Après les avoir envoyés en mission, Jésus donne aux Douze des conseils rudes et sévères. Il s’inscrit dans la lignée des prophètes qui s’expriment parfois de manière tranchante dans la Bible. En d’autres circonstances leurs propos se montrent heureusement plus doux. C’est le cas pour Jésus.
Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ;
celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi ;
celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi.
Qui a trouvé sa vie la perdra ;
qui a perdu sa vie à cause de moi la gardera.
Qui de nous peut s’estimer digne d’être disciple de Jésus, après avoir entendu ses premières déclarations, s’il les prend au pied de la lettre ? Cependant, ce qu’il déclare et recommande aux Douze, il a choisi lui-même de l’accomplir pour donner priorité absolue à la mission reçue de son Père. Jésus lui-même demande d’aimer ses parents plus que lui. Il ne demande pas de ne plus aimer ses parents, mais de les aimer comme lui a aimé son père, sa mère, sa famille. Et parfois de s’éloigner d’eux pour une vocation et un service majeurs. C’est le sens de l’expression « plus que moi ». C’est surtout aimer les plus petits, comme il a su les aimer. L’aimer plus que nos proches ne veut pas dire n’aimer que lui, comme on a pu le chanter, mais les aimer en fidélité à son Esprit. Cependant le choix de suivre le Christ peut s’avérer redoutable et conduire comme lui jusqu’au don de son corps brisé et de son sang versé. On comprend mieux l’Évangile de ce dimanche si on lit les trois versets qui le précèdent et si on se rappelle le contexte des premiers temps de l’Église. « Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive. Oui, je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère : on aura pour ennemis les gens de sa propre maison. »
Lorsque Matthieu écrivait son Évangile, le choix de suivre le Christ et d’être baptisé pouvait entraîner pour les chrétiens dans leur milieu social, des ruptures douloureuses avec leur famille, leur entourage, la religion de leurs communautés. Leur manière de parler de Dieu et de vivre des valeurs humaines était tellement différente de celles de leur culture environnante, qu’elle soit juive ou païenne ! Ils pouvaient être amenés à s’opposer à leurs parents, en ce qui concernait les croyances, le culte, et aussi les rapports humains, notamment la dignité de tous, le respect des plus petits, les rapports homme-femme, maître-esclave. Aujourd’hui encore, en certains pays où n’existe pas la liberté religieuse, les chrétiens partagent en quelque sorte le destin du Christ, parfois jusqu’à la mort.
Saint Paul présente aux Romains le baptême comme une mort pour une vie nouvelle, à l’image de celle du Christ qui a été décrié et rejeté lui-même par les notables religieux de son temps, les gens de Nazareth et même par sa famille.
Ne le savez-vous pas ?
Nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jésus,
c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême.
Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort,
nous avons été mis au tombeau avec lui,
c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi,
comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père,
est ressuscité d’entre les morts.
Car, si nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne,
nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne.
Nous le savons : l’homme ancien qui est en nous a été fixé à la croix avec lui
pour que le corps du péché soit réduit à rien, et qu’ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché.
Car celui qui est mort est affranchi du péché.
Et si nous sommes passés par la mort avec le Christ,
nous croyons que nous vivrons aussi avec lui.
Nous le savons en effet : ressuscité d’entre les morts,
le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui.
Car lui qui est mort, c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes ;
lui qui est vivant, c’est pour Dieu qu’il est vivant.
De même, vous aussi, pensez que vous êtes morts au péché,
mais vivants pour Dieu en Jésus Christ.
Rm 6, 3-4, 8-11
Dans la suite du récit de l’Évangile, Jésus change de ton. Il s’adresse à ceux qu’il envoie en mission et leur dit comment se présenter aux personnes qu’ils rencontrent. Il souligne l’importance de bien vivre l’accueil mutuel.
Qui vous accueille m’accueille ;
et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé.
Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète
recevra une récompense de prophète ;
qui accueille un homme juste en sa qualité de juste
recevra une récompense de juste.
Et celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche,
à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis :
non, il ne perdra pas sa récompense. »
Mt 10 37-42
Jésus emploie six fois le verbe « accueillir ». C’est dire l’importance qu’il lui donne. Pour faire preuve d’une totale disponibilité il est nécessaire de vivre un détachement dans ses relations, vient-il de déclarer. Pour les disciples de Jésus l’accueil doit être une attitude spirituelle première. Un accueil ouvert à tous et non pas réservé à quelques-uns. Tout au long des Évangiles il s’est montré accueillant et bienveillant envers tous et en particulier les malades, les pécheurs. Envers ceux qui étaient mal accueillis, voire rejetés par les responsables religieux, parce qu’ils n’observaient pas toutes les prescriptions de la Loi. Saint Paul écrira lui aussi : « Soyez accueillants les uns pour les autres comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu ». (Rm 15, 5-7) Il doit être mutuel et se manifester de manière réciproque. Les Églises doivent toujours s’interroger sur leur pratique de l’accueil des personnes dans tous les domaines.
Jésus semble faire la leçon à tous ceux qui exercent une responsabilité dans les communautés chrétiennes naissantes. S’ils se comportaient un peu plus en disciples et moins comme des maîtres, des gens supérieurs, ils seraient mieux accueillis par les petits. Dans le texte, Jésus met en parallèle trois catégories de personnes qui exercent des responsabilités religieuses : les prophètes, les justes, les docteurs. Que tous se méfient de ne s’accueillir qu’entre personnes de même rang, de se prendre pour des castes à part, pour des maîtres, de parler leur langue de bois, et de ne plus se considérer comme des disciples en situation d’égalité fraternelle avec tous.
Jésus donne une clé pour comprendre à quel signe on peut se reconnaître comme son disciple. Lorsqu’un inconnu, quel que soit son statut social ou religieux, tout simplement parce qu’il est en présence d’un frère ou d’une sœur en humanité, si petits, si modestes soient-ils, leur donne un verre d’eau fraîche, les reconnaissant comme disciples à égalité avec lui, ils sont tous deux dans la vérité de l’être chrétien. N’être qu’un disciple qui partage avec un autre disciple, voilà le signe par excellence. Toute notre vie nous sommes appelés à rester modestement des disciples, quels que soient notre rang, notre pouvoir, nos talents, nos richesses. Vivre à la suite du Christ, sans jamais nous comporter comme des maîtres, des seigneurs à la manière du monde, sans jamais faire sentir une quelconque supériorité venant de notre statut dans l’Église et le monde, de notre pouvoir ou de notre savoir, pour ne pas être disqualifiés au regard de l’Évangile. Toujours nous accueillir fraternellement.
Saint Augustin avait bien compris cela quand il disait à propos de son ministère d’évêque : « Nous vous gardons selon le devoir de notre charge, mais nous voulons être gardés par vous (on pourrait remplacer le verbe « garder » par le verbe « accueillir »). Nous sommes vos pasteurs, mais nous sommes avec vous les brebis de ce Pasteur. De notre place, nous sommes pour vous comme des maîtres, mais sous le Maître, nous sommes avec vous des disciples à son école. »
La première lecture nous raconte une belle histoire d’accueil.
Un jour, Élisée passait à Sunam ;
une femme riche de ce pays insista pour qu’il vienne manger chez elle.
Depuis, chaque fois qu’il passait par là, il allait manger chez elle.
Elle dit à son mari :
« Écoute, je sais que celui qui s’arrête toujours chez nous
est un saint homme de Dieu.
Faisons-lui une petite chambre sur la terrasse ;
nous y mettrons un lit, une table, un siège et une lampe,
et quand il viendra chez nous, il pourra s’y retirer. »
Le jour où il revint, il se retira dans cette chambre pour y coucher.
Puis il dit à son serviteur : « Que peut-on faire pour cette femme ? »
Le serviteur répondit : « Hélas, elle n’a pas de fils, et son mari est âgé. »
Élisée lui dit : « Appelle-la. »
Le serviteur l’appela et elle se présenta à la porte.
Élisée lui dit : « À cette même époque,
au temps fixé pour la naissance, tu tiendras un fils dans tes bras. »
2 R 4, 8-11, 14-16
Une femme riche et sans enfant accueille chez elle Élisée, un prophète itinérant. À chacun de ses passages, il a pris l’habitude d’aller manger chez cette femme qui est stérile. À sa prière, elle devient mère, dit la suite du récit. Plus tard l’enfant meurt, mais grâce à Élisée encore il retrouve la vie. Une double leçon à retenir : lorsqu’une femme est riche, elle peut connaître des détresses et se montrer très accueillante. Et aussi : lorsqu’une femme riche accueille chez elle un prophète pauvre, elle peut s’attendre à d’heureuses surprises.
Evangile selon saint Matthieu – Mt10, 37-42