En prolongement à l’exposition qui se tient actuellement en l’église ND de la Mer à Bénodet jusqu’au 15 août (entrée libre, église ouverte tous les jours de 10:30 à 18 h) et qui se poursuivra à Crozon jusqu’au 31 août consacré aux « Justes parmi les Nations »,
nous vous proposons l’article publié par le président de l’AJCF (Association judéo-chrétienne de France).
Le 16 juillet est chaque année l’occasion de faire mémoire des souffrances indicibles vécues par les juifs en rappelant les conditions de la rafle du Vel’ d’Hiv les 16 et 17 juillet 1942, et de souligner comme l’avait voulu le Président Jacques Chirac, l’action des Justes parmi les Nations. Il y a un an mon éditorial leur rendait hommage comme précurseurs de l’Amitié entre les juifs et les chrétiens, que Jules Isaac voulut concrétiser et faire vivre au lendemain de la guerre. Il est temps de rendre hommage à une de ces femmes anonymes, reconnue comme Juste par l’Institut de Yad Vashem en 1988, Germaine Bocquet, car elle joua un rôle majeur dans l’histoire de l’Amitié Judéo-Chrétienne, en ayant caché et donc sauvé Jules Isaac.
Jules Isaac commença sa vie de réprouvé en décembre 1940, lorsque, inspecteur général d’Histoire, il fut destitué par le gouvernement de Vichy en application du Statut des Juifs du 3 octobre 1940. Il se retira alors à Aix-en-Provence où il avait des amis. L’invasion de la zone dite libre par les Allemands, l’amène à une première itinérance, notamment à Saint-Agrève (Ardèche), puis au Chambon-sur-Lignon, où son fils Daniel enseignait au Collège Cévenol fondé par les pasteurs André Trocmé et Édouard Theis. Il rejoignit Riom en 1943, pour être plus près de sa fille Juliette et aussi de Clermont-Ferrand, centre universitaire où l’université de Strasbourg avait été repliée, où il pensait trouver les ouvrages indispensables à son travail.
Sa famille fut arrêtée à Riom le 7 octobre 1943. Son épouse Laure, sa fille Juliette, son fils Jean-Claude, son gendre Robert Boudeville furent déportés aussitôt. Seul Jean-Claude devait survivre.
Jules Isaac qui avait échappé par hasard à l’arrestation, trouva divers refuges, d’abord dans les environs de Riom, puis à Royat près de Clermont-Ferrand, enfin dans une ferme dans le Berry, auprès de Germaine Bocquet. Originaire de Brive-la-Gaillarde, celle-ci s’était engagée dans la Résistance dès le début de l’Occupation, dans le réseau d’Edmond Michelet, comme agent de liaison. Elle s’employait aussi à cacher des juifs, à leur fournir des faux-papiers et des familles d’accueil à Limoges et à Toulouse. Cheftaine scoute, elle profita de camps organisés dans les Alpes pour faire passer des enfants en Suisse par le col de Balme à plus de 2000 mètres d’altitude. Lorsqu’Edmond Michelet fut arrêté en février 1943, elle se réfugia à Clermont-Ferrand. Elle fut chargée d’accueillir Jules Isaac à la campagne, près d’Issoudun, dans la ferme de Prault de sa grand-mère, puis à la suite d’une alerte, dans le petit village de Levroux dans l’Indre, grâce à sa belle-famille.
Germaine Bocquet fait partie des Français qui, par leur générosité et leur courage, ont sauvé l’honneur de la France et contribué à enrayer la machine de mort du nazisme.
Surtout, en cachant Jules Isaac, en lui permettant de continuer à travailler dans la clandestinité à son manuscrit qui devait aboutir à Jésus et Israël, comme Laure le lui avait recommandé dans un billet envoyé de Drancy, Germaine Bocquet fut un élément déterminant sans le savoir de l’œuvre de réconciliation de Jules Isaac. Elle lui fournissait des livres qu’elle pouvait trouver notamment à la bibliothèque du couvent d’Issoudun ; Elle fut aussi sa première lectrice, découvrant ainsi à travers le travail d’historien de son protégé, les racines chrétiennes de l’antisémitisme et elle prit conscience des conséquences de « l’enseignement du mépris ». Ce fut pour elle une découverte douloureuse. Il lui lisait les pages qu’il rédigeait, tout en se préoccupant de ne pas la choquer : « Cela ne heurte-t-il pas trop votre conscience chrétienne ? N’ai-je pas la dent trop dure ? » (Voir le témoignage de Germaine Bocquet, « Jules Isaac dans la clandestinité », Cahiers de l’Association des amis de Jules Isaac, vol. III, Témoignages, Aix-en-Provence, 1981).
Au sortir de la clandestinité à la Libération, Jules Isaac fut dès 1947, l’âme de la Conférence de Seelisberg. En 1948, il fonda l’Amitié Judéo-Chrétienne de France, et la même année il publia le livre qui allait secouer les consciences chrétiennes, Jésus et Israël.
Jean-Dominique Durand
Président de l’AJCF