Que nous disent ce dimanche saint Jean, saint Pierre et saint Luc au sujet de la mort et de la résurrection du Christ ? Nous poursuivons la lecture de la première Lettre de Jean :
Mes petits enfants, je vous écris cela pour que vous évitiez le péché.
Mais si l’un de nous vient à pécher,
nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste.
C’est lui qui, par son sacrifice, obtient le pardon de nos péchés,
non seulement les nôtres, mais encore ceux du monde entier.
Voici comment nous savons que nous le connaissons :
si nous gardons ses commandements.
Celui qui dit : « Je le connais », et qui ne garde pas ses commandements,
est un menteur : la vérité n’est pas en lui.
Mais en celui qui garde sa parole,
l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection
1 Jn 2 1-5a
Deux messages importants de la part de saint Jean. Tout d’abord, il nous rappelle que la mort du Christ pour les péchés de tous les humains est pour eux une Bonne Nouvelle. Ni le mal, ni la violence, ni la haine, ni le mensonge n’ont plus le dernier mot. Jésus Christ en son humanité est le Juste. Il est la Parole vivante de Dieu, la source de toute espérance. Il est mort pour les péchés de tous les hommes. Cependant ceux-ci continuent de laisser dominer en eux le mal et le mensonge. Mais pour eux tout n’est pas perdu, car le Ressuscité est leur défenseur auprès du Père et il est la porte de sa miséricorde qui leur reste toujours ouverte. Saint Jean nous rappelle aussi que la meilleure condition pour éviter le péché, pour vaincre les forces du mal, c’est de rester toujours branché sur la parole du Christ, qu’il appelle « ses commandements ». Ceux-ci ne sont pas des prescriptions légalistes, ni des fardeaux pesants mais des chemins de vie et de bonheur.
Saint Pierre a beaucoup changé depuis la Passion de Jésus et depuis sa rencontre avec lui après sa résurrection ! Il a retrouvé sa fougue, mais après avoir mieux compris sa mission. Dans les Actes des Apôtres il est le premier à prendre publiquement la parole. Il a présidé au choix du remplaçant de Judas par Matthias. Au jour de Pentecôte, le voici qui s’adresse au peuple rassemblé à Jérusalem. Aux hommes d’Israël il reproche avec courage de n’avoir pas reconnu Jésus comme le Messie, et de l’avoir rejeté, alors qu’il accomplissait les Écritures, et il proclame que Dieu l’a ressuscité. Il les appelle à la conversion.
Devant tout le peuple, Pierre prit la parole : « Hommes d’Israël,
le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères,
a glorifié son serviteur Jésus, alors que vous, vous l’aviez livré,
vous l’aviez renié en présence de Pilate qui était décidé à le relâcher.
Vous avez renié le Saint et le Juste,
et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier.
Vous avez tué le Prince de la vie,
lui que Dieu a ressuscité d’entre les morts, nous en sommes témoins.
D’ailleurs, frères, je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance,
vous et vos chefs.
Mais Dieu a ainsi accompli ce qu’il avait d’avance annoncé
par la bouche de tous les prophètes : que le Christ, son Messie, souffrirait.
Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu
pour que vos péchés soient effacés.
Ac 3 13-15, 17-19
En conclusion de son Évangile, Saint Luc raconte la dernière rencontre entre Jésus et les onze Apôtres. Son récit fait suite à celle de Jésus avec Cléophas et son compagnon sur le chemin d’Emmaüs. Il est écrit sur la base du même schéma, avec quelques variantes. Les disciples qui rentraient d’Emmaüs racontaient leur rencontre aux onze Apôtres et à leurs compagnons. Faisons quelques pauses dans le récit de Luc.
À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route,
et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.
Comme ils en parlaient encore,
lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Cléophas et son compagnon racontent aux Onze ce qu’ils viennent de vivre et, nous dit le texte : « Comme ils parlaient encore, Jésus lui-même était là au milieu d’eux ». Sur la route d’Emmaüs, c’est aussi au moment où les deux disciples s’entretenaient à son sujet, que Jésus s’était approché d’eux, les avait rejoints, les avait écoutés longuement, leur avait parlé et avait rompu le pain avec eux. Voici maintenant qu’il est au milieu de tous les membres de la communauté des disciples que Cléophas et son compagnon ont rejoints. Ainsi donc, la rencontre avec le Christ ressuscité se réalise au cœur de la conversation de ceux qui parlent de lui, leur parole faisant écho à la sienne. Elle fait brûler leur cœur dans leur échange, sous l’écorce de leurs mots, dans les battements de leur cœur. « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux. » avait-il dit. (Mt 18, 26)
La rencontre avec le Ressuscité et la foi en lui supposent donc la parole, le témoignage, l’entretien familier entre frères dans la foi. Ce n’est pas une expérience d’apparition parapsychique étrange, mais banale et toute simple. Elle est vécue dans le contexte d’une rencontre et d’un échange, et surtout d’une évocation de ce que les amis de Jésus ont vécu avec lui. C’est en faisant mémoire de ce qu’il a dit et accompli sur les routes de Galilée et ailleurs, que se manifeste sa présence bouleversante en eux et avec eux.
Saisis de frayeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit.
Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous bouleversés ?
Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ?
Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez :
un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai. »
Après cette parole, il leur montra ses mains et ses pieds.
Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire,
et restaient saisis d’étonnement.
Comme chez les disciples d’Emmaüs, chez les onze Apôtres et leurs compagnons la foi en la résurrection prend naissance dans un sentiment violent : frayeur, crainte, bouleversement, joie, saisissement d’étonnement. Au fil du récit, la rencontre se fait de plus en plus concrète, réaliste. Pour les Onze comme pour Thomas, la foi passe par le toucher des mains et des pieds de Jésus. Des mains et des pieds percés par les clous qui portent les traces indélébiles des souffrances de la Croix, reconnues dans la foi comme des blessures glorieuses. Oui, le Ressuscité, c’est bien le crucifié, un homme de chair, d’os et de sang.
Jésus montre ses mains, que les disciples ont vues à l’œuvre. Elles ont touché la peau du lépreux, les yeux de l’aveugle, la bouche du muet. Elles ont caressé les enfants, fabriqué un fouet pour chasser les marchands du temple, mais aussi rompu le pain. Elles se sont levées pour bénir le Père. Elles portent à jamais la marque des clous sur son corps crucifié.
Jésus montre ses pieds, blessés eux aussi. Ils en ont parcouru des kilomètres, au long des chemins de Galilée et d’ailleurs pour annoncer la Bonne Nouvelle. Ils ont été lavés par les pleurs de la pécheresse, embaumés de parfum avant sa Passion. Et puis, n’a-t-il pas lavé lui-même de ses mains les pieds de ses disciples, avant de mourir ?
Jésus leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? »
Ils lui présentèrent une part de poisson grillé
qu’il prit et mangea devant eux.
Voici le moment le plus intense de la rencontre, le partage de la nourriture, au soir de ce premier jour de la semaine. Comme au bord du lac dans l’Évangile de Jean, ce n’est pas du pain mais du poisson grillé qui est partagé. « Nous avons mangé et bu avec lui après sa résurrection » dira Pierre chez Corneille. La foi en la résurrection est étroitement liée au partage eucharistique dans beaucoup de récits d’Évangile. C’est à la fraction du pain que Cléophas et son ami l’avaient reconnu. Pour indiquer que c’est bien lui, Jésus leur ami, il leur demande à manger, comme il leur avait demandé ce qui leur restait, pour nourrir la foule affamée, comme il avait demandé un peu d’eau à la Samaritaine et demandé à boire sur la Croix. Ainsi, c’est un Dieu qui a faim et soif de l’homme, un Dieu pauvre et mendiant que Jésus est venu manifester à l’humanité, et lui apprendre le partage de la Parole et de la nourriture spirituelle autant que corporelle.
Puis il leur déclara : « Voici les paroles que je vous ai dites
quand j’étais encore avec vous :
Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet
dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. »
Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures.
Il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait,
qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour,
et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem.
À vous d’en être les témoins.
Lc 24 35-48
Avec les disciples d’Emmaüs, l’homélie de Jésus avait précédé le repas (comme à la Messe !). Ici, elle le suit. Il ouvre maintenant l’intelligence des disciples au sens des Écritures. La foi n’est pas naïveté, crédulité facile devant un mage ou un gourou. Elle est liée à la connaissance des Écritures qui révèlent un Dieu présent dans l’histoire humaine. Elle est profondément raisonnable, non pas à la manière abstraite des raisonneurs mais à la manière des chercheurs de sens et de vérité dans le concret de leur vie. À la manière du cœur qui a ses raisons, et qui a raison en ce qui concerne les choses essentielles de l’existence. Un Messie souffrant, à première vue, ce n’est pas raisonnable, et pourtant ! Et pourtant n’est-ce pas lui qui est la vérité, quand il aime ses amis jusqu’à l’extrême, qui pardonne à ses bourreaux et prie pour eux ? Cela, l’intelligence du monde peut le récuser, le tourner en dérision, mais l’intelligence du cœur le reconnaît.
Evangile selon saint Luc – Lc24, 35-48