Sg 2,12.17-20 ; Jc 3,16 – 4,3 ; Mc 9, 30-37
Frères et sœurs,
L’entretien des églises demande de gros investissements comme cela a été le cas pour cette magnifique église. On comprend bien que ces efforts ne sont pas uniquement destinés à la communauté des croyants. Hier soir a eu lieu un beau concert pour fêter cette réouverture et c’est une bonne chose, car ce qui est beau rassemble tout le monde. À condition évidemment que le spectacle respecte le lieu et que le curé soit d’accord. On a bien conscience cependant que l’église n’est pas pour autant une salle de concert même si la sonorité est bonne pour la musique. De fait, l’architecture des églises est d’abord étudiée pour permettre de belles célébrations liturgiques et valoriser la beauté des cantiques.
Je pense qu’il y a aussi des choses qui ne s’expriment pas avec des mots. On pourrait parler d’une atmosphère particulière. Un catéchumène (adulte qui demande le baptême) m’a écrit qu’à chaque fois qu’il entrait dans une église pour la visiter, il ressentait une grande paix intérieure. C’est cela qui l’a décidé à demander à connaître la foi chrétienne puis à demander le baptême.
De fait, l’architecture de l’église est hautement symbolique, car elle représente l’Église avec un É majuscule, c’est-à-dire la communauté des croyants. On le voit déjà sur les douze piliers marqués d’une croix qui représentent les douze apôtres, colonnes de l’Église, le Corps du Christ disait saint Paul (cf. 1 Co 12, 27). Les autres pierres symbolisant le peuple des croyants, chacun à sa place contribuant à la cohésion et à la beauté de l’ensemble. Les petites pierres étant aussi nécessaires que les grandes. Ce qui veut dire que même les plus pauvres ont leur place et apportent quelque chose aux autres.
L’autel, bien au centre, représente le Christ Jésus, le Bon Pasteur qui nourrit son peuple par sa Parole de vie et par son propre corps lors de la célébration de la messe. La décoration intérieure, les vitraux, la statuaire, la décoration florale et même l’affichage des informations paroissiales à l’entrée de l’église, sont les signes de la foi vivante des chrétiens qui se succèdent ici depuis des siècles pour prier et célébrer la messe, mais aussi les baptêmes, les mariages et les funérailles ou encore pour recevoir le pardon de Dieu. Autant de moments forts de la vie des croyants qui s’unissent à Dieu, lui qui est la source de notre vie ici-bas et par-delà notre mort.
Cette architecture, elle est vivante comme le peuple qui l’habite. Elle souffre donc aussi des blessures du temps et de l’histoire. Cette église a été sans cesse réparée, enjolivée, agrandie, ou en grande partie restaurée comme cela a été le cas ici. Et dans ce sens, elle représente aussi notre humanité et même notre création qui gémit dans les douleurs d’un enfantement qui dure encore, comme dit saint Paul (cf. Rm 8, 22). L’architecture de l’église a de l’importance pour tout le monde, même pour les non-croyants, pour sa valeur patrimoniale. Mais cette valeur, comprenons-le, ne réside pas seulement dans le magnifique travail des artisans qui l’ont réalisée. La valeur symbolique est bien plus forte et elle touche le cœur de tout le monde.
C’est l’histoire du Salut qui se révèle à travers tout cela, c’est-à-dire l’œuvre d’amour que Dieu réalise en la personne de Jésus pour sauver l’humanité. Lui qui, après avoir manifesté l’amour de Dieu par ses gestes et ses paroles, a offert sa vie sur la croix par amour pour nous. Cette croix dont le signe lui-même parle à ceux qui souffrent physiquement ou qui sont dans l’épreuve. Mais cette croix est glorieuse, car nous croyons que Jésus est ressuscité des morts, et elle rappelle que si nous mettons notre foi en lui, Jésus continue de donner sa vie pour chacun de nous par les sacrements et le don de l’Esprit Saint.
La Parole de Dieu, dans les lectures de ce dimanche, résonne d’une manière particulière, car elle met en lumière certains aspects de ces blessures du temps que j’ai évoquées en parlant de l’architecture de l’église. Autrement dit des défis que l’Église doit surmonter dans l’histoire.
Dans ces blessures, je mettrais déjà les péchés de certains membres de l’Église, dont certains avaient la charge de conduire les fidèles au nom du Christ. Il y en a toujours eu depuis l’origine de l’Église, mais ces péchés ressortent davantage aujourd’hui où la parole se libère. Ce que ces ministres de l’Église, laïcs ou prêtres, ont commis autrefois sont des contre-témoignages qu’il faut assumer et réparer à l’image des travaux de réfection de cette église !
Autres blessures à réparer qui concernent tout le monde, ce sont les divisions qui semblent se développer dans la société, notamment en raison d’une priorité de plus en plus grande donnée par les personnes à leur intérêt personnel aux dépens du bien commun. Les maires évoquent souvent cela dans les rencontres que j’ai avec eux.
Cela se constate aussi dans les communautés chrétiennes à travers les sensibilités pastorales ou liturgiques parfois divergentes. Dans la célébration de la messe, mais aussi dans les préparations des baptêmes, mariages et des funérailles. « Je veux une cérémonie qui me corresponde », entend-on souvent. On ne se posait pas ce genre de question autrefois ! On faisait ce que l’Église demandait.
Comme le dit saint Jacques, « les jalousies et les rivalités mènent au désordre et à toutes sortes d’actions malfaisantes ». Il nous invite à être des artisans de paix dans la société. Non pas seulement par nos qualités personnelles, car nous sommes tous pécheurs, mais par l’accueil du don de Dieu dans notre vie. Il parle de « la sagesse qui vient d’en haut », sagesse qui est « pure, pacifique, bienveillante, conciliante, pleine de miséricorde et féconde en bons fruits, sans parti pris, sans hypocrisie. » Ces paroles vigoureuses de saint Jacques nous appellent à nous convertir pour accueillir ce don de Dieu par notre prière, notre écoute attentive de la Parole de Dieu, en accueillant la grâce des sacrements et en manifestant l’amour du prochain.
Lorsque le prêtre célèbre la messe, il a devant lui des fidèles qui sont de situations sociales diverses et qui ont parfois des positions politiques opposées. Et pourtant ils sont là pour accueillir le don de Dieu et se reconnaître comme frères et sœurs dans le Christ. C’est Lui qui les rassemble dans une communion qui les dépasse. Le baiser de paix avant la communion est fort. Il est le signe que nous devons toujours rechercher ce respect mutuel au-delà de ce qui nous divise.
Dans notre société qui est plus que jamais fragmentée, notre mission de chrétien est déjà de dépasser nos divisions internes et d’imiter le Christ qui a donné sa vie pour tous les hommes, les riches comme les pauvres, les bons comme les mauvais. Dans l’Évangile, Jésus nous invite à être pour cela « le dernier et le serviteur de tous. » Ces deux attitudes d’humilité et de service sont les deux clefs qui nous permettent de ne pas être des abuseurs sous quelque forme que ce soit, et de dépasser nos intérêts personnels pour rechercher toujours le bien commun.
En cette messe où nous célébrons la restauration de cette église et remercions tous ceux qui y ont contribuée, et puisque cette église représente symboliquement la communauté chrétienne, nous pouvons aussi y recevoir un appel à réparer nos divisions et à construire ensemble, et avec ceux qui ne sont pas membres de l’Église, une société qui ressemble à cet édifice restauré, c’est-à-dire un lieu de paix, de concorde, de respect mutuel, de bienveillance. Puisse le Seigneur nous assister et nous en donner la force qui vient d’en haut. Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon