Au revoir ! Père Job !
« Aet eo d’an anaon Tad Job … » Oui, il est parti, le Père Job …
Une de ces rares personnes dont la rencontre marque toute une vie.
Une de ces très rares personnes dont, en dehors de la famille, on sollicite tous les jours, l’avis et, désormais, l’intercession.
Joseph Urien avait mon âge et nous plaisantions parfois, entre nous, des nombreuses similitudes de souvenirs accumulées au fil des ans. « Job an Irien » était le surnom que ses condisciples lui avaient attribué au grand séminaire de Pont-Croix en raison de son militantisme ombrageux concernant la langue de leur enfance que, déjà, beaucoup abandonnaient. « Irienn », c’est le « complot », la « conspiration » … rien à voir pourtant avec un personnage d’une limpidité aussi totalement transparente.
Pour le décrire, après un quart de siècle de fréquentation soutenue et d’amitié grandissante, il me suffira de dire qu’il était, à mes yeux, l’archétype du moine ermite breton de notre époque fondatrice : nous-autres, au Minihi Levenez qu’il avait fondé en 1983, nous étions «ar Ploujob », «le peuple de Job ».
Plutôt que de raconter sa vie, j’aimerais tenter de faire comprendre le secret de ce rayonnement.
Un secret tout simple : demeuré fidèle à la foi de son enfance et à la langue reçue de ses parents, il était, de ce fait, en totale résonance avec ce quelque chose que nous, Bretons, avons tous au plus profond de nous sans, le plus souvent, nous en rendre compte.
Du coup, il était celui dont la parole était immédiatement reconnue comme celle que l’on attendait sans forcément le savoir. Il était celui qui nous faisait sentir à quel point nous sommes « unique » ; et j’aime ne pas mettre la marque du pluriel à cet « unique » car il s’agit là, justement, de cette caractéristique des langues celtes qui soulignent ainsi combien notre personne ne ressemble à aucune autre et, par-là, conserve, toujours et partout, une valeur irremplaçable.
Tel était son secret qui n’en était pas un. Il s’en était parfaitement expliqué avec sa cantate « Ar marc’h dall » (« Le cheval aveugle ») par laquelle il répondait à la polémique opposant « Le cheval d’orgueil » de Per-Jakez Hélias au « Cheval couché » de Xavier Grall : Ô, Bretons ! si vous saviez ouvrir les yeux ! si vous saviez à quel point chacun de vous est unique ! est aimé ! Le drame de notre pauvre et chère Bretagne est d’être aveugle ; on lui a tellement dit qu’elle était moins que rien, qu’elle a fini par le croire et par tenter de se faire « plus parisienne que les parisiennes » …
« Aet eo d’an anaon ho Tad Job ker … » ; que va-t-il rester de son œuvre ? La Providence lui a accordé de partir le jour où l’Eglise fait mémoire de la Présentation de Jésus au Temple ; le jour où l’on chante le cantique de Siméon : « Bremañ, ô Mestr, e c’hellez lezel da zervicher da dremen e peoc’h (..) rag gwelet o-deus va daoulagad da zilvidigez … » (« Maintenant, ô Maître, vous pouvez laisser votre serviteur aller en paix car ses yeux ont vu le salut … »).
Et, justement, quelques semaines plus tôt, il pouvait bénir l’entrée au Minihi Levenez, du jeune ménage bretonnant qui s’est donné pour mission particulière d’y poursuivre l’accueil des enfants ; Kentigwern et Myrzinn Jaouen ont été catéchisés par lui et il a béni leur mariage … « Il faut que le grain meure … »
Yves de Boisanger