Joseph, le père terrestre de Jésus, était charpentier. Mais son Père du ciel, Jésus le présente souvent comme un vigneron. Dans la parabole brève de ce dimanche qui prolonge celle de dimanche dernier, il s’agit encore en effet de personnes qui vont travailler à une vigne. La parabole du chapitre 21 en saint Matthieu commence ainsi : “Un homme avait deux fils”. Ce qui rappelle le commencement d’une autre parabole dans le chapitre 15 en saint Luc. On peut d’ailleurs faire des rapprochements entre les messages des deux textes.
Jésus disait aux chefs des prêtres et aux anciens :
Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils.
Il vint trouver le premier et lui dit :
“Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.”
Celui-ci répondit : “Je ne veux pas.” Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla.
Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière.
Celui-ci répondit : “Oui, Seigneur !” et il n’y alla pas.
Lequel des deux a fait la volonté du père ? »
Ils lui répondent : « Le premier. » Jésus leur dit : « Amen, je vous le déclare :
les publicains et les prostituées vous précèdent dans le royaume de Dieu.
Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice,
et vous n’avez pas cru à sa parole ;
mais les publicains et les prostituées y ont cru.
Tandis que vous, après avoir vu cela,
vous ne vous êtes même pas repentis plus tard pour croire à sa parole.
Mt 21, 28-32
Cette parabole s’adresse aux responsables religieux, les chefs des prêtres et aux anciens. Dans lequel des deux fils se reconnaissent-ils ? Dans le premier, répondent-ils. Cependant Jésus leur reproche de se conduire comme le second. Il associe le peuple d’Israël à ce fils qui, le premier, a dit oui à l’Alliance proposée par Dieu, mais qui ne reconnaît pas en sa personne le Fils, qui vient accomplir l’Alliance nouvelle qu’avaient annoncée les prophètes (Jr 31, 31-33 ; Éz 36, 26-28). Les responsables religieux refusent d’accorder crédit à son enseignement. Dans la parabole de dimanche dernier, Jésus les associait de même aux ouvriers de la première heure, reprochant au maître de la vigne sa bonté pour les derniers embauchés. De même, encore en saint Luc, Jésus déclarait aux pharisiens et aux scribes qu’ils ressemblaient au fils aîné qui avait toujours dit oui à son père, mais trouvait insupportable l’accueil que faisait celui-ci à son frère prodigue, « qui avait dévoré son bien avec des prostituées » (Lc 15, 30). Ce fils avait dit non et s’en était allé, mais ensuite il s’était converti et était revenu vers son Père.
Jésus a dit souvent qu’il est venu pour les pécheurs qui se convertissent, plus que pour ceux qui se disent justes et n’ont pas besoin de conversion. Comment se prétendre juste si l’on ne pratique pas la miséricorde ? Par fidélité à Dieu, les chefs religieux d’Israël estiment que les ouvriers embauchés à la première heure ayant peiné tout le jour, méritent meilleur salaire que les autres. Par fidélité à Dieu, ils pensent que le Père devrait refuser le pardon à son fils prodigue, car celui-ci s’est comporté de façon immorale. Ils pensent qu’ils sont le peuple élu et donc préféré de Dieu et qu’ils méritent de ce fait d’être toujours et pour toujours, premiers bénéficiaires de ses faveurs et de sa bienveillance. Ils considèrent ainsi comme infidèles et exclus de l’Alliance, les païens et les pécheurs. C’est sûrement parce qu’il a péché, lui ou ses parents, que cet homme est aveugle-né, pensent les disciples de Jésus.
De manière provocante, Jésus remet en cause cette manière de voir, par ses prises de position, et surtout par sa pratique. Il se rend proche des personnes qui souffrent ou sont rejetées, et il les guérit. Il proclame qu’ils sont prioritaires dans le cœur de Dieu. Eux qui, devant lui, se considéraient ou que l’on considérait comme des pécheurs, des « ayant-dit-non », se sont convertis et ont dit oui à sa miséricorde. Ils étaient considérés comme derniers, les voilà premiers.
Jésus invite les chefs des prêtres et les anciens à porter sur Dieu un autre regard et à ne pas l’emprisonner dans la rigidité d’une tradition intransigeante. Leur mépris et leur sévérité pour les pécheurs, leur manière de juger et de condamner les gens à partir de leurs prescriptions formalistes, trahissent le Dieu de l’Alliance. Le présentant comme un justicier sans cœur et sans pitié, ils se croient fidèles, alors qu’ils défigurent son visage de miséricorde et de bonté sans limite. De ce fait ils se considèrent comme dispensés de se convertir, et leur manière de croire les rend incapables de reconnaître Jésus comme le Messie, fidèle au Père de miséricorde dont il accomplit les œuvres. Jésus va jusqu’à leur dire avec violence que l’orientation de leur foi est moins juste que celle des publicains et même des prostituées. « Mes pensées ne sont pas les vôtres », disait Dieu par la voix d’Isaïe. Par celle d’Ézéchiel, ce dimanche, son message est le même :
Et pourtant vous dites : “La conduite du Seigneur n’est pas la bonne”.
Écoutez donc, fils d’Israël : est-ce ma conduite qui n’est pas la bonne ?
N’est-ce pas plutôt la vôtre ?
Si le juste se détourne de sa justice, commet le mal, et meurt dans cet état,
c’est à cause de son mal qu’il mourra.
Si le méchant se détourne de sa méchanceté
pour pratiquer le droit et la justice, il sauvera sa vie.
Il a ouvert les yeux et s’est détourné de ses crimes.
C’est certain, il vivra, il ne mourra pas, il vivra.
Éz 18, 25-28
Quelques conclusions à retirer du message de Jésus. D’abord celle-ci : rien n’est jamais acquis pour les croyants, pour les Églises. Ce n’est pas parce qu’on est le peuple choisi ou l’Église du Christ, qu’on a toujours raison et qu’on n’a pas à se remettre en cause. Ce n’est pas parce qu’on est puriste, intransigeant, toujours en règle avec les lois qu’on est forcément proche de Dieu. Jésus dit qu’il a trouvé chez les publicains et les prostituées davantage d’humanité, davantage d’ouverture à la tendresse de Dieu, davantage de disponibilité pour accueillir sa parole et se convertir que chez les chefs des prêtres et les anciens. Quelle audace, non seulement de langage mais de comportement à leur égard ! Quelle parole dure à entendre pour eux, qui pensent être en règle avec la Loi et veulent tuer Jésus pour rendre gloire à Dieu !
Une leçon aussi pour tous : ce n’est pas parce qu’on a dit oui un jour, qu’on est débarrassé d’avoir à le dire et le redire chaque jour. Et ce n’est pas parce qu’on a dit non, qu’on ne dira pas oui un jour à venir. Et puis encore ceci : « à quoi a-t-on dit oui ? » Ainsi formulée, cette question peut conduire à enfermer Dieu d’une double manière. On peut le réduire à n’être que le fondateur d’une Loi et de prescriptions. De plus on peut le considérer comme étant seulement le Dieu d’un peuple « élu » à l’exclusion des autres, d’une religion, d’une Église, hors desquelles il n’est point de salut. Mieux vaut formuler autrement la question et se demander « à qui on a dit oui ? » Les disciples de Jésus l’ont suivi et lui ont dit oui. Mais plus tard, ils n’ont pas compris sa marche vers son procès et sa mort : ils ont dit non et se sont enfuis. Puis, de nouveau ils ont dit oui après sa résurrection. Ils sont revenus vers lui et sont devenus messagers de son Évangile. Comme quoi, on peut s’illusionner quand on dit oui, et aussi se convertir après avoir dit non.
Une autre leçon encore : il est bon de se garder des condamnations péremptoires et définitives et de laisser à tous une chance de conversion. Mieux vaut espérer en chacun car Dieu ne désespère jamais en lui. Ce que nous dit cet Évangile pourrait se formuler ainsi : ceux qui parlent de Dieu avec vantardise, dureté, suffisance, peuvent impressionner, mais ils ne sont pas forcément les plus proches de lui et de son royaume, et n’auront aucun passe-droit au jour du jugement. Ils se disent clairvoyants mais ne voient le monde qu’avec leurs œillères. Les publicains et les pécheurs ne les précèdent pas dans le Règne de Dieu parce qu’ils sont publicains ou pécheurs, mais parce qu’ils acceptent de changer de conduite et de point de vue, quand ils écoutent le Christ, frère et sauveur de tout être humain. Saint Paul recommande aux Philippiens d’imiter les sentiments et l’attitude du Christ.
S’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres,
si l’on s’encourage avec amour, si l’on est en communion dans l’Esprit,
si l’on a de la tendresse et de la compassion,
alors, pour que ma joie soit complète, ayez les mêmes dispositions,
le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité.
Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux,
mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes.
Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ;
pensez aussi à ceux des autres.
Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus :
Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu.
Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect,
il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix.
C’est pourquoi Dieu l’a exalté :
il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom,
afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers,
et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.
Ph 2, 1-11
Evangile selon saint Matthieu – Mt21, 28-32