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12 mai 2024 — 7 dimanche de Pâques – Messe dominicale — Notre-Dame de Kerbonne — Brest (29)

Ac 1, 15-17.20a.20c-26 ; Ps 102 (103) ; 1 Jn 4, 11-16 ; Jn 17, 11b-19

Frères et sœurs,

Dans ce temps de préparation à la Pentecôte, la liturgie nous invite à méditer sur cette prière de Jésus où il évoque la manière avec laquelle ses disciples doivent se situer par rapport au monde. Cela nous concerne donc directement !
Il faut savoir que, dans saint Jean, le terme de « monde » a une connotation plutôt négative. C’est le monde sous le pouvoir du Mauvais : « Le monde les a pris en haine… » dit Jésus en parlant des disciples. Le « monde » peut donc désigner ici toutes les forces qui s’opposent au Christ et à sa Parole, et donc aussi à ses disciples : l’Empire romain, mais aussi les membres du Peuple élu qui n’ont pas reconnu Jésus et qui ont persécuté les premiers chrétiens, comme Saul de Tarse, le futur saint Paul, avant sa conversion.

Il est intéressant de faire un parallèle avec le monde actuel, et en particulier en ce qui nous concerne, la société française. Quand Jésus dit : « Le monde les a pris en haine parce qu’ils n’appartiennent pas au monde ». Cette phrase résonne de façon très actuelle ! Comme chrétiens, nous nous sentons sur certains aspects « décalés » par rapport à l’évolution de la société.
En revanche, si le monde a de la haine vis-à-vis des disciples, les disciples, quant à eux, ne sont pas en haine du monde. Jésus a bien dit : « Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique… », et il envoie ses disciples dans ce monde justement !

Dans ce passage d’Évangile, Jésus nous donne quelques clefs pour savoir comment bien nous situer et vivre dans cette société en tant que chrétiens. J’en retiens deux principales.

Tout d’abord, les disciples « n’appartiennent pas au monde » dit Jésus.
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Nous sommes bien nés dans ce monde ! Nous sommes bien du monde, mais pas du monde au sens où je l’ai dit qui s’oppose au Christ et à son message. De fait, si nous sommes bien du monde, nous ne lui « appartenons » plus, car, en mettant notre foi en Jésus, le Sauveur des hommes, nous avons été libérés du péché par les sacrements de l’initiation chrétienne et introduits dans la vie nouvelle avec le Christ.
Cela ne nous met pas pour autant à l’abri des attaques de l’Adversaire, c’est pourquoi Jésus prie le Père non pas de nous retirer du monde, mais de nous garder du Mauvais. Et nous devons, avec la force de l’Esprit de Pentecôte, vivre durant toute notre existence un combat spirituel pour lutter contre le mal et grandir en sainteté en ce monde.
Nous ne sommes pas encore arrivés au but, car nous sommes tous pécheurs. C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous situer comme supérieurs aux autres. Mais notre appartenance au Christ nous met dans une posture nouvelle vis-à-vis de la société.
Comme le dit l’auteur de la lettre à Diognète (2e siècle) : « Leur doctrine (celle des chrétiens) n’a pas été découverte par l’imagination ou par les rêveries d’esprits inquiets ; ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine d’origine humaine. »
Ce qui fait donc que nous n’appartenons pas au monde, c’est que Jésus nous a donné la Parole du Père, comme il le dit dans l’Évangile. Une Parole divine qui, par le don du Saint-Esprit, nourrit notre intelligence et oriente nos comportements et nos choix de vie. Ce n’est pas « une doctrine d’origine humaine » qui nous fait vivre !
C’est pourquoi les chrétiens se trouvent nécessairement en décalage entre « les doctrines d’origine humaine » de la société, traversée par les idéologies du moment, et puis l’anthropologie chrétienne, c’est-à-dire une vision de l’homme fondée sur la Parole divine. Car « autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, dit le Seigneur, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées. » (Is 55, 9)
Si nous pouvons retenir un premier message de ce passage d’Évangile, c’est que nous ne devons pas nous étonner de ce décalage, car nous vivons dans une société qui n’est pas chrétienne, même si nous en sommes attristés et parfois même révoltés. Jésus nous dit bien que c’est comme ça et que ça le sera jusqu’à la Parousie, l’Avènement du Christ à la fin des temps.

Mais accepter humblement cette posture de décalage ne suffit pas. Jésus nous ouvre à une autre attitude et c’est mon deuxième point. « Je les ai envoyés dans le monde », dit-il en parlant toujours de ses disciples.
Qu’est-ce que Jésus veut dire par là ?
Que nous n’appartenons pas au monde, mais que nous y sommes envoyés, comme témoins de la vérité. Jésus demande bien à son Père que nous soyons « sanctifiés dans la vérité ».
La mission de l’Église, c’est d’exprimer la Parole de vérité par l’annonce de l’Évangile, mais aussi par les textes du Magistère. Je pense en particulier aux divers textes, ceux du Vatican, mais aussi des évêques, successeurs des apôtres à la suite des pères de l’Église, qu’ils publient pour éclairer les fidèles sur les sujets de société. Cela n’empêche malheureusement pas les lois d’être votées, mais la vérité est proclamée et beaucoup de gens l’entendent et lisent ces textes. On aimerait bien d’ailleurs que les chrétiens eux-mêmes lisent ces textes plutôt que leurs commentaires sur les réseaux sociaux ou sur les journaux ! Cela éviterait beaucoup de confusion ! Même des non-croyants attendent la parole de l’Église, même s’ils ne sont pas forcément d’accord !

Dans cette mission, nous devons cependant être vigilants sur certains écueils et je terminerai par-là :

  • Nous ne sommes pas en guerre contre la société. Nous ne pouvons pas utiliser des moyens violents pour imposer nos convictions. Ce n’est pas ainsi que Jésus s’est comporté. Nous nous efforçons de faire grandir l’œuvre de Dieu là où nous sommes, comme le levain dans la pâte, en étant insérés dans la société et partie prenante de son destin dans la vie commune. Mais sans partager pour autant ses dérives évidemment ! Notre parole doit être plus prophétique que combative. C’est-à-dire proclamer un message qui éclaire et interroge.
  • Le risque de se replier sur nous-mêmes en restant entre nous à l’écart du monde. Ce n’est pas ce que Jésus nous dit dans l’Évangile. L’Église n’est pas une secte et les chrétiens doivent s’engager pleinement dans la société en témoins de la vérité comme le pape saint Jean-Paul II l’exprimait dans son exhortation apostolique : « La vocation et la mission des laïcs dans l’Église et dans le monde. » (Christifideles Laici 1988) Magnifique texte qui a été approfondi par ses successeurs.
  • Le risque d’une Église qui se divise sur un certain nombre de sujets, mais notamment sur la manière de nous situer dans le monde. Jésus prie le Père pour que nous soyons unis dans l’amour de la Trinité. Cette unité est un des fruits de l’Esprit Saint et sans cette unité, nous ne pouvons pas porter du fruit. Soyons des artisans de cette unité par notre fidélité à l’Évangile et à l’Église de Dieu.

Frères et sœurs, en ces jours qui nous préparent à la Pentecôte, prions pour que, tout en vivant dans l’humilité en ce monde, l’Esprit Saint nous guide, nous éclaire et nous soutienne dans notre belle mission de « témoins de la vérité » dans un monde qui en a tant besoin. Amen.

† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon