Nous poursuivons ce dimanche la lecture de la lettre de Paul aux chrétiens de Thessalonique. Il insiste sur l’importance de la Parole de Dieu dans l’Église naissante. Ce qui est toujours essentiel dans les Églises d’aujourd’hui.
Vous savez comment nous nous sommes comportés chez vous pour votre bien.
Et vous-mêmes, en fait, vous nous avez imités, nous et le Seigneur,
en accueillant la Parole au milieu de bien des épreuves,
avec la joie de l’Esprit Saint.
Ainsi vous êtes devenus un modèle
pour tous les croyants de Macédoine et de Grèce.
Et ce n’est pas seulement en Macédoine et en Grèce
qu’à partir de chez vous la parole du Seigneur a retenti,
mais la nouvelle de votre foi en Dieu s’est si bien répandue partout
que nous n’avons pas besoin d’en parler.
En effet, les gens racontent, à notre sujet,
l’accueil que nous avons reçu chez vous ;
ils disent comment vous vous êtes convertis à Dieu
en vous détournant des idoles, afin de servir le Dieu vivant et véritable,
et afin d’attendre des cieux son Fils qu’il a ressuscité d’entre les morts,
Jésus, qui nous délivre de la colère qui vient.
1 Th 1, 5c-10
Paul met en relief le lien nécessaire entre l’Évangile et la personne de celui qui l’annonce. Comme Jésus, Paul transmet la Parole non pas comme une information, un message qui lui serait extérieur, mais comme un message qui le fait vivre lui-même et qui le pousse à se comporter pour le bien de ceux à qui il l’annonce. A tel point que l’accueil de la Parole s’associe, se conjugue avec l’accueil du messager et le désir de l’imiter. C’est ainsi qu’on peut dire de Jésus qu’il a été le messager de Dieu son Père et en même temps que sa personne, ses actes et sa mort ont été aussi des témoignages.
La transmission de la Parole devient le partage d’une joie et l’imitation d’un modèle de vie. Elle se concrétise de plusieurs manières : un changement de comportement chez celui qui accueille la Parole ; Il se détourne des idoles pour servir et imiter le Christ. Cette annonce et transmission de la Parole doit s’adapter aussi au contexte et aux circonstances du lieu et du moment. Paul et les premiers chrétiens vivaient dans un monde hyper-religieux, avec des croyances, des cultes, des religions qui faisaient peu de cas de la dignité humaine, du souci des pauvres, de la justice sociale. Le dynamisme chrétien va heurter de plein fouet ce monde empli de divinités, annonçant en Jésus un Dieu fait homme. En Jésus, Dieu se manifeste dans l’homme qui parle librement, qui prône le respect de toute personne humaine, qui ne fait pas de différences entre les gens.
L’accueil de la Parole d’Évangile annoncée par Paul transforme les gens qui l’accueillent. D’accueillants ils deviennent à leur tour messagers et message. Ils se considèrent comme envoyés eux aussi répercuter la Bonne nouvelle, changer les valeurs et les modes de vie. Les voilà qui deviennent « modèles pour tous les croyants », écrit Paul : « A partir de chez vous la Parole du Seigneur a retenti ». C’est l’heureuse contagion de la foi : témoignage de la grâce de Dieu, témoignage aussi de la conversion effective réalisée.
L’accueil de l’Évangile à Thessalonique s’est accompagné de dures épreuves. Dans les Actes des apôtres (17, 1-10), il est fait mention de ce qui s’y est passé et à quoi Paul fait allusion dans sa Lettre. « Les Juifs, furieux de son attitude, recrutèrent des vauriens qui traînaient dans les rues, ameutèrent la foule et semèrent le désordre dans la ville ; ils se portèrent alors sur la maison de Jason (qui était devenue celle des chrétiens), à la recherche de Paul et de Silas (son compagnon) qu’ils voulaient traduire devant l’assemblée du peuple ; ne les trouvant pas, ils traînèrent Jason et quelques frères devant les chefs politiques : ‘Ces gens qui ont soulevé le monde entier, criaient-ils, sont maintenant ici, et Jason les a accueillis. Tous ces individus agissent à l’encontre des édits de l’empereur ; ils prétendent qu’il y a un autre roi, Jésus’. Ces cris impressionnèrent la foule et les chefs politiques, qui exigèrent alors une caution de Jason et des autres avant de les relâcher. » Voilà pourquoi Paul avait quitté précipitamment Thessalonique où Jason et quelques frères avaient été faits prisonniers. Ainsi, témoigner de l’Évangile n’allait pas sans risque aux premiers temps de l’Église.
Dans l’Évangile, Jésus est mis à l’épreuve encore une fois par ses détracteurs.
Les pharisiens, apprenant qu’il avait fermé la bouche aux sadducéens,
se réunirent, et l’un d’entre eux, un docteur de la Loi,
posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve :
« Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? »
Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu
de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.
Voilà le grand, le premier commandement.
Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »
Mt 22, 34-40
Jésus a répondu à ce théologien en récitant deux passages empruntés l’un au livre du Deutéronome (6,5) et l’autre à celui du Lévitique (19,18), le « Shema Israël ». Ce récit figure dans les trois Évangiles synoptiques, mais deux expressions n’existent que dans celui de Matthieu. La première est la déclaration de Jésus : « le second commandement est semblable au premier ». Ainsi, celui qui dit aimer Dieu et n’aime pas son frère est un menteur, comme l’a écrit saint Jean. La seconde indique que le fondement du grand commandement est double. Non seulement il se fonde sur la Loi comme l’a dit le Docteur qui l’enseigne, mais aussi – ajoute Jésus – sur la parole des « prophètes » qui ne se sont pas privés de dénoncer les dérives en ce qui concerne la manière de pratiquer la Loi. Voilà le caractère nouveau de l’enseignement de Jésus. Pas de réaction du pharisien, pas de prolongement non plus de la part de Jésus. En somme, tout est dit.
Aujourd’hui encore et pour toujours, rien n’est aboli de ces deux commandements. Le « tu aimeras » concerne dans un même mouvement, une même cohérence, trois partenaires : Dieu, le prochain, soi-même. Pas d’amour de Dieu sans amour du prochain, et pas d’amour du prochain sans amour de soi-même. “Commence en toi-même l’œuvre de paix” disait saint Ambroise. S’aimer non pas en aimant une image rêvée de soi-même, dans un miroir comme Narcisse. S’aimer comme on est aimé de Dieu, se regarder en vérité, avec son étonnement d’être, ses limites, son péché, ses ambiguïtés. S’accepter comme on est, se regarder soi-même avec miséricorde, pour pouvoir accepter les autres tels qu’ils sont, les regarder comme le Père du ciel les regarde, les aimer et leur pardonner.
Être chrétien pour chacun se résume ainsi en deux phrases à graver en son esprit, et surtout à vivre par le cœur et les mains et pas seulement les méninges. C’est la clé pour comprendre tout le reste. Les autres commandements, les dogmes et le droit, les convictions et les émotions, tout est soumis à l’amour. Non pas l’amour à l’eau de rose, les bons sentiments passagers, ou les débordements de l’affectivité. Mais l’amour qui est un engagement coûteux de sa personne. Le texte de l’Exode que la liturgie nous propose, annonçait déjà tout cela. Il explicite ce que veut dire aimer son prochain : ce qu’il exprime est toujours d’actualité. Quand Moïse transmettait au peuple les lois du Seigneur, il disait :
Tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas,
car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Égypte.
Vous n’accablerez pas la veuve et l’orphelin.
Si tu les accables et qu’ils crient vers moi, j’écouterai leur cri.
Ma colère s’enflammera et je vous ferai périr par l’épée :
vos femmes deviendront veuves, et vos fils, orphelins.
Si tu prêtes de l’argent à quelqu’un de mon peuple,
à un pauvre parmi tes frères,
tu n’agiras pas envers lui comme un usurier :
tu ne lui imposeras pas d’intérêts.
Si tu prends en gage le manteau de ton prochain,
tu le lui rendras avant le coucher du soleil.
C’est tout ce qu’il a pour se couvrir ;
c’est le manteau dont il s’enveloppe,
la seule couverture qu’il ait pour dormir.
S’il crie vers moi, je l’écouterai, car moi, je suis compatissant !
Ex 22, 20-26
Dans l’Évangile de Matthieu, Jésus approche de sa Passion quand il dit “Tu aimeras”. Il dit la Parole et il la vit. Il ira jusqu’au bout de l’amour, de son engagement au service de son prochain, c’est-à-dire de tout être humain sans exclusive. Il aimera jusqu’à mourir, jusqu’à donner sa vie pour ses ennemis, ses bourreaux, ses juges. Voilà le nouveau modèle d’humanité que Dieu vient vivre dans le monde des hommes.
Une humanité qui se dégrade de manière saisissante en ces temps de guerre, de haine, de destructions, de massacres. Des actes d’horreurs accomplis par des peuples ennemis qui trahissent les lois de leur Dieu clément et miséricordieux, et prétendent agir en son nom.
Evangile selon saint Matthieu – Mt 22, 34-40