Un long récit de l’Évangile selon saint Marc nous est proposé ce dimanche. Il est introduit par un message réjouissant, puisé dans le livre de la Sagesse, un écrit qui daterait de quelque cinquante ans seulement avant le Christ. Son auteur est très au fait de la langue et de la culture hellénistiques. Comme tout juif croyant autour de lui, il se heurte à la souffrance du juste qui meurt sans recevoir de récompense. Mais il affirme sa foi en la vie éternelle.
Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants.
Il les a tous créés pour qu’ils subsistent ;
ce qui naît dans le monde est porteur de vie :
on n’y trouve pas de poison qui fasse mourir.
La puissance de la Mort ne règne pas sur la terre,
car la justice est immortelle.
Or, Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité,
il a fait de lui une image de sa propre identité.
C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde ;
ils en font l’expérience, ceux qui prennent parti pour lui.
Sg 1, 13-15 ; 2, 23-24
Une affirmation optimiste et réconfortante, qui invite à un regard positif sur le monde et sur l’humanité. Dans ce texte, il s’agit de la mort corporelle mais aussi de la mort spirituelle qui concerne ceux qui se rangent dans le parti du mal et du démon. Ce passage du Premier Testament nous révèle déjà que Dieu est le Dieu des vivants, comme le dira Jésus. Un Dieu compatissant qui pleure avec ceux qui pleurent et se réjouit avec ceux qui sont dans la joie (Mc 12,27). Et puis, il faut lire tout le texte et notamment la phrase-clé : « Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable ». Attestation déjà de la foi en la résurrection, qui sera le fondement de la foi chrétienne. Affirmation aussi que c’est la justice qui est immortelle et toujours victorieuse des forces du mal et de la mort. Ce qui rejoint la prière de l’Église pour les défunts : « Pour ceux qui croient en toi, la vie n’est pas détruite, elle est transformée ».
Ainsi, nous sommes bien créés mortels, mais aussi, immortels. Si notre mort corporelle signe la fin de notre existence terrestre, la foi nous révèle que la personne que nous sommes ne sombre pas dans le néant. Nous sommes créés à l’image de Dieu, habités par son Esprit. Il restera de nous le bon grain de la justice et de la miséricorde plus que l’ivraie qui sera brûlée. Dieu nous a créés êtres mortels, mais aussi êtres spirituels destinés à vivre éternellement avec lui. Ce sera le regard de Jésus sur chaque personne. Les Évangiles rapportent comment il a fait œuvre de résurrection chez les personnes malades, paralysées, emprisonnées dans le mensonge, accablées par le chagrin, arrêtées, bloquées, désespérées. Dans un long récit saint Marc nous le montre redonnant la vie à deux femmes aux portes de la mort. Cela commence par une rencontre et une demande.
Jésus regagna en barque l’autre rive,
et une grande foule s’assembla autour de lui. Il était au bord de la mer.
Arrive un des chefs de synagogue, nommé Jaïre.
Voyant Jésus, il tombe à ses pieds
et le supplie instamment :
« Ma fille, encore si jeune, est à la dernière extrémité.
Viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. »
Jésus partit avec lui, et la foule qui le suivait
était si nombreuse qu’elle l’écrasait.
Sans mot dire, sensible à la détresse de cet homme et à sa prière qui révèle une foi profonde, Jésus prend la route avec lui. Mais en chemin, survient un imprévu.
Or, une femme, qui avait des pertes de sang depuis douze ans… –
elle avait beaucoup souffert du traitement de nombreux médecins,
et elle avait dépensé tous ses biens sans avoir la moindre amélioration ;
au contraire, son état avait plutôt empiré –…
cette femme donc, ayant appris ce qu’on disait de Jésus,
vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement.
Elle se disait en effet :
« Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée. »
À l’instant, l’hémorragie s’arrêta,
et elle ressentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal.
Aussitôt Jésus se rendit compte qu’une force était sortie de lui.
Il se retourna dans la foule, et il demandait : « Qui a touché mes vêtements ? »
Ses disciples lui répondirent :
« Tu vois bien la foule qui t’écrase, et tu demandes :
“Qui m’a touché ?” »
Mais lui regardait tout autour pour voir celle qui avait fait cela.
Alors la femme, saisie de crainte et toute tremblante,
sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité.
Jésus lui dit alors : « Ma fille, ta foi t’a sauvée.
Va en paix et sois guérie de ton mal. »
Cela fait douze ans que cette femme est malade. Aucune médication ne l’a soulagée. Elle vit dans la honte, doublement éprouvée : sa maladie incurable la rend exclue et infréquentable parce qu’en état d’impureté légale. Tout contact avec elle est interdit. Jésus est son dernier espoir. Elle prend le risque d’enfreindre l’interdit religieux. Elle, l’intouchable, ose toucher les vêtements de Jésus, qui sont, dans la culture de l’époque, le symbole de la personnalité de chacun. Jésus, lui aussi, enfreint l’interdit. Il se laisse toucher par le geste de confiance de cette femme : au lieu de la désapprouver, il la libère de son mal et arrête la mort qui fait en elle son œuvre, puisqu’elle cesse de perdre son sang.
On peut noter dans le récit de la guérison de cette femme deux moments distincts, celui de la guérison et celui de la rencontre entre elle et Jésus. Jésus lui dit : « Ta foi t’a sauvée », ta volonté dynamique de vivre, ta confiance en moi t’ont sauvée, mais il ajoute : « Va en paix et sois guérie de ton mal (en grec : « de ta souffrance »), alors que la guérison de la femme a déjà eu lieu ! Dans une perspective évangélique, une guérison n’est pas arrachée, elle est un don à recevoir. Par cette déclaration de Jésus, son corps est guéri, mais aussi sa souffrance et son tourment intérieurs et de plus, elle retrouve sa dignité de femme. Pour les chrétiens, après la résurrection du Christ, le salut est une réalité beaucoup plus forte que la guérison du corps. Ici la femme reçoit beaucoup plus qu’elle ne cherchait. Mais reprenons le récit de Marc.
Comme il parlait encore, des gens arrivent de la maison de Jaïre,
le chef de synagogue, pour dire à celui-ci :
« Ta fille vient de mourir. À quoi bon déranger encore le Maître ? »
Jésus, surprenant ces mots, dit au chef de synagogue :
« Ne crains pas, crois seulement. »
Il ne laissa personne l’accompagner, sauf Pierre,
Jacques, et Jean, le frère de Jacques.
Ils arrivent à la maison du chef de synagogue.
Jésus voit l’agitation, et des gens qui pleurent et poussent de grands cris.
Il entre et leur dit : « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ?
L’enfant n’est pas morte : elle dort. »
Mais on se moquait de lui. Alors il met tout le monde dehors,
prend avec lui le père et la mère de l’enfant, et ceux qui étaient avec lui ;
puis il pénètre là où reposait l’enfant.
Il saisit la main de l’enfant, et lui dit : « Talitha koum »,
ce qui signifie : « Jeune fille, je te le dis, lève-toi ! »
Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher
— elle avait en effet douze ans. Ils furent frappés d’une grande stupeur.
Et Jésus leur ordonna fermement de ne le faire savoir à personne ;
puis il leur dit de la faire manger.
(Mc 5, 21-43)
La femme guérie par Jésus était malade depuis douze ans. La fille de Jaïre a douze ans d’âge. Elle est à toute extrémité, dit son père à Jésus. Il n’est pas dit de quoi elle souffre : maladie, crise pubertaire, anorexie peut-être ? Quand on fait dire à Jaïre que sa fille est morte, et qu’il est inutile que Jésus se dérange, celui-ci répond : l’enfant n’est pas morte, elle dort. Ce qui provoque la risée de tous. Prendre la mort pour un sommeil, quelle sottise ! C’est pourtant là que réside le sens de ce que Jésus va faire, et la bonne nouvelle qu’il veut annoncer : la mort est comparable à un sommeil pour ceux qui croient en lui. C’est ainsi que les chrétiens considèrent la mort.
« Lève-toi, et elle se leva et se mit à marcher. » Ces verbes se retrouvent dans une hymne chrétienne très ancienne utilisée dans la liturgie du baptême : « Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera ». (Ép 5, 14). Avec Jésus, la mort n’est plus la mort. Elle ne domine plus inexorablement sur l’homme ; elle est un sommeil d’où la puissance de Dieu l’arrache pour le rendre à la vie, car il n’a pas fait la mort et ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants. Ce geste de Jésus qui saisit par la main cette jeune fille et la fait « lever » est celui de sa victoire sur la mort. Son geste est le même que celui de guérison de la belle-mère de Pierre (Mc 1,31).
La foi en Christ ressuscité se fonde sur le fait qu’il a fait surgir la vie. Il a ressuscité, relevé, réveillé, cultivé la vie avec passion. En cela s’enracine notre conviction que le travail de résurrection accompli de notre vivant ne s’arrête pas à notre mort mais s’épanouit en vie éternelle. D’où l’urgence aussi de faire surgir et ressurgir comme le Christ, la vie en nous et autour de nous jusqu’au bout. En cela s’enracine notre conviction que le travail de résurrection accompli de notre vivant ne s’arrête pas à notre mort mais s’épanouit en vie éternelle. Saint Paul invite les Corinthiens au partage généreux qui est une manière concrète de faire vivre les uns les autres.
Puisque vous avez tout en abondance, la foi, la Parole,
la connaissance de Dieu, toute sorte d’empressement
et l’amour qui vous vient de nous,
qu’il y ait aussi abondance dans votre don généreux !
Ce n’est pas un ordre que je donne,
mais je parle de l’empressement des autres
pour vérifier l’authenticité de votre charité.
Vous connaissez en effet le don généreux de notre Seigneur Jésus Christ :
lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous,
pour que vous deveniez riches par sa pauvreté.
Il ne s’agit pas de vous mettre dans la gêne en soulageant les autres,
il s’agit d’égalité.
Dans la circonstance présente, ce que vous avez en abondance
comblera leurs besoins, afin que, réciproquement,
ce qu’ils ont en abondance puisse combler vos besoins,
et cela fera l’égalité, comme dit l’Écriture à propos de la manne :
Celui qui en avait ramassé beaucoup n’eut rien de trop,
celui qui en avait ramassé peu ne manqua de rien.
(2 Co 8, 7.9.13-15)
Evangile selon saint Marc – Mc5, 21-43