Samedi 31 août 2024 à 11h – Dévoilement de la plaque dans l’église de Saint-Sauveur
L’homme qui nous réunit ce matin a été déclaré, à l’état civil de Saint-Sauveur, le 31 mars 1894 sous le nom de Jean-Marie Cloarec. Le prénom de « Corentin » sous lequel on le connaît aujourd’hui est son nom de religion, celui qu’il a reçu en prenant l’habit franciscain. Ce prénom peu fréquent dans l’ordre, trahit évidemment une origine : le diocèse de Quimper et Léon. Et l’on peut se dire que si les ministères que le P. Corentin a successivement exercés l’ont tenu presque toujours éloigné du Finistère et même de la Bretagne, son prénom religieux le rattachait toujours à ses origines familiales, communales et paroissiales.
Saint-Sauveur, donc, et plus précisément le gros village de Keréon, à trois petits kilomètres d’ici, sur les frontières de Loc-Eguiner. Une famille bien établie dans la société locale : elle appartient au milieu des juloded, ces descendants des marchands de toile de lin des 17e et 18e s. devenus propriétaires fonciers et notables locaux. Son grand-père a été, à deux reprises, maire de Saint-Sauveur. Comme il en va fréquemment dans ce milieu très représentatif du pays de Landivisiau, les Cloarec sont une « famille de prêtres » et de religieuses. Jean-Marie grandit dans le souvenir de deux grands oncles qui firent une belle carrière dans le clergé : le clergé finistérien pour le premier, Hervé-Marie, qui devint curé de Morlaix puis de Saint-Louis de Brest, tout en demeurant très attaché à Saint-Sauveur où il repose toujours aujourd’hui ; le clergé franco-américain pour le second, Jérôme, devenu « Monseigneur Cloarec » à Burlington, dans l’Etat du Vermont, au Nord-Est des USA. Le jeune Jean-Marie marche apparemment sur leurs traces : à treize ans, il part faire son collège à Saint-Pol-de-Léon, dans une école qui est une pépinière du clergé diocésain ; après quoi il entre au Grand Séminaire de Quimper.
Ce qui bouleverse cet itinéraire apparemment tout tracé, c’est la guerre 14-18. Mobilisé comme tant d’autres, Jean-Marie Cloarec combat sur le front, où il est blessé ; après Verdun, il endure trois ans de captivité en Allemagne, dans un stalag où il est attiré par le charisme franciscain, en la personne d’un religieux très rayonnant, prisonnier comme lui. Si bien qu’au sortir de la guerre, en 1921, il ne retourne pas au séminaire de Quimper : il se tourne vers l’ordre de saint François alors en plein renouveau. Il y devient « Frère Corentin », et bientôt « Père Corentin » une fois ordonné prêtre à Notre-Dame de Paris en 1925, juste avant de revenir dans cette église pour y célébrer sa première messe solennelle. Les qualités qu’on lui reconnaît font qu’il est vite appelé à des responsabilités dans l’ordre franciscain, en particulier pour diriger des fondations récentes : il est nommé recteur du Petit Séminaire franciscain de Fontenay-sous-Bois, puis gardien (donc supérieur) du nouveau couvent de Saint-Brieuc, puis de celui de Mons-en-Baroeul dans le Nord. A partir de 1938, il rejoint le grand couvent parisien de la rue Marie Rose, dans le 14e arrondissement. Dans ce grand couvent tout neuf en brique rouge qui est le siège de la province franciscaine de Paris, le P. Corentin est l’adjoint du gardien, c’est-à-dire le n° 2 de la communauté.
C’est là que la guerre le trouve, pour la seconde fois, et le révèle comme le « résistant » que nous honorons aujourd’hui. Résistant, il le fut d’abord à titre personnel à la fin de juin 1940, à Brest où il était mobilisé : il aurait dû, selon les consignes officielles consécutives à l’armistice signé par le maréchal Pétain, attendre passivement l’arrivée des occupants ; mais il réagit en patriote qui ne veut en aucun cas vivre une seconde captivité en Allemagne. Il se débrouille pour obtenir des papiers de démobilisation et regagne son couvent parisien… où, au fil des années de guerre, il s’engage de plus en plus dans des actions de résistance. Les recherches historiques menées voici une dizaine d’années, qui ont débouché en 2014 sur le livre dirigé par Bertrand Warusfel – dont la présence nous honore aujourd’hui – permettent de mesurer plus précisément cette action. D’abord en la resituant dans un environnement favorable, car le P. Corentin n’est pas isolé : dans le couvent parisien, il est au contact d’un frère très engagé, le P. Guy Bougerol, ancien aviateur, véritable agent de renseignements au service de la Résistance. Au couvent, il est aussi en lien avec de fervents laïcs, membres de tiers-ordres, personnalités souvent brillantes et très engagées dans plusieurs réseaux résistants : il est juste de citer ici les noms de Maurice Ripoche (martyr lui aussi en juillet 1944) ou d’Aymé Guerrin… Le P. Corentin est un peu leur directeur de conscience : il les engage à une forme de « résistance spirituelle » mais il agit aussi très concrètement. Le couvent cache des aviateurs alliés et facilite leur évasion ; le couvent sert de lieu de collecte et d’échange de renseignements utiles aux résistants. A la veille du Débarquement, il accueille une réunion clandestine où se préparent des actions contre l’occupant. Au sein de la communauté, plusieurs religieux s’activent pour procurer des faux papiers à des pilotes anglais, à des prisonniers évadés, à des réfractaires au STO… Le P. Corentin, en particulier, tire parti des nombreux contacts qu’il a noués dans la capitale, où il sait parfois, pour plus de discrétion, recourir à la langue bretonne lorsqu’il communique avec des Bretons nombreux dans le quartier de Montparnasse.
Les risques encourus sont évidents. Le couvent bénéficie d’une relative immunité par rapport aux perquisitions de l’occupant mais les rumeurs courent, les autorités allemandes mettent tout en œuvre pour débusquer les réseaux résistants, essaient de les infiltrer par des agents doubles… et il arrive que des gens parlent trop ! C’est sans doute ce qui conduisit au drame du 28 juin 1944, et à tant d’autres survenus à travers le pays au cours de ce terrible été où l’espoir suscité par le Débarquement se mêle aux pires exactions des occupants sur le départ et de leurs supplétifs français de la Milice. Au matin de ce 28 juin, ce sont deux jeunes Français qui se présentent à la porte du couvent de la rue Marie Rose et demandent à parler au P. Corentin, en se recommandant d’un résistant du quartier connu des religieux. Le frère portier ne se méfie pas, leur répond que le P. Corentin est parti faire l’approvisionnement mais qu’ils pourront le rencontrer en repassant un peu plus tard. Ce qu’ils ne manquent pas de faire, accompagnés cette fois par deux inspecteurs de la Gestapo : à peine le P. Corentin leur apparaît-il dans le parloir qu’il est abattu à bout portant. Avant de mourir, il a le temps de dire deux choses : « ce sont eux qui m’ont attaqué mais je leur pardonne ».
L’assassinat du P. Corentin suscite une énorme émotion dans le quartier : sa dépouille est couverte de fleurs tricolores, 6 000 personnes assistent à ses obsèques, avant l’inhumation dans le caveau des Franciscains au cimetière de Montrouge. Une fois Paris libéré, le Comité de libération du 14e arrondissement décide de donner son nom à la rue qui jouxte le couvent. Dans ce Comité qui réunit des chrétiens comme des communistes, le « P. Corentin » est à la fois un martyr et une figure consensuelle pour « celui qui croyait au ciel » comme pour « celui qui n’y croyait pas », pour reprendre les termes de Louis Aragon. L’hommage national suit en 1946 : la croix de guerre et la médaille de la Résistance française sont accordées à titre posthume au « caporal Corentin Cloarec ». Il y est défini par son grade militaire, obtenu en 14-18, mais il est bien précisé aussi qu’il « a puisé dans sa foi chrétienne la force de pardonner à ses assassins avant de rendre le dernier soupir ». Cette force humaine et spirituelle, nous aimons à penser qu’elle a éclos ici, dans cette commune, dans cette église, près de ces fonts baptismaux. C’est pourquoi il est légitime, au regard de l’histoire, d’en faire mémoire aujourd’hui.
Mot d’accueil (frère Anthony BERROU) Il y a 80 ans, le 6 juin 1944, une brèche est ouverte en Normandie, dans la France occupée. Elle va être un premier pas…
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Mot d’accueil (frère Anthony BERROU)
Il y a 80 ans, le 6 juin 1944, une brèche est ouverte en Normandie, dans la France occupée. Elle va être un premier pas vers la libération, puis en 1945 vers la paix.
Aujourd’hui, nous ne pouvons oublier ceux et celles qui ont donné leur vie. Les cimetières, les monuments aux morts, les plaques commémoratives de nos églises, nous rappellent sans cesse ces vies données pour nous recherchions et vivions de la paix.
C’est pourquoi, il était important de faire mémoire du Père Corentin Cloarec, franciscain, martyr de la résistance. Que cette figure saint salvatorienne soit source d’inspiration en nos vies.
Ecoutons Georges Provost nous faire le récit de sa vie.
Intervention de Georges Provost, maître de conférence d’histoire moderne à l’université de Rennes
Père Corentin Cloarec, franciscain et martyr de la résistance
Lecture d’extraits de la conférence du Père Corentin (frère Jean-Jacques, franciscain de Quimper)
UNE JOURNÉE FRANCISCAINE. Lille, 18 avril 1937 LE MESSAGE DE ST FRANCOIS AU MONDE MODERNE Sermon par le R. P. Corentin CLOAREC
Au début de cette journée, tout entière consacrée au souvenir du Pauvre d’Assise, laissez-moi tout d’abord vous adresser le salut cordial que lui-même adressait en toute rencontre à ses enfants : « que le Seigneur vous donne sa paix ! »
(…)
Saint François a encore son mot à dire à l’heure d’aujourd’hui (…) Des incroyants notoires en ont l’intuition. « Le monde ne sera sauvé, disait l’un d’eux (Clemenceau) qu’en revenant à l’Esprit de St François d’Assise. Ah ! Si tous les hommes, tous les chrétiens avaient dans leurs veines une goutte seulement de son sang généreux, le monde ne donnerait pas le spectacle qu’il offre à nos yeux »
Plus autorisée encore est la parole du Souverain Pontife dont l’esprit singulièrement pénétrant connaît nos maux et nos besoins. Or il y a peu de temps, il confiait à l’un de ses intimes : « Le monde et l’Église traversent des heures difficiles ; nous avons vraiment besoin d’une croisade franciscaine. »
(…)
L’évangile du Christ, c’est encore la charité. Notre siècle retentit dangereusement des sourds grondements de la haine, il fait entendre partout des sons de bataille.
Reprenons, chrétiens, la parole de ce grand pacificateur qu’a été saint François : « Pax et Bonum » (Paix et Bien) Les hommes ne sont pas faits pour se déchirer misérablement : ils sont faits pour s’aimer et s’unir. Le seul vrai bien social, c’est l’amour, la Justice elle-même, qui est la première régulatrice des relations humaines , ne peut s’en passer, sous peine d’enserrer les hommes dans un mécanisme rigide incomplet et aveugle. Il y faut l’amour.
Et pour avoir prise sur les hommes, pour les entraîner au bien, à l’union, le seul moyen efficace n’est-il pas de croire en eux et de les aimer ?
Détestons leurs idées fausses et leurs doctrines détestables, oui, mais aimons les hommes en voyant transparaître dans leur personne quelque chose du Christ. « La doctrine de l’Évangile apparaissant au monde ne dit pas comme Spartacus : levez- vous, armez-vous. Elle dit avec calme et simplicité : aimez-vous les uns les autres ! Et si quelqu’un se plaint de n’être pas aimé, qu’il aime le premier : l’amour produit l’amour » (Lacordaire)
« Allez chrétiens, nous dit le petit Pauvre d’Assise, allez mes enfants par le monde, et montrez en vous un Christ vivant à ceux qui le cherchent sans le connaître, à ceux qui en ont besoin sans le savoir.
Montrez aux hommes qui l’ignorent que la vie est belle et bonne à ceux qui la vivent dans le Christ.
Détrônez le veau d’or de son piédestal et empêchez l’argent de devenir la grande puissance ici-bas.
Montrez par vos exemples que le renoncement, la pauvreté, ni même la souffrance chrétienne n’éteignent pas la joie, n’étouffent pas le chant aux lèvres.
Montrez que la véritable grandeur n’est pas dans la fortune mais dans la vertu, que la paix du cœur à laquelle tous aspirent n’est ni dans l’argent, le confort, les passions, la force brutale, mais dans une vie simple, aimante, divinisée par l’Évangile vécu, qu’au-dessus des joies frivoles et frelatées du monde il y a des joies puissantes qui ne passent pas, les joies divines puisées de la charité du Christ.
(…)
Mot de Thierry Ramonet, maire de St-Sauveur
Dévoilement de la plaque par Mme Maryvonne AUTRET membre de la famille du père Corentin Cloarec
Temps de prière par le Père Jean-Paul Larvol, doyen du Chapitre cathédral de Quimper
Prière d’ouverture
P. Jean-Paul : Dieu qui as envoyé ton Fils dans ce monde pour qu’il le réconcilie avec toi, suscite en notre humanité divisée des artisans de paix ouvert à ton Esprit : que les hommes s’appuient sur lui pour retrouver confiance en eux, et renoncent à régler par la violence les conflits qui les opposent. Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur. Amen.
De l’Evangile selon Saint Mathieu (Mt 5, 1-12a) (frère Jean, franciscain de Quimper)
Voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait :
« Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.
Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux !
Méditation
Père Jean-Paul : Saint François d’Assise nous dit : « Vous annoncez la Paix par vos paroles, ayez la plus encore dans vos cœur. Ne soyez pour personne une occasion de colère ou de scandale, mais que votre douceur incite tous les hommes à la paix, à la bonté et à la concorde. Soigner les blessés, bander les fractures, appeler les égarés, voilà notre vocation. »
Nous devons être des porteurs de la Paix comme le fût le Père Corentin Cloarec qui certainement eu dans son cœur cette prière de Saint François d’Assise :
Avec fond musical : le chant des partisans à l’orgue par Georges Provost »
Fr. Anthony :
« Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix,
Là où est la haine, que je mette l’amour.
Là où est l’offense, que je mette le pardon.
Là où est la discorde, que je mette l’union.
Là où est l’erreur, que je mette la vérité.
Là où est le doute, que je mette la foi.
Là où est le désespoir, que je mette l’espérance.
Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière.
Là où est la tristesse, que je mette la joie.
O Seigneur, que je ne cherche pas tant à
être consolé qu’à consoler,
à être compris qu’à comprendre,
à être aimé qu’à aimer.
Car c’est en se donnant qu’on reçoit,
c’est en s’oubliant qu’on se retrouve,
c’est en pardonnant qu’on est pardonné,
c’est en mourant qu’on ressuscite à l’éternelle vie. »
musique…
P. Jean-Paul : Nous sommes invités à vivre l’Esprit de paix et de joie, dans le respect de l’autre et de toute créature.
Oraison
P. Jean-Paul : Dieu de toute humanité, suscite dans le cœur des hommes et des femmes de ce temps un vrai désir de paix et de réconciliation, fais aboutir les efforts de dialogue et de respect mutuel, que soit reconnue la dignité de tout être humain. Par Jésus Christ ton Fils, notre Seigneur et notre Dieu, qui règne avec toi et le Saint Esprit, maintenant et pour les siècles des siècles. Amen
Bénédiction
Mot de remerciement de Thierry Ramonet