Livre et lecture, écrit et écriture, des mots qui vont de pair. Il en est de même pour Avent et aventure. Tant de réalités humaines sont comparables à des aventures : la vie, la foi, l’amour… L’année liturgique qui commence aujourd’hui ne se conforme pas à la logique des saisons et des calendriers civils. Elle ne fête pas un éternel retour des jours et des mois, mais des boucles successives qui progressent comme des spirales orientées, d’année en année, qui inscrivent le parcours de l’humanité, et aussi le parcours personnel de chacun, dans une dynamique d’attente et d’espérance. Nous sommes tous des êtres inachevés, en marche, un pied sur le sol du passé, et l’autre en élan, en attente d’un à-venir, d’un ailleurs, en attente de quelqu’un qui est venu vers nous dans le passé et qui vient vers nous de l’avenir. Cela est vrai pour chacun et aussi pour toute l’histoire humaine. Le chemin parcouru par le peuple d’Israël et par l’Église n’est-il pas une aventure ? Les ancêtres dans la foi, les saints de l’Église d’hier et d’aujourd’hui, ne sont-ils pas des aventuriers ? Comme Abraham ils partaient sans savoir où ils allaient, et se reconnaissaient comme étrangers et voyageurs sur la terre (Hé 11, 1-16).
Chaque année liturgique ressemble à l’étape d’un voyage. Dans ce que nous avons vécu depuis l’an dernier qu’est-il « advenu » (même racine que le mot avent) de prévu et d’imprévu, de surprenant et d’inattendu ? Quels événements heureux ou malheureux nous ont obligés à redonner forme et sens à notre marche ? Durant l’année qui s’ouvre, qu’adviendra-t-il pour nous réjouir ou nous éprouver ? Chaque année liturgique nous apporte des repères pour éclairer notre route. Elle nous offre une carte et des guides qui nous rappellent d’où nous venons, par qui et pour qui nous vivons et vers qui nous sommes en marche, celui qui est, qui était et qui vient.
Nous avons le bonheur cette année de réentendre, pour les trois premiers dimanches de l’Avent, le prophète Isaïe, avec son souffle et son lyrisme. Écrits il y a plus de 2500 ans, ses messages témoignent que l’attente des hommes n’est pas d’aujourd’hui. C’est une attente qui peut se nourrir d’un bonheur : attente d’un être aimé déjà venu, d’une naissance ou d’une fête attendue. Mais c’est une attente parfois anxieuse face aux malheurs qui peuvent nous submerger ainsi que nos frères et sœurs en humanité et peut-être face à ceux qui nous menacent.
Le Livre d’Isaïe est un assemblage de textes écrits à plusieurs moments de l’histoire d’Israël par plusieurs prophètes et disciples du premier d’entre eux, puis d’autres s’inscrivant dans sa lignée. Il traverse plusieurs époques dont trois sont marquantes. Celle où Israël est menacé par l’Assyrie au 8e s. Celles de l’exil qu’il a vécu, puis de la consolation et du retour. Le texte que nous lisons aujourd’hui se trouve aux chapitres 63 et 64 à la fin du Livre. Il date d’après le retour de l’exil à Babylone. Le peuple d’Israël qui s’en était allé dans les larmes était revenu en chantant, plein de dynamisme pour reconstruire le Temple, pour mener une vie plus juste et vivre des temps nouveaux. Après la dure épreuve de l’exil, il espérait du nouveau tellement des temps meilleurs. Déception ! Il retombe dans ses erreurs et ses infidélités à la Loi. D’où désolation et supplication du prophète. Sa prière est d’une grande intensité : elle nous émeut et nous parle beaucoup aujourd’hui, en ces jours de crises sociales, politiques et spirituelles que traverse notre monde. Elle peut constituer notre prière pour tout ce temps de l’Avent dans lequel nous entrons ce dimanche.
C’est toi, Seigneur, notre père ;
« Notre-rédempteur-depuis-toujours », tel est ton nom.
Pourquoi, Seigneur, nous laisses-tu errer hors de tes chemins ?
Pourquoi laisser nos cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ?
Reviens, à cause de tes serviteurs, des tribus de ton héritage.
Nous sommes comme des gens que tu n’aurais jamais gouvernés,
sur lesquels ton nom n’est pas invoqué.
Ah ! Si tu déchirais les cieux, si tu descendais,
les montagnes seraient ébranlées devant ta face,
Voici que tu es descendu : les montagnes furent ébranlées devant ta face.
Jamais on n’a entendu, jamais on n’a ouï dire,
nul œil n’a jamais vu un autre dieu que toi agir ainsi pour celui qui l’attend.
Tu viens rencontrer celui qui pratique avec joie la justice,
qui se souvient de toi en suivant tes chemins.
Tu étais irrité, mais nous avons encore péché,
et nous nous sommes égarés.
Tous, nous étions comme des gens impurs,
et tous nos actes justes n’étaient que linges souillés.
Tous, nous étions desséchés comme des feuilles,
et nos fautes, comme le vent, nous emportaient.
Personne n’invoque plus ton nom,
nul ne se réveille pour prendre appui sur toi.
Car tu nous as caché ton visage,
tu nous as livrés au pouvoir de nos fautes.
Mais maintenant, Seigneur, c’est toi notre père.
Nous sommes l’argile, c’est toi qui nous façonnés :
nous sommes tous l’ouvrage de ta main.
Is 63, 16b-17.19b ; 64, 2b-7
Isaïe prie Dieu, non pas comme un absent perdu dans un avenir lointain et irréel, mais familièrement, comme un Père plein de tendresse. Il le supplie et l’attend non pas comme un inconnu dont on se demande s’il existe, mais comme quelqu’un qui s’est déjà fait connaître et l’accompagne en son histoire. II s’est révélé, par sa création : les hommes sont de l’argile pétrie par lui, qui est leur potier : ils sont tous l’ouvrage de ses mains. Il s’est fait connaître à Abraham pour faire Alliance avec lui puis à Moïse pour le don de la Loi. Il vient à la rencontre de tous ceux qui cherchent la justice et pratiquent le droit.
En Jésus, son Fils, Dieu s’est rendu encore plus familier dans sa relation aux hommes : il a tout partagé de leur condition et leur a fait don de son Esprit de sainteté. L’évangéliste saint Marc est notre guide cette année. Lorsque son départ approche, Jésus se compare à un homme qui part en voyage. En quittant sa maison, il donne tout pouvoir à ses serviteurs, fixe à chacun son travail et demande à ses disciples d’être vigilants pour attendre sa venue, de garder leurs portes ouvertes. Ces consignes du Christ nous concernent.
Prenez garde, restez éveillés :
car vous ne savez pas quand ce sera le moment.
C’est comme un homme parti en voyage :
en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs,
fixé à chacun son travail, et demandé au portier de veiller.
Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison,
le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ;
s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis.
Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »
Mc 13, 33-37
Que faisons-nous du programme de vie que le Christ nous a proposé ? Il nous invite à une attente active et nous confie de poursuivre son œuvre. La salutation de Paul aux Corinthiens se présente comme l’ouverture de la nouvelle année liturgique. Tout n’était pas parfait chez eux : chrétiens, certes, mais encore balbutiants, se chicanant comme des gosses, hargneux parfois jusqu’à se traîner devant les tribunaux, chapardant à l’occasion, fragiles dans leurs mœurs, flirtant d’aventure avec le paganisme, célébrant l’Eucharistie en dépit du bon sens, perplexes à l’idée de résurrection. Paul s’adresse pourtant à eux de manière fraternelle : « Aucun don spirituel ne vous manque, leur écrit-il, à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur ». C’est ainsi sous le double signe d’un don reçu de Dieu dans le Christ et d’une attente de sa révélation que les disciples de Jésus cheminent dans leur aventure de croyants. Paul les assure de la fidélité de Dieu, qui les fera tenir bon jusqu’au jour de la pleine communion de vie avec son Fils. « Frères, leur dit-il, que la grâce et la paix soient avec vous, de la part de Dieu notre Père et de Jésus-Christ le Seigneur. »
À vous, la grâce et la paix,
de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ.
Je ne cesse de rendre grâce à Dieu à votre sujet,
pour la grâce qu’il vous a donnée dans le Christ Jésus ;
en lui vous avez reçu toutes les richesses,
toutes celles de la parole et de la connaissance de Dieu.
Car le témoignage rendu au Christ s’est établi fermement parmi vous.
Ainsi, aucun don de grâce ne vous manque,
à vous qui attendez de voir se révéler notre Seigneur Jésus Christ.
C’est lui qui vous fera tenir fermement jusqu’au bout,
et vous serez sans reproche au jour de notre Seigneur Jésus Christ.
Car Dieu est fidèle, lui qui vous a appelés à vivre en communion
avec son Fils, Jésus Christ notre Seigneur.
1 Co 1, 3-9
A chaque premier jour de l’an nouveau nous formulons des vœux les uns pour les autres. Voici les miens en ce premier dimanche de la nouvelle année liturgique, une année marquée en France par des fêtes sportives mais marquées aussi dans le monde par des guerres et des violents désastres climatiques.
Que vienne la paix, Seigneur pour les peuples en guerre,
Que vienne le retour à la maison pour les exilés,
Que vienne la justice pour les victimes de toute espèce d’oppression,
Que vienne le bien-être pour ceux que torture la douleur,
Que vienne la sérénité pour les angoissés, les stressés,
Que vienne la lumière pour ceux qui sont dans le noir,
Qu’ils trouvent un emploi, un logement, des papiers d’identité
tous les exclus du travail et de la vie sociale,
Que brillent l’amour et l’amitié pour les cœurs solitaires,
Que vienne la liberté pour ceux qu’on a enfermés,
ou qui se sont enfermés eux-mêmes,
Que vienne le pardon pour ceux qui ont été offensés,
et peut-être surtout pour tous et pour chacun,
Que vienne la consolation entre des bras paternels, maternels,
ou tout simplement fraternels, pour les privés de tendresse…
Evangile selon saint Matthieu – Mt 13, 33-37