Un dimanche aujourd’hui dont nous n’avons pas lu les textes depuis 6 ans. Nous entendons une phrase rude de Jésus dans l’Évangile de Marc : « Tout sera pardonné aux enfants des hommes : leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours. » Quel est donc ce péché impardonnable ? Peut-être s’agirait-il du péché originel ? Jésus prononce cette phrase alors qu’il est lui-même l’objet d’un soupçon de la part des scribes venus de Jérusalem. A leurs yeux Jésus serait-il un hérétique ? Alors peut-être leur soupçon le concernant serait-il pour lui le pire des péchés ? Les textes de ce dimanche nous ouvrent des pistes pour une enquête.
Les scribes, qui étaient descendus de Jérusalem, disaient :
« Il est possédé par Béelzéboul ;
c’est par le chef des démons qu’il expulse les démons. »
Les appelant près de lui, Jésus leur dit en parabole :
« Comment Satan peut-il expulser Satan ?
Si un royaume est divisé contre lui-même, ce royaume ne peut pas tenir.
Si les gens d’une même maison se divisent entre eux,
ces gens ne pourront pas tenir.
Si Satan s’est dressé contre lui-même, s’il est divisé, il ne peut pas tenir ;
c’en est fini de lui.
Mais personne ne peut entrer dans la maison d’un homme fort
et piller ses biens, s’il ne l’a d’abord ligoté.
Alors seulement il pillera sa maison.
Amen, je vous le dis : Tout sera pardonné aux enfants des hommes :
leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés.
Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon.
Il est coupable d’un péché pour toujours. »
Jésus parla ainsi parce qu’ils avaient dit :
« Il est possédé par un esprit impur. »
Mc 3, 20-35
Les scribes ne cessent de chercher à prendre Jésus en défaut dans sa manière de de présenter et de pratiquer la Loi, d’accomplir des guérisons le jour du sabbat, et particulièrement dans son combat contre les démons. Jésus fait le bien, guérit et libère, il fait revivre et redonne confiance aux pécheurs, et on le soupçonne de détenir un pouvoir démoniaque, d’être l’ami du prince des ténèbres alors qu’il le dénonce et le combat. Le péché que Jésus dénonce chez les scribes est pour lui le pire des blasphèmes contre l’Esprit de Dieu. Le soupçon à son égard est le même que celui dont parle la Genèse, dans la première lecture.
Après qu’ils eurent désobéi à Dieu Adam et Eve entendirent
la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour.
Ils allèrent se cacher à ses regards parmi les arbres du jardin.
Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui dit : « Où es-tu donc ? »
Il répondit : « J’ai entendu ta voix dans le jardin,
j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché. »
Le Seigneur reprit : « Qui donc t’a dit que tu étais nu ?
Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger ? »
L’homme répondit : « La femme que tu m’as donnée,
c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé. »
Le Seigneur Dieu dit à la femme : « Qu’as-tu fait là ? »
La femme répondit : « Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé. »
Alors le Seigneur Dieu dit au serpent :
« Parce que tu as fait cela, tu seras maudit parmi tous les animaux
et toutes les bêtes des champs.
Tu ramperas sur le ventre
et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie.
Je mettrai une hostilité entre toi et la femme,
entre ta descendance et sa descendance :
celle-ci te meurtrira la tête, et toi, tu lui meurtriras le talon. »
Gn 3 9-15
Figure du mal, le serpent avait tenté Ève et son époux, éveillant en eux un soupçon par rapport à la bonté absolue du Dieu créateur. Celui-ci leur avait déclaré que s’ils mangeaient le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, ils se prendraient pour des dieux et feraient leur propre malheur, refusant d’accepter les limites de leur condition humaine. Le serpent les poussait à désobéir aux conseils de Dieu. Il voulait les convaincre que Dieu était pervers, habité par des arrière-pensées mauvaises et sournoises. Un peu comme un enfant qui désobéit à son père et l’injurie parce qu’il lui a interdit de ne pas toucher ce qui est brûlant, car il se mettra en danger. C’est par amour et pour leur bien que Dieu leur interdisait ce geste et pour qu’ils ne soient pas esclaves du mal.
Leur « péché originel » est donc un péché impardonnable en cela qu’il consiste à refuser de croire que Dieu n’est que bonté, grâce et miséricorde. Ce piège du soupçon et de la mise en doute dans lequel Adam et Eve étaient tombés avait pour conséquence de les exclure eux-mêmes de la logique de l’amour. Quand ils accusent Jésus d’être membre de la famille des démons, les scribes se souviennent de son premier miracle dans la synagogue de Capharnaüm, lorsqu’un homme tourmenté par un esprit impur, s’était mis à crier : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu. » Les personnes habitées par les esprits mauvais s’avèrent ainsi plus clairvoyantes que les scribes au sujet de Jésus ! Jésus avait démasqué les démons présents en cet homme et il n’était pas leur complice mais leur pire ennemi.
Aujourd’hui Jésus nous éclaire dans le combat spirituel que nous devons mener pour devenir « maîtres » de nous-mêmes. Pour que Dieu soit le maître en nous et que sa volonté nous guide, il nous faut ligoter les esprits mauvais qui peuvent nous paralyser et nous empêcher de suivre ce que nous inspire l’Esprit Saint. Ces démons qui nous poussent à la violence, la haine, le mensonge. Nous serons ainsi plus forts quand ils nous tenteront. Cette parole de Jésus nous donne de contempler le combat qu’il mène contre le mal pour nous en délivrer. Nous pouvons nous rendre compte que notre propre combat spirituel est situé dans le sien qui nous ressuscite et fait de nous des édifices construits par Dieu. Comme Jésus et en lui nous sommes vainqueurs du mal.
L’Écriture dit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé.
Et nous aussi, qui avons le même esprit de foi,
nous croyons, et c’est pourquoi nous parlons.
Car, nous le savons, celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus
nous ressuscitera, nous aussi, avec Jésus,
et il nous placera près de lui avec vous.
Et tout cela, c’est pour vous, afin que la grâce,
plus largement répandue dans un plus grand nombre,
fasse abonder l’action de grâce pour la gloire de Dieu.
C’est pourquoi nous ne perdons pas courage,
et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine,
l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour.
Car notre détresse du moment présent est légère
par rapport au poids vraiment incomparable
de gloire éternelle qu’elle produit pour nous.
Et notre regard ne s’attache pas à ce qui se voit,
mais à ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire,
mais ce qui ne se voit pas est éternel.
Nous le savons, en effet, même si notre corps,
cette tente qui est notre demeure sur la terre, est détruit,
nous avons un édifice construit par Dieu,
une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes.
2 Co 4, 13 à 5,1
Un autre soupçon nous est rapporté avant et après le dialogue avec les scribes dans l’Évangile de Marc, mais d’un autre ordre : les gens de la parenté de Jésus, sa mère et ses frères, soupçonnent Jésus et pensent « qu’il a perdu la tête ».
Jésus revient à la maison, où de nouveau la foule se rassemble,
si bien qu’il n’était même pas possible de manger.
Les gens de chez lui, l’apprenant, vinrent pour se saisir de lui,
car ils affirmaient : « Il a perdu la tête. » […]
Alors arrivent sa mère et ses frères. Restant au-dehors, ils le font appeler.
Une foule était assise autour de lui ; et on lui dit :
« Voici que ta mère et tes frères sont là dehors : ils te cherchent. »
Mais il leur répond : « Qui est ma mère ? qui sont mes frères ? »
Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit :
« Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu,
celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. »
Mc 3, 20-35
Ils viennent pour se saisir de lui et le ramener à la maison et à la raison. On fait dire à Jésus qu’ils le cherchent et désirent le voir, lui parler mais la foule est si nombreuse et si pressante autour de lui qu’il leur est impossible de rentrer. Autour de lui sont rassemblés dans la maison, des gens assis en cercle et ils forment déjà un groupe, comme une « assemblée », une Église. Dans une attitude de disciples, ils écoutent son enseignement. Ils constituent comme une nouvelle famille pour lui, déclare-t-il, en les parcourant d’un regard et en disant : « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. » Jésus ne refuse pas explicitement de rencontrer ses parents mais il souligne ici la différence qui existe entre son clan familial, et les disciples, sa nouvelle famille. Ceux-ci ne sont pas du même sang mais sont unis par le même désir d’accomplir la volonté de Dieu, telle que Jésus la présente.
C’est la seule fois où il est fait mention de la mère de Jésus en saint Marc. Grâce aux autres Evangiles nous savons que non seulement elle a enfanté Jésus selon la chair et l’a nourri de son lait – elle a été une bonne mère –, mais elle a été surtout une vraie croyante. Elle a suivi Jésus, elle a été attentive à sa parole. Cependant ce qu’écrit saint Marc nous laisse penser qu’elle a vécu de manière éprouvante ce qu’a accompli son Fils. Son cœur de mère a sans doute beaucoup souffert, tiraillée face aux perturbations provoquées à son sujet dans sa propre famille et son voisinage, en apprenant ce qu’il dit et fait. En saint Luc Siméon le lui avait bien dit : « Il sera un signe de contradiction, et toi, ton âme sera traversée d’un glaive ». Mais la parole d’Elisabeth avait éclairé son chemin : « Heureuse celle qui a cru en l’accomplissement de la parole de Dieu ». C’est encore elle qui nous invite à faire de même en saint Jean : « Faites tout ce qu’il vous dira. » Après la mort de Jésus, au Cénacle avec les autres disciples, elle sera assidue à la prière, dans l’attente du don de l’Esprit Saint. Marie est première dans la famille charnelle mais aussi spirituelle de Jésus. Elle occupe la première place dans l’immense cortège des amis de Dieu. Elle est appelée Reine des Apôtres, des Martyrs et des Saints de Dieu. Quelle Bonne Nouvelle pour chacun de nous ! Si nous choisissons de suivre Jésus par le chemin de la foi, nous sommes unis à Lui, nous sommes ses vrais amis, ses frères, réellement. Ne sommes-nous pas les membres de son Corps ? Ce que ne pouvait pas revendiquer sa parenté naturelle ! En étant attentifs et en accueillant sa Parole ; en agissant comme lui avec amour, nous faisons la volonté de Dieu et surtout gardons toute confiance en l’Esprit Saint.
Evangile selon saint Marc – Mc3, 20-35