Saint Jean, dans sa première Lettre, et saint Luc, dans le récit des Actes des Apôtres, sont nos guides pour les dimanches de Pâques qui nous préparent à la Pentecôte, avec les textes des Évangiles, bien entendu. Jean Paul 2 a déclaré ce dimanche « fête de la divine miséricorde », comme l’exprime la prière liturgique d’ouverture.
Dieu de miséricorde infinie,
tu ranimes la foi de ton peuple par les célébrations pascales ;
augmente en nous ta grâce pour que nous comprenions toujours mieux
quel baptême nous a purifiés,
quel Esprit nous a fait renaître,
et quel sang nous a rachetés.
Ceux qui ont été baptisés à Pâques et tous les baptisés sont appelés à centrer leur foi et leur vie sur la personne du Christ ressuscité dans un monde nouveau, celui du Dieu miséricordieux. Pour les disciples de Jésus, après sa mort ce fut le temps de le rencontrer vivant, et d’approfondir le sens et la portée de leur foi en lui. Au temps de Jésus beaucoup de juifs croyaient déjà à la résurrection des morts à la fin de l’histoire. Mais la nouveauté de sa résurrection attestée dans l’Évangile, ne porte pas seulement sur la Résurrection au dernier jour. La surprise pour les amis de Jésus c’est qu’elle a lieu dans leur histoire, au présent. Jésus était mort, et ils découvrent qu’il est ressuscité, vivant, non plus comme avant, mais autrement, réellement et cela dans leur aujourd’hui. Écoutons d’abord le témoignage de Jean dans sa première Lettre.
Celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu ;
celui qui aime le Père qui a engendré aime aussi le Fils qui est né de lui.
Voici comment nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu : lorsque nous aimons Dieu
et que nous accomplissons ses commandements.
Car tel est l’amour de Dieu : garder ses commandements ;
et ses commandements ne sont pas un fardeau,
puisque tout être qui est né de Dieu est vainqueur du monde.
Or la victoire remportée sur le monde, c’est notre foi.
Qui donc est vainqueur du monde ?
N’est-ce pas celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ?
C’est lui, Jésus Christ, qui est venu par l’eau et par le sang :
non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec le sang.
Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car l’Esprit est la vérité.
1 Jn 5 1-6
Saint Jean n’emploie pas le mot « résurrection » (absent des Écritures) et cependant c’est d’elle qu’il parle. Il emploie l’image de la naissance. Tout être humain naît de ses parents, et est appelé à leur accorder confiance et amour. De même, tout baptisé naît de Dieu, est fait enfant de Dieu et est appelé à aimer le Père, ainsi que tous les enfants de Dieu. Le baptême, écrit saint Jean, est une naissance, non pas naturelle mais spirituelle, une renaissance qu’on pourrait qualifier de résurrection.
Cette renaissance s’exprime et s’accomplit dans le sacrement du baptême, par tous les symboles qui nous unissent au Christ. L’eau et le sang d’une part, dont saint Jean parle tout au long de son Évangile. L’eau et le sang qui ont marqué la personne du Christ, sa mission, son œuvre de salut. Il a vécu le baptême de l’eau et le baptême du sang, et de son côté transpercé par la lance, ont coulé sur ceux qui croiraient en lui, l’eau et le sang : l’eau de la naissance à une vie nouvelle, et le sang de la vie donnée par amour. Et d’autre part la Résurrection baptismale s’accomplit par la réception de l’Esprit qui reposait sur le Christ à son baptême, l’Esprit qui émanait de sa personne avec puissance et dynamisme de vie, de guérison, d’amour. Son Esprit, il l’avait remis au moment de sa mort pour qu’il repose sur ses disciples au soir de sa résurrection, comme nous le rapporte saint Jean.
Le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit :
« Recevez l’Esprit Saint.
À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau),
n’était pas avec eux quand Jésus était venu.
Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! »
Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous,
si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous,
si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Après la mort de Jésus, les disciples apeurés se sont rassemblés dans une maison, toutes portes verrouillées. Et voilà que Jésus se tient au milieu d’eux, leur souhaite la paix, leur montre ses mains et son côté. Ils sont remplis de joie. Puis il leur communique son souffle, les remplit de l’Esprit Saint et les envoie annoncer le pardon des péchés. Mais Thomas n’a pas rejoint les autres disciples. C’est ensuite que Jean relate une autre rencontre des disciples avec Jésus, le huitième jour de la semaine.
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison,
et Thomas était avec eux.
Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées,
et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! »
Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
avance ta main, et mets-la dans mon côté :
cesse d’être incrédule, sois croyant. »
Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois.
Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits
en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Jn 20, 19-31
Le doute de Thomas nous le rend sympathique et nous rassure. Pas de foi en la résurrection du Christ sans traverser des nuits de doute, sans accueillir la béatitude dernière qu’il déclare à Thomas, quand il s’est trouvé en présence de lui. Thomas avait vu les plaies de son ami crucifié, mais pour lui elles étaient les signes scandaleux d’un échec et lui brisaient le cœur. C’est Jésus lui-même qui change son regard et sa manière de se représenter la miséricorde infinie de Dieu. Thomas, – notre frère jumeau dans le doute comme dans la foi –, ne s’attendait pas à découvrir que Jésus, l’envoyé et le Fils de Dieu miséricordieux, irait jusqu’à partager la condition humaine en ses profondeurs les plus misérables. Il lui fallait voir et toucher personnellement les plaies du ressuscité pour l’appeler son Seigneur et son Dieu. Lors de la première apparition de Jésus, Thomas n’était pas avec ses frères. Peut-être avait-il fui et n’avait pas encore franchi le pas de la communion retrouvée avec ses frères, et de ce fait, s’était mis en grand risque de ne pas croire à la résurrection de Jésus.
Le rassemblement des disciples au soir de Pâque est en quelque sorte un acte de résurrection. Alors qu’ils se sont tous enfuis lors de la Passion de Jésus, les voilà réunis le soir du premier jour de la semaine. Le dynamisme de Jésus, de son Esprit, repose désormais sur eux, les anime, et suscite dans les communautés chrétiennes des pratiques nouvelles. Saint Luc dans le texte des Actes des Apôtres insiste sur une de ces pratiques, celle de la communion et du partage.
La multitude de ceux qui étaient devenus croyants
avait un seul cœur et une seule âme ;
et personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre,
mais ils avaient tout en commun.
C’est avec une grande puissance
que les Apôtres rendaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus,
et une grâce abondante reposait sur eux tous.
Aucun d’entre eux n’était dans l’indigence,
car tous ceux qui étaient propriétaires
de domaines ou de maisons les vendaient,
et ils apportaient le montant de la vente
pour le déposer aux pieds des Apôtres ;
puis on le distribuait en fonction des besoins de chacun.
Ac 4 32-35
Ce témoignage de Luc fait comprendre que l’annonce de la résurrection n’est pas seulement un témoignage oral, une simple annonce. La résurrection de Jésus n’est pas seulement objet de foi, et d’explications de tous ordres. Elle est d’abord associée concrètement à la surrection de sa communauté que sa mort avait dispersée. En même temps que le corps de Jésus est ressuscité, son corps ecclésial aussi a repris vie et a reçu son Esprit : saint Luc emploie les mots “force et puissance de grâce”, de don”, dunamis en grec. C’est quand il va rejoindre sa communauté que Thomas va retrouver et reconnaître son Seigneur et son Dieu.
L’annonce de la résurrection est associée aussi à une manière neuve de vivre la vie sociale pour les baptisés ainsi que pour les communautés auxquelles ils appartiennent. « Les Apôtres portaient témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus, aucun d’entre eux n’était dans la misère ». L’Église se présente comme un corps constitué de personnes bien vivantes, inaugurant des pratiques sociales nouvelles inspirées de l’Évangile, qui attestent qu’en Jésus ressuscité la bonté se montre plus forte que l’égoïsme, le partage plus important que la possession. La miséricorde est une bonne nouvelle pour les miséreux.
Une manière évangélique de se situer par rapport à ce qu’on possède. Personne ne se dit propriétaire. Il vend et apporte ce qu’il possède aux pieds des apôtres. Il le considère comme un don reçu gratuitement. Et le rendre fécond est la seule manière d’être reconnaissant vis-à-vis du donateur. Une manière d’imiter le Christ dans sa dépossession, sa déposition de lui-même, au lieu de garder jalousement des privilèges qu’il aurait pu revendiquer. Une manière de faire porter fruit aux talents reçus. Une manière d’être semence et de mourir en terre pour que les récoltes à venir soient abondantes.
Une manière nouvelle de regarder les autres. Non pas un regard obsédé et jaloux vers les plus forts, les plus riches, les plus doués, les plus célèbres comme des concurrents à surpasser ou à vaincre, à écraser ou à tuer pour gagner plus qu’eux, pour réussir mieux, pour monter plus haut, et pourquoi pas arriver à la perfection d’une élite. Mais au contraire, un regard attentionné vers ceux qui sont dans la misère, vers les pauvres qui ont faim, qui ont du mal à rejoindre les deux bouts, qui ne réussiront jamais, qui retombent toujours et sont à la traîne, porteurs de plaies comme le crucifié. La tentation est grande pour toute communauté de cultiver la réussite, quitte parfois à abandonner les traînards et achever les blessés.
Une manière équitable enfin d’envisager le rapport à ce que l’on a : on redistribue une part à chacun des frères au fur et à mesure de ses besoins. Le partage tient compte de la différence de situation, de capacité des uns et des autres, au fur et à mesure de ses besoins. Il y a égalité de droits entre les frères mais pas égalitarisme, nivellement, dans le partage.
Evangile selon saint Jean – Jn20, 19-31