Is 53, 10-11 ; Ps 32 ; He 4, 14-16 ; Mc 10, 35-45
Homélie retranscrite à partir d’un enregistrement
Frères et sœurs,
Dans la première lecture du livre d’Isaïe de ce jour, la première phrase est pour le moins surprenante : « Broyé par la souffrance, le Serviteur a plu au Seigneur. » En effet, nous pourrions avoir l’impression que le Seigneur prend plaisir à voir souffrir son Serviteur.
Évidemment, ce n’est pas cela. Pourtant, nous avons parfois cette pensée lorsque nous disons, par exemple : « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour qu’il m’arrive ceci ou cela ? » Comme si Dieu nous faisait souffrir, comme s’Il se réjouissait de nos peines. Bien sûr que non ! Il ne se réjouit pas de notre souffrance. D’ailleurs, Jésus lui-même a connu la souffrance sur la croix et sait parfaitement ce que cela signifie.
Alors comment devons-nous comprendre cette phrase ? Qu’est-ce qui plaît au Seigneur ?
Ce qu’Il lui plaît, c’est que le serviteur donne sa vie en rançon pour la multitude. Il donne sa vie, un cadeau, une œuvre d’amour. Et, c’est exactement ce que Jésus a fait en mourant sur la croix : il est mort pour nous, pour nous sauver et pour nous donner la vie.
Au fond, dans les textes que nous avons entendus, nous sommes appelés nous-mêmes à imiter Jésus : à donner notre vie pour nos frères, par amour. Comme saint Jean le dit dans sa lettre : « Jésus a donné sa vie pour nous, et nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères. » (1 Jn 3, 16)
Mais comment donner notre vie pour les autres ? Ce n’est pas en mourant sur la croix, bien sûr. Jésus nous le dit dans l’Évangile : c’est en devenant des serviteurs, et même des esclaves. Il va loin dans son enseignement. Mais comprenons-nous bien ce que cela signifie ?
À l’époque, un esclave était une personne qui était entièrement dévouée, j’allais dire 24 h sur 24, sept jours sur sept. Une vie totalement « au service ». Justement, dans notre vie de baptisé, le Seigneur nous appelle à être serviteur par toute notre vie.
Cela va bien à l’encontre de l’individualisme que nous voyons dans la société d’aujourd’hui, où la priorité de chacun est souvent son propre bien-être, ses intérêts personnels, parfois aux dépens du bien commun ou du bien de l’autre.
Et bien, nous sommes appelés à suivre Jésus sur ce chemin du don de nous-mêmes, même aux dépens de notre bien-être, voire de notre vie.
Chacun, bien sûr, sert le Seigneur selon son état de vie, ce que nous appelons son devoir d’état. Pour nous chrétiens, c’est une véritable vocation que nous avons reçue, quelle que soit notre situation : que nous soyons célibataires, mariés, parents avec des enfants, grands-parents, prêtres, religieux ou religieuses. Nous avons répondu à une vocation, une aspiration profonde. Par le choix que nous avons fait de notre vie et la manière dont nous servons les autres, nous nous sommes mis au service du Seigneur et du Royaume…
Alors, la question posée par l’Évangile d’aujourd’hui est la suivante : sommes-nous certains d’être aujourd’hui encore de bons serviteurs ? Le Seigneur nous invite à vérifier nos intentions profondes. Nous avons entendu dans l’Évangile les intentions des fils de Zébédée, Jacques et Jean. Elles ne sont pas pures. Ils veulent que Jésus fasse ce qu’ils demandent, autrement dit, ils veulent mettre Jésus à leur service ! De même pour les dix autres apôtres, qui cherchent eux aussi leur propre intérêt, le pouvoir. C’est pour cela que Jésus veut transformer leur état d’esprit.
Nous devons, nous aussi, sans cesse réviser notre attitude, changer notre état d’esprit pour nous mettre toujours au service des autres en renonçant à nous-même. Ce don de notre vie dans le service des autres évolue évidemment avec l’âge. Il est clair que de jeunes parents ne donnent pas leur vie de la même manière pour leurs enfants que lorsqu’ils sont grands-parents. C’est différent, mais cela ne signifie pas qu’ils cessent de donner leur vie pour les autres.
Pour les prêtres, c’est la même chose. Il y a un moment de leur vie où ils sont en ministère actif, puis, lorsqu’ils sont à la retraite, voire en EHPAD, ils continuent à donner leur vie. Cela ne s’arrête pas avec l’âge. Nous continuons à donner notre vie, mais d’une manière différente.
Alors, comment accueillir cet appel à servir et donner notre vie à la dernière étape de notre existence, lorsque les forces physiques et intellectuelles nous abandonnent, que nous soyons à la maison ou en EHPAD ? Jusqu’à la fin de notre vie, il y a toujours une manière de servir à la manière du Christ. Et moi, j’identifie plusieurs aspects.
D’abord, l’humilité, car à un moment donné, nous ne pouvons plus tout faire par nous-mêmes et nous devons accepter de nous laisser servir par les autres. Cela demande de l’humilité, parfois même de la docilité. Notre caractère n’y est pas toujours disposé, et nous avons besoin de vivre cet effort sur nous-même qui peut être un véritable sacrifice.
Ensuite, il y a la patience, car les gens qui s’occupent de nous ne sont pas toujours disponibles dans l’instant. Parfois, nous devons même attendre longtemps. Cette patience offerte est une autre manière de donner notre vie.
Je pense aussi à la gentillesse et à la bienveillance envers le personnel, mais aussi envers les autres résidents de la maison. La gratitude aussi, envers le personnel et envers Dieu également.
Enfin, il y a le service de la prière. Nous avons de très beaux témoignages de personnes qui, jusqu’à la fin de leur vie, jusqu’à leur dernier souffle, ont prié pour les autres, pour leurs enfants, leurs petits-enfants, pour le monde. Même lorsque notre corps ne suit plus totalement, nous pouvons encore être au service à la manière du Seigneur !
Et Jésus nous dit dans ce passage d’Évangile, et je conclurai là-dessus qu’il y a une grande fécondité dans le don de notre vie. Ce don ne porte pas seulement des fruits pour nous-mêmes. Nous voyons que Jésus, le Fils de l’Homme, n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. Cela signifie que le don que Jésus a fait de sa vie par amour a des conséquences pour le monde entier. Quelque chose est transformé.
Qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que le Christ, par ce don, nous délivre du mal et nous fait entrer dans la vie. Et nous aussi, par la puissance de Dieu, par le don de notre vie, par notre manière de nous mettre au service des autres, nous contribuons mystérieusement au salut de l’humanité en faisant grandir cet amour de Dieu qui chasse les ténèbres, où que nous soyons.
En cette Journée mondiale des missions, souvenons-nous de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, patronne des missions, qui est pourtant restée toute sa vie dans son couvent. Alors, vous voyez, même en restant dans une maison de retraite, ou un EHPAD, on peut vraiment avoir une vraie mission. La mission de sainte Thérèse, c’était l’amour. Elle le disait elle-même : « Ma vocation, c’est l’amour. » Elle disait que l’amour fait battre le cœur de l’Église. Et bien, l’amour que nous manifestons en nous mettant au service des autres, par notre attitude même ici et tel que nous sommes, fait aussi battre le cœur de l’Église et contribue donc à sa mission d’annoncer la Bonne Nouvelle du Salut.
Frères et sœurs, que le Seigneur nous aide à être de bons serviteurs et à le rester jusqu’au terme de notre vie terrestre. Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon