La liturgie de ce dimanche prolonge en quelque sorte la fête de tous les saints et la commémoration des défunts. Elle est aussi en accord avec le rythme des saisons, du moins dans l’hémisphère Nord où la nature s’apprête à hiverner. Saint Paul invite les Thessaloniciens à l’espérance et à la foi en la résurrection des morts.
Frères, nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance
au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ;
il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres,
qui n’ont pas d’espérance.
Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ;
de même, nous le croyons aussi, ceux qui se sont endormis,
Dieu, par Jésus, les emmènera avec lui.
Car, sur la parole du Seigneur, nous vous déclarons ceci :
nous les vivants, nous qui sommes encore là pour la venue du Seigneur,
nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis.
Au signal donné par la voix de l’archange, et par la trompette divine,
le Seigneur lui-même descendra du ciel,
et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord.
Ensuite, nous les vivants, nous qui sommes encore là,
nous serons emportés sur les nuées du ciel, en même temps qu’eux,
à la rencontre du Seigneur. Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur.
Réconfortez-vous donc les uns les autres avec ce que je viens de dire.
1 Th 4, 13-18
Les trois dimanches qui nous séparent du temps de l’Avent nous font lire le chapitre 25 de l’Évangile selon saint Matthieu qui a été notre évangéliste tout au long de cette année liturgique. C’est lui qui, à la fin de son évangile, accorde le plus de place à la fin des temps, quand viendra le jugement de Dieu. Sans doute les communautés chrétiennes de la fin du premier siècle à qui il s’adresse sont-elles encore sous le choc du saccage de Jérusalem par les romains. Les juifs et les chrétiens, – notamment ceux issus du judaïsme – considèrent qu’ils sont en train de vivre réellement la fin de leur monde, car Jérusalem était considérée comme la cité du Dieu de l’Alliance, une ville quasi-céleste et quasi-éternelle. Pour les disciples de Jésus, une fin qu’ils considèrent peut-être aussi comme la fin du monde tout court, car son retour en gloire est imminent, pensent-ils.
Deux mille ans se sont passés depuis la mort de Jésus. Le monde continue sa course. Nul ne connaît ni le jour ni l’heure de sa fin. Ce que nous savons c’est que notre monde terrestre n’est pas sans fin. Nul n’y est éternel et rien n’y est définitif. Les jours et les années ont une fin, les civilisations et les cultures, et même la terre puisque le soleil, nous disent les scientifiques, s’éteindra un jour. Comment envisager que c’est dans ce provisoire et cet éphémère que l’Esprit de Dieu façonne en l’humanité l’éternité de l’amour, et prépare le Royaume ? La parabole de Jésus réveille notre espérance en sa venue en gloire, mais nous invite ce dimanche, à ne jamais perdre de vue la finitude de notre condition ; elle nous invite à la sagesse, et nous met en garde contre une inconscience folle.
Jésus parlait à ses disciples de sa venue ; il disait cette parabole :
Le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces,
qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux.
Cinq d’entre elles étaient insouciantes, et cinq étaient prévoyantes :
les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile,
tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes, des flacons d’huile.
Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent.
Au milieu de la nuit, il y eut un cri : “Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.”
Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et se mirent à préparer leur lampe.
Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes :
“Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.”
Les prévoyantes leur répondirent :
“Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous,
allez plutôt chez les marchands vous en acheter.”
Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva.
Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces,
et la porte fut fermée.
Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent :
“Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !”
Il leur répondit : “Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.”
Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure.
Mt 25, 1-13
À partir des détails concrets de ce texte, en restant dans le ton de la parabole, on peut présenter en parallèle sagesse et folie, en forçant le trait de manière humoristique. Le sage sait prévoir. Il voit plus loin que son nez. Il tire des leçons de son passé. Il anticipe et envisage l’avenir avec ses risques, ses dangers, ses limites. Pour l’insensé ne compte que le temps présent. Il est sans mémoire et sans perspective. Ou bien, fataliste, il refuse de voir et de prévoir, et dit : c’est le destin, en ajoutant peut-être « si Dieu le veut ! ». Sur bien des points, nous vivons chaque jour les versions anciennes et modernes de ce fatalisme. Nous savons que nous allons dans le mur mais nous proclamons qu’on ne peut faire autrement. Les scientifiques parlent des milliards d’années de l’univers et considèrent que l’humanité va peut-être à sa perte à court terme, si elle continue d’épuiser et de détruire sa petite planète. Cependant, paradoxalement, ne compte pour certains qu’un temps présent qu’ils laissent s’accélérer, et ils ne cherchent qu’à s’enrichir alors que d’autres s’enfoncent dans la misère et la faim.
Prévision et prudence vont de pair pour le sage. Il sait bien que la nuit peut être longue et emporte avec lui une provision d’huile. Pour le fou, inutile de s’encombrer et de faire des réserves. Inutile de penser aux générations à venir. Il fait table rase du passé et se préoccupe peu de préparer à ses descendants une terre habitable. Il n’a d’autre mémoire que celle de ses ordinateurs et de ses tablettes. Il se voile la face devant l’avenir en proclamant : « pas de futur ». Il prend le parti de n’être que cigale et ricane face aux fourmis. Il s’est habitué à vivre aux dépens des autres, dépendant et assisté. Il se dit que les autres auront fait des provisions et qu’il pourra en profiter. Il est même capable de les injurier s’ils ne partagent pas avec lui, et ne voit pas que lui-même ne partage jamais rien. Incapable de prendre le temps de chercher le sens de sa vie, de se prendre en main. À quoi bon attendre s’il n’y a personne à l’origine et au terme de son chemin ? À quoi bon s’approvisionner en huile et garder allumée la lampe de son espérance ?
Le sage est quelqu’un dont l’esprit et le cœur sont toujours en éveil, en attente et en patience. Quand il s’endort ce n’est que d’un œil. Veilleur, il ne veut pas se laisser surprendre par le mal qui rôde en son propre cœur et autour de lui. Il garde son cœur éveillé et savoure le temps de son attente de la personne aimée. Quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, il se tient prêt. L’insensé quant à lui s’assoupit et s’endort. Sans désir et sans souci d’aucun autre que de lui-même, son attente est vide de sens, car celui qui va venir ne compte pas pour lui. La patience n’est pas son fort et son espérance est vide.
Cette parabole nous concerne tous. Si l’on peut comparer la foi à une lumière qu’entretient l’huile d’une lampe, qui peut éclairer nos nuits, nourrir notre espérance et notre amour de Dieu, il nous faut aujourd’hui compter davantage sur nous-mêmes et faire réserve d’huile. Nous venons d’un temps où la foi de l’Église et de ses dogmes suffisait pour la plupart et les dispensait de cultiver une foi personnelle. Il n’en va plus ainsi. Si nous ne veillons pas sur nos provisions d’huile baptismale et ne les renouvelons par la réflexion, la prière, la méditation de la Parole de Dieu, nous risquons d’être incapables de rendre compte de notre foi personnelle et même de laisser s’éteindre la lampe de notre amour de Dieu. Nous risquons de nous assoupir et de rater le passage de Dieu et la venue du Christ. Inutile de gémir sur la perte de sens dans un monde qui devient fou, un monde où Dieu n’a aucune place, si nous ne faisons rien pour entretenir la vitalité de notre propre foi.
Dans le texte du premier Testament nous est proposée une belle méditation ce dimanche sur l’huile précieuse de la Sagesse, dont il faut faire provision et qu’il faut rechercher de manière permanente.
La Sagesse est resplendissante, elle ne se flétrit pas.
Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l’aiment,
elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent.
Elle devance leurs désirs en se faisant connaître la première.
Celui qui la cherche dès l’aurore ne se fatiguera pas :
il la trouvera assise à sa porte.
Penser à elle est la perfection du discernement,
et celui qui veille à cause d’elle sera bientôt délivré du souci.
Elle va et vient à la recherche de ceux qui sont dignes d’elle ;
au détour des sentiers, elle leur apparaît avec un visage souriant ;
dans chacune de leurs pensées, elle vient à leur rencontre.
Sg 6, 12-16
Evangile selon saint Matthieu – Mt 25,1-13