À l’occasion de la journée diocésaine Diaconie et Fraternité : Quels enjeux pour nos paroisses, le groupe Place et Parole des pauvres, envoyé par l’évêque il y a trois ans, a pris la parole. Voici son témoignage.
Bonjour,
Pour préparer cette journée, nous avons réfléchi et travaillé à partir de deux textes d’Evangile : celui que nous venons d’entendre, la multiplication des pains en Luc 9, 10-17 et celui du Bon Samaritain, en Luc 10, 25-37.
Nous avons relevé quelques pistes qui définissent pour nous la fraternité : la fraternité, c’est très fort, c’est le fait d’être unis, de prendre des nouvelles les uns des autres et de ne jamais laisser quelqu’un de côté. La différence entre la fraternité et la solidarité, c’est que, dans la fraternité, il y a l’amour de Dieu et l’amour de son prochain.
Etre fraternel c’est une valeur chrétienne que Jésus a voulu nous apprendre. Comme quand Jésus a reçu la foule dans la montagne et que ses disciples voulaient la renvoyer et que Jésus a forcé ses disciples à nourrir la foule. Pour moi, la fraternité, c’est cela : quand quelqu’un vient à toi, tu ne l’envoies pas bouler, tu l’aides. On la retrouve aussi dans les valeurs de la République, mais pour moi, la fraternité cela vient du caractère essentiellement divin de la personne humaine.
La fraternité, cela peut avoir cette force-là de ressortir quelqu’un d’entre les morts, comme Jésus avec Lazare. Grâce à la fraternité, on peut faire sortir quelqu’un de la mort sociale par exemple.
La fraternité, c’est s’aimer les uns et les autres, pour arriver à la paix. Tant qu’on ne s’aimera pas les uns et les autres, il y aura toujours des guerres. Il faut bien sûr être fraternel avec ceux que tu aimes, avec tes amis, mais il faut aussi être fraternel avec tes ennemis parce qu’autrement, tu ne peux pas, tu n’y arrives pas.
La fraternité, je l’ai découverte grâce à une dame prostituée à qui je rendais visite dans la rue, le jour où elle m’a dit : « assieds-toi à côté de moi. » La fraternité ne regarde pas la richesse : elle amène direct à l’autre, en ne regardant pas sa vie. Mais ce n’est pas facile de se dire qu’on est tous frères, c’est un cheminement. On peut prier pour demander à Dieu de nous donner cette grâce-là.
La fraternité, cela doit être aussi forts que les liens qui unissent des enfants issus d’un même père et d’une même mère, sauf que c’est avec tous les humains. C’est d’abord Dieu notre père qui nous a donné cette forme d’amour, c’est donc un exemple qui vient d’en haut : Dieu aime chacun comme son enfant et le Christ est notre frère.
La fraternité ouvre un espace beaucoup plus large que celui de l’intimité de nos familles. « Elargis l’espace de nos tentes », la fraternité cela revient à cela.
Nous avons relevé quelques obstacles à la fraternité :
La peur, l’indifférence, les préjugés, l’égoïsme.
Si quelqu’un est dans un quartier où tout le monde est chez soi, on fait comment ? Il y a plein de gens isolés qui ne se montrent jamais. Comment on repère les gens ? Comment on est attentif à côté de nous ? Quels moyens on se donne pour avoir de l’attention les uns envers les autres ?
L’obstacle des privilèges : pour s’investir totalement dans l’amour de Dieu, cela demande de faire fi des privilèges qu’on a et qui souvent nous retiennent. On a tendance à se plaire dans notre confort, notre statut et on n’a pas envie de bouger. Quand on est dans une certaine catégorie sociale, on n’a pas envie de se mêler avec les autres, on reste dans sa case… quand on ne laisse pas parler le cœur avant le reste.
Dans les quartiers populaires, on est tous considérés comme des « cas soc’ ». J’habite dans un quartier populaire, mais avec ce que je fais, les gens me disent : « c’est bien ce que tu fais », des fois j’ai envie de leur dire « venez avec moi ». Ce sont les difficultés de la vie qui ont fait que je suis ce que je suis aujourd’hui. Des fois j’aurais envie de dire : « Je vais dans des groupes, avec des personnes, parler de la Bible, de l’Evangile. »
La fraternité en Eglise, cela manque de chaleur. Moi j’ai été pendant longtemps une invisible dans l’Eglise. Et je vois encore des gens qui arrivent, se mettent dans un petit coin et repartent vite. Dans l’Eglise, tout le monde n’est pas encore ensemble pour arriver à la fraternité. A l’église, quand on se donne le geste de paix, on sait si c’est sincère ou pas, si ça vient du cœur. C’est assez sympa parce qu’on est obligé de se saluer, de se tourner vers les autres, de donner un petit salut, un petit bonjour. C’est dommage qu’à la sortie de l’église, cela ne se fait pas. Pendant la messe, on se souhaite un petit bonjour, mais quand on sort de la messe, souvent, à peine sorti, personne ne te salue, et tu t’en vas tout seul.
Mais aussi ce qui favorise la fraternité :
L’attention à l’autre, comme Jésus avec ses disciples. Il a pris le temps de les écouter, et ensuite quand la foule est arrivée, comme il a fait pour les disciples, il ne s’est pas défaussé devant la foule, il les a accueillis. Quand les disciples ont voulu se défausser et renvoyer les gens pour qu’ils se logent et se nourrissent, Jésus leur a appris à prendre leurs responsabilités. Jésus est sur le terrain, donc il connaît les besoins des hommes.
Le partage : Jésus partage et il apprend à ses disciples à partager pour que tout le monde puisse avoir un bout. Ne pas garder pour soi, mais aussi partager avec ceux qui n’en ont pas. Le partage, c’est important : on donne ce qu’on a, même si on n’a pas beaucoup. Partager, c’est important pour que chacun puisse avoir, même un petit peu. Le but, c’est de ne laisser personne de côté. On n’a pas le droit de laisser les gens au bord du chemin.
Jésus fait asseoir la foule pour qu’elle soit aussi à l’écoute. C’est une organisation pour que les gens ne s’énervent pas en attendant, pour que ce ne soit pas la cohue, pour que chacun ait une part de nourriture, pour n’oublier personne, pour que les gens fassent connaissance aussi, pour qu’ils deviennent frères et sœurs ensemble et qu’ils s’entendent.
Cela me fait penser à nos petites fraternités, cela fait du bien, nos échanges, nos partages autour de l’Evangile, cela fait chaud au cœur. Une action, cela s’arrête, alors que la fraternité, c’est être comme en famille, même s’il y a encore beaucoup de choses à bouger, ensemble, autour de nous.
La confiance : elle naît quand on apprend à faire connaissance, à se connaître. Il faut du temps.
Pouvoir être acteur : Jésus amène ses Apôtres à agir : il rend les Apôtres acteurs en leur confiant les pains et les poissons à distribuer à toute la foule. Ce sont les Apôtres qui vont nourrir la foule. En faisant cela, Jésus leur apprend la fraternité. Et il y a du reste, il y a encore à partager. Peut-être qu’ensuite les Apôtres vont continuer leur mission en apportant tout le reste dans les villages…
Aujourd’hui nous sommes Dieu, Jésus pour les autres. On est les fusibles entre le ciel et la terre. A notre petite échelle, chacun de nous on peut faire des miracles. Nous aussi on arrive à rassembler un peu les foules, la preuve, on est là ! Ce sont des petits miracles comme ça. Par exemple, quand quelqu’un ne va pas bien, avoir une attention, l’écouter… Nous sommes les descendants de tous ces gens-là. Pour que cette flamme ne s’éteigne jamais, comment entretenons-nous cette flamme qui nous éclaire et qui nous donne tant d’amour ? Comme ça, l’histoire de Jésus, de Dieu et des miracles, elle continue…
Et nous en avons dégagé quelques pistes d’action :
Le Bon Samaritain me plaît beaucoup parce qu’il n’a pas changé de trottoir, il est allé voir la personne qui avait mal par terre. Il a porté cet homme sur sa bête jusqu’à l’hôtellerie. Je trouve cela beau, formidable. C’est comme si nous on rencontrait quelqu’un qui se fait taper dessus dans la rue. On ne peut pas laisser la personne souffrir sur le trottoir. Mais souvent les gens ne bougent pas, ils ont peur d’aller voir la personne qui a mal, parce qu’ils ont peur des représailles. Tout ce qu’on fait de bien, c’est pour Lui là-haut.
Même si on est petit, si on est pauvre, on peut faire quelque chose. Dans la parabole du Bon samaritain, c’est celui qui n’était pas respecté qui va faire en sorte d’écouter, d’aller voir ce qui ne va pas chez le blessé. C’est ce que Jésus nous dit : « Allez vers les autres, même pour un petit geste de rien du tout. » Mais en même temps, des fois, quand on voit un SDF sur le trottoir, on n’ose pas, on ne sait pas comment faire, et pourtant ces gens-là, c’est nous quelque part aussi, ils font partie de nous. Il y a plein de gens comme ça qui se sentent délaissés et nous on a besoin d’aller vers eux, mais on a besoin de savoir comment faire aussi.
Jésus nous dit : les petits gestes de tous les jours, ce ne sont pas des petits services c’est le service. Tout ce qu’on fait, c’est au Seigneur qu’on le fait.
Quand on pratique la fraternité, cela met en route d’autres personnes, comme le Bon Samaritain : il va plus loin que juste soigner le blessé sur le bord de la route : il le fait entrer dans l’auberge et donc il implique aussi l’aubergiste. L’hôtelier, il a été vachement gentil car il a accepté l’homme blessé, mais aussi que le samaritain lui dise qu’il reviendrait lui régler plus tard. C’est la confiance de l’hôtelier qui me touche.
Nous, membres de l’équipe Place et Parole des Pauvres, on pourrait proposer à nos curés de faire partie d’équipes qui accueillent les personnes à l’entrée de la messe, mais pas tout seuls, avec d’autres, pour qu’on ne se retrouve pas qu’entre nous.
Il faudrait nous accorder dans les paroisses un temps pour qu’on vienne parler de ce qu’on fait, de ce qu’on vit avec ce groupe : ma parole, nos paroles, celle du groupe, peuvent apporter des choses aux gens. Sinon, on peut continuer longtemps à aller à l’église et repartir tout seul. Si on ne nous donne pas un temps d’échange, un temps de parole, on nous ignore, on n’existe pas. L’Eglise avec les pauvres comme dit le Pape François, mais il faut qu’on soit entendus, qu’on soit écoutés. Nous on est obligés d’entendre les paroles des autres, tout le temps, mais nous, petits, il est grand temps, qu’en Eglise ou ailleurs, on puisse prendre la parole. Il y a bien des temps de parole pour les élus, et nous ? Témoigner individuellement, c’est difficile. Moi je préfère aller avec d’autres, en groupe, comme avec l’équipe Place et Parole des Pauvres.
A la messe des Rameaux cette année, c’est la première fois qu’on m’a demandé de donner la communion. Je l’ai fait et j’étais remuée de faire cela. J’étais vraiment intérieurement stressée de le faire, mais surtout je suis rentrée bouleversée à la maison ce jour-là. Même pauvres, même petits, nous voulons pouvoir nous rendre utiles, dans l’Eglise, dans nos paroisses, dans la société.
Un dossier sur la journée est à lire dans le numéro 352 d’Église en Finistère.