Accueil  -  Les homélies de Père Michel Scouarnec  -  31e dimanche du temps ordinaire – 5 novembre 2023

31e dimanche du temps ordinaire – 5 novembre 2023

Nous lisons ce dimanche le commencement du chapitre 23 de l’Évangile selon saint Matthieu. Jésus y fait preuve d’une grande violence verbale, aussi dure que celle des imprécations que l’on trouve dans certains psaumes et chez certains prophètes. Autant les pauvres, les blessés de la vie, les pécheurs trouvent chez lui bon accueil, autant sa colère est violente quand il adresse des reproches aux prêtres chargés du culte dans le Temple, aux scribes qui enseignent avec rigorisme, et aux pharisiens qui méprisent le peuple. La colère de Jésus se manifeste rarement dans les Évangiles. Elle s’exprime lorsque le comportement des responsables religieux porte atteinte à l’honneur de Dieu et à celui des pauvres, des petits.

Le prophète Malachie qui vivait vers 400 avant le Christ, s’en prenait déjà très violemment aux prêtres, dont l’influence s’était agrandie à Jérusalem après le retour d’exil. Dans le Temple, ils étaient chargés essentiellement du culte mais aussi d’enseignement de la Loi.

Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement : si vous n’écoutez pas,
si vous ne prenez pas à cœur de glorifier mon nom – dit le Seigneur de l’univers –, j’enverrai sur vous la malédiction,
je maudirai les bénédictions que vous prononcerez.
Oui, je les maudis, car aucun de vous ne prend rien à cœur.
Mais vous vous êtes écartés de la route,
vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour la multitude,
vous avez détruit mon alliance avec mon serviteur Lévi.
À mon tour je vous ai méprisés, abaissés devant tout le peuple,
puisque vous n’avez pas gardé mes chemins,
mais agi avec partialité dans l’application de la Loi.
Et nous, n’avons-nous pas tous un seul Père ?
N’est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ?
Pourquoi nous trahir les uns les autres,
profanant ainsi l’Alliance de nos pères ?
Ml 1, 14b – 2, 2b.8-10

Que reproche aux prêtres le prophète ? D’avoir accommodé la pratique de la Loi à leurs manières, d’avoir fait preuve de laxisme et de négligence, d’avoir démissionné sur bien des points concernant le culte et les mœurs ; de réciter des bénédictions du bout des lèvres, vides de contenu, – bénédictions que Dieu déclare détester –, mais surtout de s’être servi de la Loi et du Culte pour leurs propres intérêts. Jésus ne sera pas plus tendre lui non plus à l’égard des prêtres de son temps, mais aujourd’hui c’est aux scribes et aux pharisiens qu’il s’en prend, leur adressant des reproches aussi cinglants que ceux de Malachie aux prêtres.

Jésus s’adressa aux foules et à ses disciples, et il déclara :
« Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse.
Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le.
Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas.
Ils attachent de pesants fardeaux,
difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ;
mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens :
ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ;
ils aiment les places d’honneur dans les dîners,
les sièges d’honneur dans les synagogues
et les salutations sur les places publiques ;
ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi.
Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi,
car vous n’avez qu’un seul maître pour vous enseigner,
et vous êtes tous frères.
Ne donnez à personne sur terre le nom de père,
car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux.
Ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres,
car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ.
Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé.
Mt 23, 1-12

Jésus reproche aux scribes et aux pharisiens trois choses : D’abord le manque de cohérence entre ce qu’ils prêchent et ce qu’ils vivent : ils disent et ne font pas. Ensuite leur soif d’afficher en public leur foi et leurs pratiques obsessionnelles de purification : ils agissent pour être remarqués, ils aiment les places d’honneurs, les titres et l’apparat, aiment se distinguer par leurs vêtements et parures. Et enfin : ils oppriment les gens en leur imposant toutes sortes de règles qui les accablent, de prescriptions qu’ils n’observent pas eux-mêmes.

Que conclure de ces deux textes ? Une remarque générale : dans les religions et dans les Églises, dans le monde politique aussi, le savoir et le pouvoir, l’obsession de perfection, le manque d’authenticité, le fait de se considérer comme étant au-dessus des lois peuvent corrompre les personnes qui exercent des responsabilités. Et cela de diverses manières : d’abord en pratiquant le laxisme envers eux-mêmes, en camouflant les exigences de la foi et de l’amour de Dieu, en se montrant tolérants devant les injustices et les inégalités. Ensuite en faisant preuve d’intransigeance vis-à-vis du peuple et surtout des petites gens, à qui ils imposent des règles impossibles à observer, qui les terrorisent, les découragent et les culpabilisent. Et par-dessus tout, en se comportant de manière hypocrite et formaliste ; ce qui contribue à vider la foi de son contenu et à réduire la pratique religieuse à un « faire-semblant ».

Bien que différents et distants de quatre siècles dans le temps de ceux de Malachie, les reproches de Jésus et ceux de Malachie se rejoignent, et nous concernent aujourd’hui encore. Mais il serait mesquin de penser qu’ils s’adressent seulement aux responsables dans l’Église : évêques, prêtres, diacres, théologiens. L’Église s’est beaucoup réformée, et nous ne sommes plus au temps des « Borgia ». On peut élargir la perspective face aux évolutions culturelles aujourd’hui. Nous vivons dans un monde massivement marqué par le laxisme par rapport à certaines valeurs : l’hypocrisie et le formalisme, le paraître, un monde qui cultive l’art du divertissement, du scepticisme et du simulacre. Être authentique n’est plus de mise chez les responsables politiques ou religieux pense-t-on. Tous sont pourris ou font semblant, dit-on. Mais ceux qui critiquent les personnes au pouvoir dans le monde ou l’Église sont-ils eux-mêmes irréprochables ?

Disciples du Christ avons-nous le courage de ses indignations face aux dérives de notre temps ? Les chrétiens se trouvent aujourd’hui face à de grands défis, et d’abord celui d’une authenticité évangélique toujours à cultiver dans la vie de leurs communautés, dans leur manière de vivre au jour le jour, dans la manière de servir les pauvres, dans la manière d’accueillir et d’accompagner les personnes qui célèbrent leurs joies et leurs épreuves. Ils ne seront jamais parfaits et sans reproches. Il leur faut accorder leurs paroles et leurs actes, annoncer la bonne nouvelle de l’Evangile mais aussi dénoncer l’injustice et la violence, être vrais et modestes. Il leur faut aussi ne pas trop rechercher le faste, les places d’honneur, les premiers rangs. Chercher avant tout à vivre de manière authentique et simple, selon les exigences de l’Évangile, surtout celles qui concernent la miséricorde, l’amour fraternel, et le service des petits et des pauvres.

Qu’ils fassent du conseil de saint Paul aux Romains une règle d’or : « N’ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer par ce qui est simple. » (Rm 12,16) Dans un monde où règnent souvent le paraître, le superficiel et l’artificiel, que leurs communautés soient une oasis de sens et d’authentique humanité et que les personnes responsables imitent non pas les pratiques des pharisiens et des scribes mais suivent l’exemple de Paul dans son rapport aux premières communautés chrétiennes, notamment celle de Thessalonique.

Frères,
Alors que nous aurions pu nous imposer en qualité d’apôtres du Christ,
au contraire, nous avons été pleins de douceur avec vous,
comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons.
Ayant pour vous une telle affection,
nous aurions voulu vous donner non seulement l’Évangile de Dieu,
mais jusqu’à nos propres vies, car vous nous étiez devenus très chers.
Vous vous rappelez, frères, nos peines et nos fatigues :
c’est en travaillant nuit et jour, pour n’être à la charge d’aucun d’entre vous,
que nous vous avons annoncé l’Évangile de Dieu.
Et voici pourquoi nous ne cessons de rendre grâce à Dieu :
quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre,
vous l’avez accueillie pour ce qu’elle est réellement,
non pas une parole d’hommes, mais la parole de Dieu
qui est à l’œuvre en vous, les croyants.
1 Th 2, 7b-9.13

Evangile selon saint Matthieu Mt 23, 1-12