Sous les voûtes des églises bretonnes résonnaient naguère les paroles d’un cantique breton, malheureusement oublié. Eurus an hini a garo Doue euz e holl galon hag e holl ene ; An den a blijo da Zoue on Tad a zo diouallet ha diouallet mad. Ce chant de nos ancêtres dans la foi s’inspire des psaumes et de l’Évangile. « Heureux celui qui aimera Dieu de tout son cœur et de toute son âme. Celui qui fera la joie de Dieu notre Père est gardé et bien gardé. » C’est aussi ce que saint Paul écrivait aux Romains à sa manière.
Frères,nous le savons, quand les hommes aiment Dieu,
lui-même fait tout contribuer à leur bien,
puisqu’ils sont appelés selon le dessein de son amour.
Ceux que, d’avance, il connaissait,
il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils,
pour que ce Fils soit le premier-né d’une multitude de frères.
Ceux qu’il avait destinés d’avance, il les a aussi appelés ;
ceux qu’il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu’il a rendus justes,
il leur a donné sa gloire.
Que dire de plus ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?
Rm 8, 28-30
Pas de plus grand trésor au monde, pas de perle plus précieuse et pas de filet de pêche plus efficace que l’amour de Dieu, proclame Jésus dans les trois brèves paraboles de ce dimanche.
Le royaume des Cieux est comparable à un trésor caché dans un champ ;
l’homme qui l’a découvert le cache de nouveau.
Dans sa joie, il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète ce champ.
Ou encore : Le royaume des Cieux est comparable
à un négociant qui recherche des perles fines.
Ayant trouvé une perle de grande valeur,
il va vendre tout ce qu’il possède, et il achète la perle.
Le royaume des Cieux est encore comparable
à un filet que l’on jette dans la mer, et qui ramène toutes sortes de poissons.
Quand il est plein, on le tire sur le rivage, on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien.
Ainsi en sera-t-il à la fin du monde :
les anges sortiront pour séparer les méchants du milieu des justes
et les jetteront dans la fournaise :
là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. »
« Avez-vous compris tout cela ? » Ils lui répondent : « Oui ».
Jésus ajouta :
« C’est pourquoi tout scribe devenu disciple du royaume des Cieux
est comparable à un maître de maison
qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien. »
Mt 13, 44-52
Ces paraboles sont bâties sur le même modèle, et leur message est le même : pour se donner un projet de vie, il est recommandé de discerner, de trier avant de choisir et de retenir le meilleur. Et le meilleur des trésors, la plus belle des perles, c’est Dieu et son Royaume qui méritent d’être aimés et recherchés par-dessus tout. Le Royaume des cieux mérite que l’on vende tout ce qu’on possède pour vivre à sa recherche. Rien ne peut lui être comparé, rien ne peut être mis en concurrence avec lui. Et Jésus lui aussi, en qui se réalise le Royaume, déclare – nous l’avons entendu les dimanches précédents-, qu’il mérite qu’on laisse tout pour le suivre. Non pas pour s’évader du monde et de ses réalités, mais pour les situer comme lui à leur juste place.
Remarquons que l’homme de la parabole achète le champ où se trouve caché le trésor mais ne le revend pas pour en tirer profit. Remarquons aussi qu’une perle est un objet matériel, un caillou qui de soi est sans valeur marchande et sans valeur d’usage. La perle ne sert à rien d’autre qu’au plaisir de la contempler et ne vaut que par sa beauté, sa brillance, sa rareté, semblable à la personne que l’on aime, la perle rare que l’on a rencontrée et à qui on veut l’offrir.
Ainsi en va-t-il de Dieu qui est amour total et gratuit, incompatible avec des perspectives d’utilité, de commerce ou de profit. Justement, bâtir un projet de vie uniquement sur l’intérêt, le profit, l’exploitation des autres, voilà le mauvais choix. Voilà ce qu’il faut rejeter à la mer. Voilà qui empoisonne une vie et éloigne de Dieu.
La parabole parle d’un trésor qui se trouve caché dans un champ. La Fontaine – encore lui ! – a repris cette image dans la fable du laboureur et de ses enfants. Il parle aussi d’un trésor qu’ont légué les ancêtres. Ils ont labouré, creusé, fouillé, bêché… mais n’ont rien trouvé. Ils cherchaient peut-être de l’argent, alors que le trésor c’était le goût du travail. Pour la foi il en va de même. Croire c’est cultiver le goût de croire et de chercher Dieu. On ne tient sur un vélo qu’en roulant, sinon on tombe. Il en va de même pour la foi et l’amour. Ils n’existent qu’en s’exerçant, et ne s’usent que si l’on ne s’en sert pas, contrairement à une certaine pile ! La foi est une marche sans fin, une recherche perpétuelle de Dieu, une soif amoureuse et une faim de lui que rien ne peut assouvir. Ne ressemblons pas au père dont parle Jacques Brel dans une de ses chansons : « Mon père était un chercheur d’or. L’ennui, ajoute-t-il, c’est qu’il en a trouvé ». Inspirons-nous aussi de ce qu’a écrit saint Augustin : Cherchons Dieu et l’ayant trouvé, cherchons-le encore et encore. Inspirons-nous aujourd’hui de la prière de Salomon, la prière par excellence de ceux qui exercent des responsabilités politiques.
À Gabaon, pendant la nuit, le Seigneur apparut en songe à Salomon.
Dieu lui dit : « Demande ce que je dois te donner. »
Salomon répondit : « Tu as traité ton serviteur David, mon père,
avec une grande fidélité, lui qui a marché en ta présence dans la loyauté,
la justice et la droiture de cœur envers toi.
Tu lui as gardé cette grande fidélité,
tu lui as donné un fils qui est assis maintenant sur son trône.
Ainsi donc, Seigneur mon Dieu, c’est toi qui m’as fait roi, moi, ton serviteur,
à la place de David, mon père ; or, je suis un tout jeune homme, ne sachant comment se comporter, et me voilà au milieu du peuple que tu as élu ;
c’est un peuple nombreux, si nombreux qu’on ne peut ni l’évaluer ni le compter.
Donne à ton serviteur un cœur attentif
pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal ;
sans cela, comment gouverner ton peuple, qui est si important ? »
Cette demande de Salomon plut au Seigneur, qui lui dit :
Puisque c’est cela que tu as demandé, et non pas de longs jours,
ni la richesse, ni la mort de tes ennemis,
mais puisque tu as demandé le discernement,
l’art d’être attentif et de gouverner,
je fais ce que tu as demandé : je te donne un cœur intelligent et sage,
tel que personne n’en a eu avant toi et que personne n’en aura après toi.
1 R 3, 5.7-12
Comme dimanche dernier, nous est encore confiée dans le chapitre 13 de saint Matthieu une clé qui ressemble à une toute petite parabole. Elle ne concerne plus le Royaume des cieux, mais les « théologiens » appelés à devenir ses disciples qui tirent de leur trésor du neuf ou de l’ancien.
Dans sa première parabole, Jésus s’est présenté comme le semeur. Il se présente en conclusion de ses récits symboliques comme un maître de maison tirant de son trésor du neuf et de l’ancien. Mais de quel trésor parle-t-il ? Du plus précieux que nous ont livré nos anciens. Celui de leur fidélité à la vraie tradition. Celui de leur ingéniosité, de leur manière de faire face aux circonstances nouvelles et parfois difficiles de leur vie. Mais aussi de leur foi dans laquelle ils ont puisé des ressources pour réparer, aménager, bricoler, inventer, en prenant parfois de grands risques. Les solutions qu’ils trouvaient, nous n’avons pas forcément à les reproduire aujourd’hui, car les circonstances où nous vivons sont nouvelles, particulières. Le trésor de notre foi est le même que le leur. Mais il ne dort pas dans des coffres bancaires, dans une bibliothèque aux rayons poussiéreux, assorti de soi-disant « codes » secrets, soi-disant détenus par des mystificateurs tirant profit de lecteurs en recherche de rêves.
Jésus parle de la manière dont il perçoit lui-même sa mission prophétique et dont il conçoit celle de quiconque a la charge d’étudier et d’enseigner. Il parle d’un scribe devenu disciple du Royaume des cieux. Deux termes intéressants. Le scribe a fait des études. Il est spécialiste de la connaissance des Écritures C’est un intellectuel ou un théologien qui sait et enseigne. Le disciple, quant à lui, est à l’écoute d’un maître. Il le suit sur son chemin de vie et de sagesse. Il apprend de lui à chercher Dieu, à vivre selon les critères du bonheur dans le Royaume de Dieu. Ce qui pour lui est premier ce n’est pas l’acquisition d’un savoir ou l’explication des dogmes. Ce qui lui importe avant tout c’est la relation à son maître qu’il respecte, qu’il aime et qu’il choisit d’imiter.
Ce qui caractérise le disciple du Christ c’est le choix de le suivre sur son chemin d’humanité, sur sa relation à son Père, sur sa manière de vivre la vérité, le pardon, le respect de tous, et prioritairement des petits et des pauvres. On doit être bon disciple pour devenir un bon théologien, et l’on doit se comporter d’abord comme disciple et le devenir si l’on est théologien. On doit être bon enseignant, prêtre, catéchiste pour les autres mais on doit être d’abord disciple avec eux.
La deuxième remarque concerne la manière chrétienne d’enseigner, d’être un bon scribe. Elle consiste à concevoir sa mission non comme celle d’un professeur, mais comme celle d’un maître ou d’une maîtresse de maison qui tire de son trésor du neuf ou de l’ancien. C’est ainsi que Jésus conçoit lui-même sa mission.
Ne sommes-nous pas aujourd’hui les uns et les autres, maîtres et maîtresses de la maison Église ? Et notre trésor n’est-il pas l’Évangile ? Un trésor que nous ont légué nos anciens dans la foi, un patrimoine d’une richesse sans prix. Mais ce trésor n’est pas seulement une tradition figée et morte de pratiques de ce qui est « ancien », de règles morales, de croyances immuables, mais une tradition vivante qui crée du « neuf ». Un trésor du cœur et de la foi. Il s’appelle l’amour de Dieu et de son Royaume. A notre tour d’être de fidèles disciples, de bons scribes et surtout d’ingénieux et créatifs maîtres et maîtresses de maison à l’exemple du Christ pour faire le bonheur de notre propre famille et de toute la famille humaine.
Evangile selon saint Matthieu, Mt13, 44-52