Ex 17, 3-17; Ps 94; Rm 5, 1-2.5-8 ; Jn 4, 5-42
Homélie retranscrite à partir d’un enregistrement
Frères et sœurs,
Dans ce long passage d’Évangile, avez-vous retenu quel était le cœur du message de Jésus que saint Jean a voulu nous transmettre ?
Comme toujours dans saint Jean, il y a une histoire humaine toute simple… mais un développement théologique très élaboré. Je ne vais pas faire un commentaire détaillé, ce n’est pas le lieu ! Cependant, j’aimerais méditer avec vous sur un aspect du message que je trouve percutant et particulièrement d’actualité : la question des besoins vitaux, de ce qui nous est indispensable pour vivre et pour vivre heureux, à une époque où nous essayons plutôt de restreindre notre consommation !
Dans ce texte, tout tourne autour de l’eau, mais pas seulement, on y parle aussi de la nourriture… nous avons tous des besoins vitaux, et l’eau et la nourriture en sont des éléments essentiels. Nous le constatons en ce moment avec le manque d’eau en France qui provoque des inquiétudes. Jésus nous fait découvrir qu’il existe cependant un besoin encore plus vital que l’eau puisqu’il nous ouvre à la vie éternelle : la foi en Jésus le Sauveur des hommes et l’accueil de l’Esprit saint et de la nourriture de la Parole de Dieu qui nous conduit à faire la volonté du Seigneur.
Avec vous, j’aimerais d’abord accueillir ce message d’Évangile et ensuite méditer sur la question des besoins quotidiens et la place qu’ils ont dans notre vie. Un appel à recevoir pour nous aider à vivre pleinement ce temps du Carême.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais dans cet Évangile, il y a un peu un langage de sourd entre Jésus et la Samaritaine ! En effet, la Samaritaine ne comprend pas ce que Jésus veut lui dire. La Samaritaine parle de l’eau du puits, à boire, qui est un besoin vital pour elle. C’est d’ailleurs un fait : l’eau est plus importante que la nourriture puisqu’on peut se passer quelque temps de nourriture, mais on ne peut se passer d’eau !
Jésus, quant à lui, parle de l’eau vive comme symbole du don de Dieu, autrement dit de l’Esprit Saint.
Je vous fais remarquer au passage que l’Esprit Saint est présenté dans les Évangiles et les Actes des Apôtres de manières diverses, car au moment de la Pentecôte il ne s’agit pas d’eau, mais de langues de feu, le baptême du feu avait été annoncé par saint Jean-Baptiste. Le feu qui purifie et transforme, mais, finalement, image assez proche de l’eau qui purifie aussi : dans le baptême de Jean-Baptiste, c’est aussi ce symbole de purification des péchés.
Dans l’Évangile de ce jour, Jésus l’emploie pour désigner son aspect vital tant pour les êtres humains que pour toute la Création.
Saint Éphrem au 4e siècle utilise lui l’image de l’eau pour désigner la Parole de Dieu : « Que la source apaise ta soif, sans que ta soif apaise la source » ! La Parole de Dieu est une source inépuisable qui nous comble !
Dans cette histoire avec la Samaritaine, vous avez remarqué que Jésus n’a rien bu finalement ! Il n’a pas mangé non plus, car il répond à ses disciples qui avaient fait les courses : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. » Jésus présente là la nourriture de la Parole de Dieu comme quelque chose de plus vital encore que de manger.
Toujours pour reprendre l’image de l’eau qui représente l’Esprit Saint, saint Cyrille de Jérusalem (entre le 4e et le 5e siècle) a médité sur cet Évangile. Il s’interroge : « Pour quelle raison le don de l’Esprit est-il appelé “eau” ? », demande-t-il. « C’est parce que l’eau est à la base de tout, parce que l’eau produit la végétation et la vie ; parce que l’eau descend du ciel sous la forme de pluie ; parce qu’en tombant sous une seule forme, elle opère de façon multiforme. » C’est avec cette comparaison qu’il montre que l’Esprit saint qui descend aussi du ciel comme la pluie agit en chacun de façon différente et il ajoute : « il vient avec la tendresse d’un défenseur véritable, car il vient pour sauver, guérir, enseigner, conseiller, fortifier, réconforter, éclairer l’esprit ; chez celui qui le reçoit, tout d’abord, et ensuite, par celui-ci, dans les autres. » Nous voyons aussi dans cette dernière phrase le rôle de l’Esprit Saint qui agit en nous, mais aussi vers les autres par notre témoignage.
Cela nous fait mieux comprendre la parole de Jésus à la Samaritaine : « Celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. » On comprend alors le message que Jésus nous adresse aujourd’hui : l’eau est vitale pour notre vie, mais il y a quelque chose de plus vital encore que l’eau, c’est de recevoir de Lui, le don de Dieu qui nous fait entrer dans la vie éternelle.
Alors, que pouvons-nous retenir pour nous en ce troisième dimanche du Carême ?
Dans notre vie, il y a des choses qui sont vitales : l’eau, la nourriture, le vêtement, le logement, le travail, et surtout aimer et être aimé !
Il y a aussi des choses qui sont utiles, car elles nous permettent de vivre dans de bonnes conditions, mais qui ne sont pas forcément vitales, car nous pouvons nous en passer !
En fait, il n’est pas toujours facile de distinguer dans notre vie ce qui est vraiment utile de ce qui est vital. Je prends un exemple : quand on est habitué à travailler et à communiquer avec un ordiphone (le terme français pour « smartphone »), il est indéniable que c’est un instrument utile ; mais quand on ne peut plus s’en séparer même quelques heures, il apparaît comme vital ! Est-il vital pour autant ? Clairement : non !
Nous pourrions en dire autant de beaucoup d’autres choses dans notre vie quotidienne. La société de consommation crée des besoins pour nous les faire apparaître comme vitaux, mais ils ne le sont pas en réalité.
En ce troisième dimanche de Carême, nous pourrions peut-être essayer de discerner dans notre vie, dans notre manière de vivre et les usages que nous faisons des biens de cette terre, entre ce qui est utile et ce qui est vital. Le meilleur moyen, c’est d’en restreindre l’usage ! C’est ce qu’on appelle l’abstinence. Et l’abstinence du Carême est faite justement pour cela. Une vie plus sobre pour donner priorité à ce qui est véritablement vital : la prière, la méditation de la Parole de Dieu, l’Évangile, l’amour du prochain, le partage avec les plus démunis. Voici ce qui est vraiment vital. Plus vital encore que l’eau et qui par le don de Dieu, devient en nous source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon