’a rien, et qu’il se présente démuni. Il reçoit l’hospitalité, ce qui est la marque de sa disponibilité, de sa pauvreté. C’est ainsi qu’il pourra voir, entendre et connaître les personnes dans leur différence, qu’il pourra goûter ce qu’elles lui offrent à manger. Quand lui-même prendra la parole à son tour, elle aura plus de chance d’être entendue et reçue, dégustée ou rejetée.

Les Douze sont en partance pour leur première mission Les seuls objets recommandés par Jésus en expriment l’essentiel. Risquons quelques images symboliques. Le bâton protecteur du Pasteur, gardien de ses frères et sœurs en humanité. Le bâton de la défense contre tous les ennemis de l’homme, qui le poussent au mal. Le bâton du marcheur sur lequel il s’appuie lorsque son pas se fait lourd de fatigue. De l’huile pour adoucir la peine de ceux qui souffrent et pour soigner leurs blessures. De bonnes sandales enfin, car les envoyés devront beaucoup marcher et se déplacer.

Saint Paul quant à lui parle de la manière dont il a accompli sa mission. Il relit son expérience du travail apostolique et rend grâce à Dieu au début de la lettre aux Éphésiens d’avoir été appelé, choisi, envoyé en mission pour témoigner du Christ.

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ !
Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ.
Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde,
pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour.
Il nous a prédestinés à être, pour lui, des fils adoptifs par Jésus, le Christ.
Ainsi l’a voulu sa bonté,
à la louange de gloire de sa grâce,
la grâce qu’il nous donne dans le Fils bien-aimé.
En lui, par son sang, nous avons la rédemption, le pardon de nos fautes.
C’est la richesse de la grâce
que Dieu a fait déborder jusqu’à nous en toute sagesse et intelligence.
Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté,
selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ :
pour mener les temps à leur plénitude,
récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre.
En lui, nous sommes devenus le domaine particulier de Dieu,
nous y avons été prédestinés
selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé :
il a voulu que nous vivions à la louange de sa gloire,
nous qui avons d’avance espéré dans le Christ.
En lui, vous aussi, après avoir écouté la parole de vérité,
l’Évangile de votre salut, et après y avoir cru,
vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit promis par Dieu
est une première avance sur notre héritage,
en vue de la rédemption que nous obtiendrons, à la louange de sa gloire.
(Éph 1, 3-14)

Ce que dit Jésus aux Douze au moment de leur envoi en mission est complété de manière heureuse par ce qu’écrit saint Paul non pas avant son envoi en mission mais après l’avoir accomplie. C’est beau de l’entendre rendre grâce pour ce qu’il a reçu de ceux à qui il a été envoyé. C’est encourageant de l’entendre exprimer sa joie face à la générosité dont ils ont fait preuve pour le recevoir chez eux et surtout pour accueillir l’Évangile du Christ.

Evangile selon saint Marc – Mc 6, 7-13